INTERVIEW Laure Beccuau: « Nous sommes dans un cercle vertueux, la délinquance baisse »
Arrivée en janvier 2013 à Nîmes au poste de procureure de la République, Laure Beccuau a reçu Objectif Gard. Cambriolages, djihadisme, politique pénale... Elle revient sur ses deux premières années au Palais de justice de Nîmes.
Objectif Gard : Après votre sortie de l’Ecole Nationale de la Magistrature en 1986, vous êtes passée par les parquets de Rouen, Chalon-sur-Saône, Lille, Versailles, Bobigny. Que pensez-vous de Nîmes ?
Laure Beccuau : « Ce département connaît un niveau élevé de délinquance. Il est précisément de 36,3 faits pour 1 000 habitants. Le faire baisser est un vrai défi. Mon objectif est d’adapter la politique pénale à cette délinquance pour la réduire et empêcher la récidive. Je veux qu’à tout fait de délinquance, le mise en cause comme la victime connaissent la décision du Parquet ».
OG : Vous dites que la délinquance est élevée. Mais quelle est sa tendance ?
Nous sommes dans un cercle vertueux : la délinquance est à la baisse. Si les chiffres sont bien meilleurs, il convient toutefois de rester vigilant sur certains faits qui, eux, augmentent. Je pense aux violences non crapuleuses comme les violences intrafamiliales. J’ai vraiment du mal à expliquer cette augmentation. Comme celle de la délinquance routière. On multiplie les contrôles mais vous pouvez être sûr qu’à chaque fois on aura des gros excès de vitesse ou de l’alcoolémie. Les conducteurs, et ce n’est pas forcément les touristes, sont dans l’inconscience !
OG : Quelles affaires vous ont marqué depuis votre arrivée ?
Il y en a plusieurs : la première qui me vient à l’esprit est le meurtre de la joggeuse à Nîmes. Mais aussi au drame de Garons où cinq personnes ont été retrouvées dans une maison en feu. Je pense aussi au directeur du Leclerc de Nîmes et sa femme qui ont été séquestrés et torturés. J’ai été marquée par ce père qui a tué sa fille à La Calmette avant de se suicider.
OG : Comment le vit-on quand on rentre chez soi le soir ?
On en sort pas indemne mais on apprend à le gérer. Et puis, quand on arrive sur une scène de crime, le travail reprend le dessus. On a un certain nombre d’aspects techniques à prendre en compte, ça met un peu de distance.
OG : Ces derniers mois, l’actualité judiciaire était portée sur le djihadisme et les phénomènes de radicalisation. Existe-t-il des risques dans notre département ?
Oui, comme partout. Mais nous sommes très vigilants sur cette question. Avec le Préfet et les représentants des forces de l’ordre, on se rencontre une fois par mois environ pour suivre le dossier de suivi sur la radicalisation dans le Gard. Ce qui est troublant, c’est la rapidité de départ des gens. On fait beaucoup de liens avec les phénomènes sectaires.
OG : Le djihadisme, les crimes, les violences… Est-ce possible de suivre tous ces dossiers correctement alors que la justice a de moins en moins de moyens ?
On s’adapte. On fait des économies là où l’on peut en faire. Quand on saisit des véhicules dans une affaire, par exemple, ils sont stockés dans un garage pendant le temps de l’enquête. Dès la fin du dossier, je demande aux magistrats de prendre une décision rapide histoire de ne pas payer plus qu’il le faudrait. Mais on ne transigera jamais avec la nécessité de l’enquête. Et on ne transigera pas non plus sur une justice humaine. En réalité, le manque de moyens impacte surtout sur les délais.
OG : Trouvez-vous qu’il y a un décalage entre la Justice et les Français ? Récemment, on pense à l’affaire Galinier, ce septuagénaire qui a tiré sur deux cambrioleuses. Il passera un an en prison. Beaucoup de gens ne comprennent pas.
Je ne vais pas vous répondre sur cette affaire précisément mais il y a toujours eu des dossiers que les gens ne comprennent pas. C’est pour cette raison que je m’attache à beaucoup communiquer sur le fonctionnement du système judiciaire. J’invite toujours les gens à venir assister aux audiences en correctionnelle, ils seraient très surpris.
Tony Duret & Coralie Mollaret