FAIT DU JOUR Le combat pour la vie de Stéphanie
Victime d'une infection nosocomiale, Stéphanie Pisciotta s'en est sortie en perdant de nombreux organes et ses quatre membres. Son histoire est une leçon de vie et de courage. Elle a accepté de la raconter à Objectif Gard.
Tout commence le 16 octobre 2015 lorsque victime de douleurs au ventre, Stéphanie Pisciotta passe une gastroscopie à la polyclinique Grand Sud, à Nîmes. Un examen de contrôle de l'estomac effectué à l'aide de l'endoscope, un tube flexible muni d’une caméra. La nuit suivante, cette femme, âgée de 40 ans au moment des faits, ressent des frissons causées par une fièvre qui dépasse les 40° et de violents maux de ventre.
Après un appel à la clinique en question et la prise de Spasfon, son état ne s'améliorant pas, Stéphanie se rend aux urgences de l'établissement vers trois heures du matin. "J'ai été reçue assez tardivement par un infirmier qui a plutôt été très désagréable avec ma maman, qui lui demandait si c'était grave car je me tordais de douleurs", explique t-elle dans un premier temps. "Il lui a répondu : vous m'en demandez trop, surtout à cinq heures du matin !" Mise sous perfusion, la patiente reçoit des anti-douleurs et du paracétamol. Un déroulé des événements qu'elle raconte à partir des témoignages de ses proches car elle ne se rappelle pas de tout dans les détails. "Je me souviens vraiment de pas grand chose à partir du moment où j'ai été examinée car je commençais à aller de plus en plus mal."
Choc septique et anaphylactique
Dans la matinée elle est enfin auscultée, "on a attendu plusieurs heures qu'un médecin arrive à la polyclinique et s'occupe de moi". Vers 9h du matin, un médecin diagnostique que son ventre est dur et demande un scanner. "Le gastro-entérologue a été prévenu de mon état et, à partir de là, il y a eu un flottement total de l'équipe médicale qui n'a pas su du tout gérer mon problème. Pourtant il y a des protocoles pour reconnaître les chocs septiques."
Malgré l'aide de la science, l'équipe médicale ne perçoit pas directement que son estomac est en train de se nécroser. Cela signifie que les cellules meurent prématurément à une cause d'une infection et qu'elle commençait à mourir à petit feu. "Ils n'ont pas su reconnaître des symptômes graves et dire : on va passer le relais car on ne sait pas faire", regrette t-elle. Elle a en fait attrapé un microbe lors de la gastroscopie. C'est l’hôpital qui va le déceler quelques jours plus tard.
Pour ne rien arranger, le gastro-entérologue va commettre une erreur qui va aggraver le cas de Stéphanie : "Ils m'ont administré de la pénicilline alors que j'y suis allergique et que cela figurait sur mon dossier médical. C'est ma maman via ma sœur qui a appelé les médecins pour les alerter de cette erreur." Une injection certainement faite pour faire diminuer la fièvre, les difficultés respiratoires et une coloration inquiétante des extrémités de ses membres.
Ce qui a malheureusement entraîné un deuxième choc, anaphylactique cette fois-ci. Il s'agit d'une grave réaction allergique qui là s'est traduite par un œdème de Quincke, qui a pour conséquence un gonflement général du corps. Plus les heures passent, plus ses chances de s'en sortir s'amenuisent.
Sept opérations pour la sauver
Le 18 octobre, c'est le CHU Carémeau qui prend le relais. "Je suis arrivée là-bas très mal en point avec quatre de tension. La nécrose se propageait. J'étais clairement en train de mourir", précise l'intéressée. "Ils ont alerté toute ma famille car d'après eux je ne passerai pas la nuit." Un moment de la conversation où Stéphanie ricane : "Je dis ça un peu en rigolant car après coup j'ai l'impression de l'avoir vécu sans l'avoir vécu car je vous rapporte des faits dont je n'avais pas vraiment conscience."
Sept opérations successives et trois semaines de coma, permettront à terme de sauver cette Nîmoise d'origine : "ils ont tout essayé parce que j'étais jeune". Non sans conséquences puisque les chirurgiens lui ont retiré l'estomac, une partie du pancréas, un morceau de l'intestin, le duodénum et la vésicule biliaire. Mais un mois plus tard, la nécrose parvient quand même à toucher les extrémités de son corps.
Le terme médical exact est une "Coagulation intravasculaire disséminée" (CIVD) : "mon organisme a mis tout en oeuvre pour sauver les organes vitaux et les extrémités ont été lésées. Le sang ne circulait plus." L'amputation de ses quatre membres est ordonnée : une première à l’hôpital nîmois.
La quadri-amputation, seule solution
Une situation difficile à vivre pour la famille, "mon ex-mari était totalement à côté de la plaque. Il est resté à mon chevet les 15 premiers jours. Quand on a commencé à parler d'amputation ça a été compliqué pour lui. Il n'a pas eu les épaules pour me soutenir. Mes soutiens ont surtout été la famille proche : mes parents, mes deux sœurs et mon frère, qui étaient là tous les jours." Une présence sans faille qui a influé sur la guérison de Stéphanie : "Au fil du temps les médecins ont vu que ma santé dépendait de mon lien avec ma famille."
S'ensuivent des infections à répétitions, des délires causées par les drogues ingérées et des réponses en clignant les yeux, en période d'intubation, pour montrer des signes de reconnaissance à sa famille. Bref, des moments que l'on ne souhaite à personne de vivre. "Mes proches m'ont dit : on n'a jamais vu autant de machines autour d'un être humain."
