NÎMES La beauté fragile d'une nature en version fractale
C'est à la galerie CMV d'Isabelle Jullien, idéalement située derrière Carré d'Art, que cette expo est à voir à partir du 18 janvier, jour du vernissage et jusqu'au 8 février 2018. Une conférence sera prévue et servira de support d'explication à Francis Grosjean pour faire comprendre son travail aux amateurs en quête d'explications.
Car il faut aller à la galerie sans préjugé. Comme pour chaque exposition, il faut savoir se laisser happer par la création, entrer dans un univers où nos repères ne sont plus les nôtres mais ceux du créateur. En ce début d'année, il va falloir ouvrir les yeux.
Comment est-il tombé dans la marmite de la photographie ? En se perdant en montagne, presque logiquement. "J'avais sept ans. J'étais avec ma sœur et nous devions rejoindre un village perché. Nous sommes passés par une forêt. Il y a avait du brouillard et nous n'avons pas trouvé le village. Tout cela se passait dans les Vosges, la veille de Noël, et nous sommes restés seuls jusqu'à 23 heures dans le froid et la nuit avant qu'on nous retrouve". De cette expérience traumatisante, le jeune Francis en a tiré une force.
À travers les faibles lueurs de cette nuit de terreur semblaient se dégager des formes plus ou moins informes, voire difformes. Des ombres monstrueuses, des noirceurs mouvantes et émouvantes. Du coup, à l'âge de dix ans et alors qu'il était en compagnie d'un curé professeur de mathématiques qui faisait les photos de l'école, le jeune se passionne pour le procédé du tirage argentique et retrouve, à la lumière de son apprentissage, l'apparition de ces mêmes noirceurs. "Il y a dix ans, je suis retourné dans cette forêt avec un appareil photo et j'ai revu ces montres. Ils existaient vraiment, ils étaient réels ! C'est en les photographiant que je me suis remis à la photo".
Mais avant cela, Francis Grosjean a fait une belle carrière de 40 ans dans la vidéo. 250 spots publicitaires et films de prestige pour les plus grandes sociétés françaises et étrangères. De nombreux prix et récompenses pour une œuvre cinématographique centrée sur la nature. Comme le bonhomme à de nombreuses cordes à son arc, il a également été enseignant dans plusieurs écoles de cinéma et a réalisé aussi des documentaires télévision et des court-métrages de fiction pour Arte, France Télévisions et Canal+. Il a surtout fait partie des pionniers des nouvelles technologies, des effets spéciaux, du numérique...
Son travail préfacé par le célèbre photographe Yann Arthus-Bertrand, Francis Grosjean est un petit nouveau dans le monde de la photo. "En 2014, on m'a dit d'exposer. Depuis, j'ai fait une trentaine d'expositions. Je fais de la photographie fractale de la nature. J'ai toujours aimé inventer. C'est mon côté ingénieur. J'essaie d'innover et la nature a toujours été au cœur de mes projets. J'ai développé plusieurs collections basées sur les éléments. L'idée principale est de confronter les éléments avec la création. À toutes les échelles, on trouve les reproductions de mêmes formes, des grands mathématiciens ont prouvé cela. J'aime être entre la nature et l'imaginaire. Je fais des portraits créés par la vision que j'ai de la nature. Mes photos sont très cadrées et ouvrent sur l'inconscient", explique l'artiste qui va très prochainement travailler en Camargue, notamment sur l'air et le vent.
En effet, chaque spectateur pourra se raconter une histoire à la vue d'un cliché. Des monstres, des dieux, des galbes, des creux.
En exposition à Nîmes grâce aux rencontres faites lors du dernier festival Un réalisateur dans la ville et avec son invité d'honneur, Thomas Gilou (sa femme est la directrice de castings de bon nombre de films de Thomas Gilou), l'artiste s'exporte aussi à l'international. Dernier pays en date, la Chine où il aura une grande expo à l'est de Pékin. Mais pour l'accrochage nîmois, c'est le thème de la glace qui a été choisi. Le nom ? Nature divinity.
"C'est de saison et j'ai pas mal travaillé la thématique ces derniers temps. Je vais un peu partout sur la planète pour prendre des photos. Mais pas besoin de faire des milliers de kilomètres pour avoir un bon cliché : je fais aussi des photos à 100 mètres de chez moi sur la plage, en Normandie. C'est la façon de regarder la nature qui importe. Il est difficile de faire quelque chose qui n'a jamais été vu, surtout avec les millions de photographes d'aujourd'hui", poursuit Francis Grosjean, dont vous pourrez voir une autre partie du travail cet été lors des Rencontres de la Photo d'Arles.
"Je déteste me répéter. À Nîmes, il y aura une quinzaine de photos aux formats différents. Ma base est le 60X80cm mais j'aime aussi les grands tirages de deux mètres. Pour ces photos, l'éphémère a été primordial. La glace est magique mais le sujet peut disparaître en quelques secondes à cause d'un rayon de soleil ou d'un faux mouvement. Je veux préserver la beauté afin de l'immortaliser. J'ai l'impression de figer quelque chose que je suis le seul à voir et que personne d'autre ne pourra jamais voir. C'est une grande émotion, c'est mon plaisir et c'est ce pourquoi j'aime attendre des heures dans le froid", raconte celui qui se revendique des photographes allemands ou tchèques des années 1930. À la recherche d'une sorte de surréalisme absorbé par la dure réalité de la nature.
"Il ne faut pas s'obstiner, juste prendre du plaisir en se baladant. J'aime la montagne en toute saison mais quand je suis allé au Groenland, j'ai touché du doigt ce que l'on appelle le réchauffement climatique. C'était d'une beauté diabolique et c'est sur ce genre de chose que l'on se rejoint avec Yann Arthus-Bertrand. Pouvoir aller sur place nous donne une responsabilité de travail et de diffusion de ces changements. Tout le monde doit le savoir, même les Chinois changent de politique", conclut l'artiste.