FAIT DU JOUR Santa Cruz : Nîmes au coeur des retrouvailles des Pieds-Noirs
Plus de 10 000 rapatriés d'Algérie se sont retrouvés dans le populaire quartier du Mas de Mingue pour assister au 50ème pèlerinage de la Vierge Marie.
Le rituel dure depuis 50 ans. Chaque jeudi de l'Ascension, des milliers de Français, rapatriés d'Algérie, convergent dans les quartiers ouest de Nîmes pour assister au traditionnel pèlerinage de Santa Cruz. Ils viennent de Normandie, d'Alsace, du Var ou encore de Rhône Alpes. Aussi différents qu'ils puissent paraître, ces Pieds-Noirs partagent une histoire et culture communes. Attablée devant un succulent couscous, cuisiné par le centre Jean Paulhan, Geneviève, originaire d'Oran, raconte : "en 1849, le choléra ravageait Oran. Les autorités militaires, incapables d'enrayer l'épidémie, ont fait appel à l'Eglise". Les prêtres organisèrent une procession dans la ville en l'honneur de la Vierge Marie, quand éclata un orage qui lessiva le sol oranais jusqu'à faire disparaître le choléra.
J-C.Lagarde : "Les Pieds-Noirs ne sont coupables de rien"
Derrière sa pancarte où est inscrit le nom de son ancien quartier d'Oran "Bel Air", André se remémore les saveurs orientales de son enfance : la Mouna. "A chaque fois qu'on sortait de l'église, on y avait droit". Né en Algérie, sa filiation avec l'autre rive de la Méditerranée remonte à son grand-père : "Vous savez, à l'époque en Espagne, on crevait de faim". Le sexagénaire narre volontiers son histoire. Une petite histoire qui s'inscrit dans la "grande", celle de la France qui colonisa en 1830 l'Algérie, avant que ce peuple ne s'engage, un siècle plus tard, dans le long combat de son indépendance.
"Pendant la guerre, nous avons cru en De Gaulle. Finalement, il nous a trahi", se souvient-il, la gorge nouée. Le "Je vous ai compris" du Général en 1958 s'est traduit par la signature des accords d'Evian en 1962. Au total, plus d'un million de Français et d'autres Européens sont rapatriés. Danielle originaire de Delmonte à Oran, est toujours aussi amère : "c'est inqualifiable. Nous sommes partis sans rien ! Nous n'étions pas des colons ! Nous n'étions pas de riches propriétaires terriens !".
En visite aujourd'hui à Nîmes, le président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde, issu d'une famille de Pieds-Noirs, a assuré que "les Pieds-Noirs ne sont coupables de rien. La France a accepté une forme de culpabilisation envers l'état algérien, qui ne serre qu'à conforter sa propre population. (…) Pieds-Noirs, Harkis… Leur situation a été minimisée". Originaire d'Alger, l'adjoint à la sécurité de la ville de Nîmes Richard Tibérino a été rapatrié à l'âge de 8 ans. Avec sa mère d'origine espagnole et son père, Italien, il atterrit d'abord dans un camp militaire en Allemagne, avant de rejoindre Alès, puis Nîmes.
S'unir dans la différence
Cinquante-trois ans après "la déchirure" de l'indépendance, le rapport à la société des Pieds-Noirs à évolué. L'Oranais André l'admet : "nous nous entendons bien avec les immigrés qui ont la culture du pays. Mais pas avec les plus jeunes. Ils sont perdus entre deux rives". Certaines rapatriées sont aussi choquées par ce bout de tissu qui orne aujourd'hui le visage des jeunes filles musulmanes : "à l'époque ce n'était pas du tout comme çà". A l'heure où les clivages entre religions sont exacerbés, Geneviève, veut fédérer : "lorsque la Vierge a fait disparaître le choléra à Oran pour les chrétiens, elle l'a fait aussi pour les musulmans et les juifs. Cela doit nous unir plutôt que nous diviser". Avec 15 000 personnes présentes selon la police, l'affluence diminue chaque année. Aux nouvelles générations de reprendre le flambeau, autour de valeurs qui, dans nos différences, peuvent aussi nous unir.
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Coralie Mollaret