Stéphanie va enchaîner des pics ascendant et descendants, ses organes très fragilisés fonctionnant par assistance. Le 2 mars 2016, le chirurgien acte son rétablissement de continuité digestive. En clair, l'intérieur de son ventre a retrouvé un peu de tranquillité et peut à nouveau fonctionner. Au total, elle aura passé un an de sa vie à l'hôpital, dont huit mois en réanimation.
"Ce n'était pas mon heure, tout simplement"
Elle ne se considère pas comme une miraculée. "C'est ce que mes parents disent de moi. Je pense que ce n'était pas mon heure, tout simplement. Après j'avais dans mon cœur une chose pour laquelle il fallait absolument que je vive, c'était mes deux enfants." Une fille âgée de 14 ans et un garçon de 9 ans, aujourd'hui.
L'heure vient ensuite au rétablissement dans un service qui a aussi du s'adapter à ce cas particulier. Avec comme première étape de se mettre à nouveau à la verticale avec des prothèses. Un travail de longue haleine pour apprendre à tenir debout. "Je ne pensais qu'à une chose : c'était de remarcher."
Elle atteint son but en mai 2016. "Je me revois ce jour-là où j'ai tenu seul debout dans ma chambre, d'abord 30 secondes, une minute et un peu plus chaque jour." Même si les douleurs ne font pas vaciller son inflexible volonté, Stéphanie a besoin de répit. "J'étais en train de craquer donc je suis restée un mois chez mes parents où j'ai fait de l'hospitalisation à domicile. Je ne supportais plus l’hôpital".
elle sera ensuite admise en rééducation à l'antenne du CHU gardois, au Grau-du-Roi. En plus du kiné pour marcher, elle apprend à utiliser une prothèse myoélectrique à son bras droit qui fonctionne grâce aux contractions musculaires contrôlées par le patient.
Ce qui lui permet d'avoir une certaine autonomie aujourd'hui. "Mes prothèses tibiales, je les ai totalement intégrées. Elles font partie de moi. Ceux sont mes jambes de substitution. Celle de la main est lourde, très inesthétique. Je m'en sers pour deux choses vitales : manger et écrire." Cette innovation lui permet de poursuivre sa passion, l'écriture. À son rythme, elle immortalise son histoire avec, pourquoi pas, si l'opportunité se présente un jour de publier son autobiographie.
Le retour à la vie
"Je n'ai pas pu rentrer chez moi (Lunel-Viel), mon mari m'avait abandonnée. Ç'a aurait été impossible à vivre. Je suis retourné chez mes parents qui avaient emménagé une chambre avec un lit médicalisé." Un retour aux sources qui va durer un an avant qu'elle ne décide de s'installer à Manduel.
Et retrouver de l'autonomie et un chez-soi grâce à l'aide de Caroline Schmidt, une amie d'enfance retrouvée sur Facebook juste avant le début du calvaire. "Beaucoup de gens ont tenté de venir me voir par simple curiosité. Ma sœur a dû mettre des barrières. Quand j'ai pu utiliser la tablette j'ai repris contact. Vingt ans après, elle est venue me voir."
C'est elle qui va lui faire retrouver le monde extérieur : "Au départ je ne voulais pas sortir. L'appréhension du regard des gens était pénible pour moi". Grâce à ce soutien permanent, Stéphanie va rapidement reprendre confiance en elle et montrer son incroyable détermination : "Maintenant, je fais tout ce que j'ai envie de faire." Une amie devenue par la force des choses une aide de vie puisque Caroline consacre dix heures par jour pour Stéphanie.
Démarrer une nouvelle vie c'est aussi que la justice fasse la lumière sur les responsabilités de chacun. Alors que Stéphanie sortait tout juste du coma, la procédure débutait déjà. Pour instruire l'affaire, la juge a demandé une expertise médicale. Alors une équipe de quatre professionnels a repris tout le déroulement des événements de A et Z afin de constituer un énorme dossier : "Ça faisait un mètre cube", plaisante Stéphanie. Une expertise d'une trentaine de pages en découla. Sa défense était assurée par Maître Pascal Albenois et plusieurs personnes étaient mises en cause.
La maladie nosocomiale reconnue à 70%
Lors du jugement rendu en juillet 2018 au tribunal de grande instance, la polyclinique Grand Sud en tant que personne morale n'a pas été reconnue responsable. Sur l'échelle des responsabilités, à 70 % la maladie nosocomiale a été avérée et 30% restent imputés au gastro-entérologue et à l’anesthésiste. "Ce qui a été mis en avant c'est la perte de chance : ils n'ont pas agit dans les temps pour reconnaître le choc septique sinon peut-être qu'aujourd'hui j'aurais encore mes membres."
Des médecins seulement sont condamnés à verser des dommages et intérêts. "Dans mon for intérieur, j'aurais aimé que ces gens-là arrêtent d'exercer mais malheureusement ça ne marche pas comme ça." Concernant l'infection, les dédommagements sont versés par l'ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux). Elle commence à percevoir des provisions pour, entre autres, financer sa maison et sa voiture. Depuis octobre 2018, elle perçoit également une pension d'invalidité.
Dans sa quête de retrouver une vie normale, Stéphanie était il y a une semaine à Lyon pour effectuer un bilan de pré-transplantation au niveau des mains. La première greffe mondiale a été réalisée dans la capitale Rhodanienne. Les examens vont dévoiler si elle est éligible et à ce moment-là elle pourra apparaître sur liste d'attente. On ne saurait quel adjectif utiliser pour qualifier ce qui lui est arrivé mais à ce jour Stéphanie veut juste une chose : "montrer qu'il y a une vie après l'amputation."
Corentin Corger