PONT-SAINT-ESPRIT Régis Debray : "la laïcité permet de ne pas s’entretuer, c’est déjà pas mal"
Le philosophe et essayiste Régis Debray, qui vient de publier avec Didier Leschi La laïcité au quotidien aux éditions Gallimard, était vendredi soir à la salle des fêtes de Pont-Saint-Esprit à l’invitation du Conseil départemental.
« Si je suis ici, c’est à cause de votre musée (laïque d’art sacré du Gard , ndlr), a lancé Régis Debray en préambule. Il comporte dans son nom une alliance insolite entre laïque et sacré, quelque chose que je prône. »
Le sacré, « un patrimoine »
Voilà pour la raison de la présence du philosophe, qui a ensuite déroulé devant une salle pleine une conférence sur le sacré et la laïcité, prônant un passage « d’une laïcité d’incompétence à une laïcité d’intelligence » qui passe par la compréhension du sacré, qui est « un patrimoine » : « comment apprécier la musique, l’architecture, la peinture sans connaissance d’un patrimoine culturel essentiellement religieux jusqu’il y a un siècle ? »
Distinguant les notions de sacré et de religieux (« le sacré est beaucoup plus large »), Régis Debray a rappelé que la République comptait elle aussi ses lieux sacrés laïques, comme un cimetière ou un palais de justice, et ses symboles sacrés, comme la Marseillaise et le drapeau.
« La laïcité est en déroute un peu partout »
Passant à la laïcité, le philosophe a d’abord rappelé qu’elle « n’a rien contre l’idée de sacré, elle est là pour organiser la conciliation, le vivre ensemble, des différentes sacralités », avant de démonter les confusions entre laïcs et athées ou entre laïcité et tolérance : « la laïcité n’est pas un acte de condescendance, mais un acte de justice. »
Pour autant, « la laïcité est en déroute un peu partout, il ne faut pas se le cacher », affirme Régis Debray, convoquant les exemples de « pays où le pouvoir politique s’était sécularisé et qui retournent sous emprise religieuse » comme la Turquie, l’Egypte ou Israël. « Un recul à l’échelle mondiale, lié à l’insurrection identitaire, un revival religieux pas seulement du monde islamique, mais aussi hindou, juif ou chinois. » Et pour ne rien arranger, Régis Debray estime que l’Etat, « de moins en moins instrument de cohésion sociale, à la remorque de la société civile » perd de son autorité, « et s’il n’en a plus, la laïcité sera de plus en plus contestée. »
En découle « une sorte de mise en crise du savoir, toute connaissance n’est qu’une opinion parmi d’autres. » Pour Régis Debray, il s’agit « d’un vrai danger, d’un intégrisme individualiste. »
Daesh, « un problème politique »
Quant à la question de savoir si la laïcité peut devenir une nouvelle croyance collective, le philosophe n’y croit pas : « la laïcité ne peut pas offrir de raison de vivre, elle permet de ne pas s’entretuer, c’est déjà pas mal. »
Sur le problème du terrorisme djihadiste, Régis Debray a rappelé que « le salafisme djihadiste est d’abord l’ennemi des musulmans » avant de se montrer sceptique sur les moyens employés par les pays occidentaux pour combattre Daesh : « je ne pense pas que Daesh puisse être battu par des frappes militaires, il est absurde de penser que des frappes puissent éradiquer une idéologie qui est un archipel multi continental. Le problème est politique. »
Thierry ALLARD