Publié il y a 10 ans - Mise à jour le 05.06.2014 - eloise-levesque - 4 min  - vu 390 fois

FAIT DU JOUR. Emmanuel Négrier, politologue : "La fusion des régions, oui, mais avec quels moyens?"

Emmanuel Négrier, Directeur de recherche en science politique au CNRS de Montpellier. DR

Emmanuel Négrier, chercheur au CNRS de Montpellier. DR

François Hollande souhaite faire passer le nombre de régions de 22 à 14. Le Languedoc-Roussillon fusionnerait avec Midi-Pyrénées d'ici 2015. Depuis que le dossier est sur la table, le redécoupage du territoire focalise toutes les attentions. Mais les enjeux sont multiples : montée en puissance des intercommunalités, disparition des conseils départementaux, renforcement des compétences des régions... Analyse d'Emmanuel Négrier, chercheur en science politique à Montpellier.

Objectif Gard : Que pensez-vous de la pertinence de cette réforme?

Emmanuel Négrier : Il fallait sans doute sortir de ce système schizophrénique, où la clause générale de compétence conduit toutes les collectivités locales à prétendre intervenir dans tous les domaines sans en avoir la capacité financière réelle.

De leur côté, les conseils généraux ne se sont pas renouvelés et sont en partie responsables de leur sort. Que ce soit en termes d'âge – 55% ont plus de 60 ans - , de sexe – seulement 13% de femmes, ou de catégories sociales, ils ne sont pas représentatifs de la population et incarnent un système en mal de renouvellement. Même si depuis la dernière réforme, les électeurs devaient désigner un binôme homme-femme pour les représenter et atteindre les 50% de femmes élues. Il ne vous le diront jamais ainsi, mais bien des présidents de conseils généraux sont convaincus que leurs politiques publiques pourraient parfaitement être conduites à l'échelle régionale.

O.G : Comment percevez-vous la réforme telle qu'elle a été annoncée par le président de la République?

E.N : Entre l'annonce et la réalisation d'une réforme, il se passe toujours beaucoup de choses. Il faut prendre cette annonce avec prudence. Il y aura très certainement des discussions au Parlement et tout n'est pas joué. Toutefois, ça a le mérite de poser le débat. Si se focaliser sur les cartes peut se comprendre pour des raisons de symbolique et d’ordre géographique, c’est la pire façon de poser le problème, qui concerne avant tout les moyens.

Avec une fusion entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, la nouvelle région compterait 5,5 millions d'habitants pour un budget – sans nouveaux transferts - de moins de 2,5 milliards d'€ environ. A titre de comparaison, en Espagne, la Catalogne compte 7,5 millions d'hab. pour 33 milliards de budget... On aurait donc plus de dix fois moins, pour une région d'envergure soit disant européenne. D'autant que l'aménagement territorial serait à revoir et ça coûte. Il faut bien avoir à l'esprit que ce n'est pas parce qu'on fusionne que l'on créera une région plus efficace à l'échelle de européenne. Ce fantasme de la taille est totalement démenti dans les faits : des länder allemands se limitent à une métropole, tandis que l’une des régions espagnoles les plus développées par habitant, la Rioja, comporte à peine plus de 300 000 habitants.

O.G : Quelles sont les conséquences éventuelles de ce problème de budget, au regard du renforcement des compétences qui s'annonce pour les régions?

E.N : Les régions risquent la paralysie. Lors des débats à venir, il faudra définir quelles compétences seront déployées et avec quels moyens. Il y a deux logiques à l’œuvre. La première est une rupture avec une logique très française : la décentralisation des pouvoirs avec en parallèle le maintien d’une administration centrale. Déjà écornée, cette tendance va s’inverser avec des transferts de compétences et de moyens de l’Etat vers les nouvelles régions, notamment dans la formation, l'éducation, la gestion des fonds européens, les infrastructures ou encore la culture.

Mais il faudra que les budgets suivent. Or, l'objectif du gouvernement est de retrouver des marges de manœuvre. Et c’est la seconde logique possible : l’État essaiera de limiter le pouvoir de ces régions en n’accordant pas l’ensemble des moyens nécessaires aux nouvelles régions, les plaçant dans une situation de tension financière dès leur nouveau départ.

O.G : Ces logiques sont clairement contradictoires. Quel est finalement l'intérêt du gouvernement dans ce projet? 

E.N : L'intérêt est aussi populaire et médiatique. Alors que les départements sont « ringardisés », cette réforme passe bien auprès des Français. Et le président a besoin de se donner du crédit auprès de la population, une image de réformateur. En fixant de nouvelles règles, il retrouve une marge de manœuvre politique. Et cela dans un contexte où la droite est paralysée par ses propres déboires et divisions. Certains sont favorables à ce projet, d'autres non. La majorité en profite donc pour déstabiliser encore davantage l'opposition.

O.G : La création de ces "super-régions" risque-t-elle de porter préjudice aux petites villes, qui seront plus éloignées du pouvoir central?

E.N : Le développement territorial ne se résume pas aux pouvoirs publics. Je ne pense pas que les petites villes soient abandonnées. L'équilibre reposera sur le renforcement de l'intercommunalité, allant peut-être à terme à l'échelle du département. Cet équilibre résulte d’un rapport de force mouvant, mais il n’est pas hors de portée.

Par ailleurs, avec l'émergence des nouvelles technologies, Internet, les transports, l'éloignement et la proximité, à l’égard des centres décisionnels, jouent un rôle relatif aujourd'hui.

O.G : Comment expliquer que le Nord-Pas-de-Calais garde ses frontières avec seulement deux départements, et que la fusion de nos deux régions nous amène à un bloc de 18 ?

E.N : Le Nord-Pas-de-Calais est bien plus industrialisé et dense sur le plan urbain, il compte plus de 4 millions d'habitants, ça compte. La Picardie quant à elle, 2 millions d'habitants, fusionnerait finalement avec la Champagne Ardennes qui en compte 1,3. L'équilibre est logique.

Après, il est clair qu'il s'agit d'un découpage politique et non pas géographique. Il y a certainement eu pression de Martine Aubry, maire de Lille, comme ailleurs en France. Les coûts d'adaptation à cette réforme seront moindres pour les régions qui ne bougent pas.

Propos recueillis par Eloïse Levesque

 

Eloïse Levesque

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