Publié il y a 9 ans - Mise à jour le 20.07.2015 - thierry-allard - 4 min  - vu 2138 fois

SCANDALES DE L’ÉTÉ L’affaire Teste-Cubières, ou la chute retentissante du ministre bagnolais corrompu

La statue censée représenter Jean-Baptiste Teste, dans le parc du château de Paniscoule, à Bagnols (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Tout l’été, Objectif Gard vous propose chaque lundi de revenir sur les grands scandales qui ont secoué notre département. Cette semaine, place à un scandale qui a éclaboussé un ministre gardois, il y a plus de 150 ans.

C’est une histoire de pot-de-vin, à l’origine d’un des plus grands scandales de la Monarchie de Juillet. Une sombre histoire qui fera tomber le ministre et illustre bagnolais Jean-Baptiste Teste en disgrâce et participera à précipiter la chute du régime.

Ce 1er mai 1847, Jean-Baptiste Teste est un homme très respecté. Agé de 67 ans, le bagnolais d’origine, successivement avocat renommé, député du Gard puis ministre des Travaux Publics, est président de la Chambre Civile de la Cour de Cassation et Grand Officier de la Légion d’Honneur. Pourtant, ce jour là la feuille judiciaire Le Droit va lâcher une véritable bombe et précipiter la fin de l’ancien ministre.

« Il faut nous créer un appui intéressé dans le sein même du conseil »

Ce 1er mai 1847, Le Droit rapporte qu’à la faveur d’un procès entre les associés de la compagnie des mines de sel de Gouhenans, en Haute-Saône, un certain Parmentier, directeur de ladite compagnie, présente plusieurs lettres évoquant un pot-de-vin. Les lettres sont signées du général Despans-Cubières, ancien ministre de la Guerre, et mouillent Jean-Baptiste Teste.

Les faits remontent à 1843. Le général Amédée Despans-Cubières a quitté l’armée, et fait des affaires. Il achète des parts dans la société des mines de Gouhenans, qui au début ne fait que dans la houille. Sauf qu‘on découvre tout à côté un gisement de sel gemme. A l’époque, la loi prévoit que l’exploitation d’une mine de sel doit faire l’objet d’une « concession consentie par ordonnance royale délibérée en Conseil d’Etat. »

En 1828, M. Parmentier fait une demande de concession, qui lui est refusée. En avril 1841, la société dépose une nouvelle demande, mais cette fois il est hors de question de s’exposer à un nouveau refus : il se murmure que des concurrents pourraient s’installer tout à côté. Alors le général Depans-Cubières, qui a le bras long, va s’en servir. Dans une lettre adressée à Parmentier et datée du 14 janvier 1842, il écrit : « notre affaire dépendra donc des personnes qui se trouvent en ce moment au pouvoir ; il nous faudra agir ou faire agir auprès d'elles (…) il ne faut pas hésiter sur les moyens pour nous créer un appui intéressé dans le sein même du conseil, j'ai les moyens d'arriver jusqu'à cet appui indispensable, c'est à vous d'aviser aux moyens de l'intéresser. » Si Teste n’est pas nommé dans le courrier, Parmentier l’affirme devant les juges, « la personne que M. Cubières me disait vouloir corrompre était M. Teste, ministre des travaux publics. »

Jean-Baptiste Teste accepte un pot-de-vin de 94 000 francs, et la mine obtient sa concession. Le scandale est énorme et l’affaire défraie la chronique : il faut dire qu’elle mêle deux anciens ministres et éminentes personnalités d’une Monarchie de Juillet déjà éclaboussée par nombre de scandales… Localement, le journal viganais l’Echo des Cévennes du samedi 26 juillet 1847 rapporte que « le département du Gard a été vivement affecté du déroulement de cette triste affaire car M. Teste était une de ses plus grandes illustrations. »

« Une grande existence brisée »

Le 8 juillet 1847, le procès de Teste, Depans-Cubières, Parmentier et l’intermédiaire Pellapra s’ouvre devant la Chambre des pairs. Teste nie. Dès le 4 mai, il avait déjà affirmé : « mon premier besoin est de désavouer nettement, énergiquement, je ne dis pas toute participation, mais la plus légère connaissance de ces pratiques, si elles ont une ombre de réalité. » Et pour l’ancien ministre, il n’y a pas de problème, puisque « tout le monde a été d'avis que la concession devait être accordée à ceux qui l'ont obtenue ; et, ce qui est remarquable, c’est que les limites en ont été considérablement restreintes, afin de réserver la matière à d'autres concessions. »

Sa ligne de défense ne résistera pas aux preuves apportées contre lui. Acculé, il tente de se suicider le 12 juillet avec une arme à feu en se tirant une balle dans la tête, mais il se rate et s’en sort avec de légères blessures. Le verdict est rendu le 18 juillet 1847, comme le rapporte l’Echo des Cévennes : « les accusés déclarés coupables d’avoir, soit comme auteurs, soit comme complices, commis le délit de corruption, ont été condamnés. M. Teste (Jean-Baptiste) à verser 94 000 fr. dans la caisse des hospices de Paris, en outre à la dégradation civique, à 94 000 fr. d’amende et à trois années d’emprisonnement. » La peine est lourde, bien plus que celles du général Depans-Cubières et de Parmentier, condamnés tous les deux à la dégradation civique et à 10 000 francs d’amende.

Pour Jean-Baptiste Teste, le coup est rude, l’Echo des Cévennes évoque « une grande existence brisée. » Incarcéré à la Conciergerie, il y restera jusqu’à la révolution de février 1848, qui signera la fin de la Monarchie de Juillet, le ministère de l’Intérieur craignant qu’il ne soit lynché par des émeutiers. Peu après la révolution, le calme revenu il retourne en prison jusqu’à l’été 1849, quand Louis-Napoléon Bonaparte lui permet de purger sa peine en maison de santé, à Chaillot. Deux ans après la fin de sa peine, il meurt le 20 avril 1852, à 71 ans. La nouvelle de sa mort ne fait que deux lignes dans le Courrier du Gard du samedi 1er mai 1852 : « M. Teste, l’ex-ministre, vient de mourir presque subitement à Chaillot, d’une attaque d’apoplexie. »

Aujourd’hui, si son frère le général François-Antoine Teste a une rue à son nom à Bagnols, il ne reste de Jean-Baptiste Teste qu’une statue sur laquelle son nom ne figure pas, reléguée dans le parc du château de Paniscoule, à Bagnols.

Thierry ALLARD

thierry.allard@objectifgard.com

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