VENDREDI GOURMAND La meilleure brandade de Nîmes
En bons Gardois, nous avons nos petites habitudes gourmandes, des produits particuliers qui nous tiennent à cœur d'aller chercher là où nous sommes convaincus qu'ils sont les meilleurs. Cette rubrique propose, aux portes du week-end, de partir à la découverte de ces petits plaisirs comme autant de sources d'inspirations. Aujourd'hui, place à l'Ancien théâtre et à sa merveilleuse brandade de morue.
De la pierre, du métal signé de l'excellent Stéphane Lopez et des tableaux du non moins exceptionnel Eliot. Ajoutez à cela quelques touches rugbystiques et vous obtenez le décorum de l'Ancien théâtre, un petit restaurant, discret, mais qui fête ses 30 ans ce mois de mai. À sa tête depuis le début, Gilles Taliani. " C'est le matin et il me faut entretenir mes réseaux sociaux ! ", avoue le patron dès mon entrée.
Une composition simple
Justement, dès l'entrée on retrouve la recette, enfin la composition, de la spécialité du restaurant : la brandade. 60 % de morue, 20 % d'huile de colza, 10 % d'huile d'olive et 10 % de jus de cuisson. La teneur du court-bouillon est laissé à la discrétion du chef. Le prix à emporter est de 35 euros au kilo. Pour Gilles, la simplicité est la mère de toute bonne chose. " J'ai deux amis, Jean-François et Thierry, qui disent que chez moi le client a toujours le choix de faire ce que je veux. C'est vrai ! J'aime passer de table en table, j'en ai dix alors j'ai dix vies. C'est mon épouse qui m'a ouvert les yeux en me convainquant de faire ma cuisine, de garder mon identité car c'est un métier artistique. "
En cuisine depuis 18 ans avec Julien Pico qu'il a pris en apprentissage, Gilles est de plus en plus en salle pour choyer sa clientèle. ici, tout est naturel, y compris le patron. " Rien n'est acquis, le client n'est pas roi mais il est libre avec moi. Je ne me suis pas créée une clientèle, non, j'ai été adopté par mes clients. On m'aime ou on ne m'aime pas, c'est comme ça ! ", explique celui qui a été formé par Pierre Alexandre, du fameux restaurant Alexandre à Garons, alors qu'il n'avait que 13 ans.
Comment est-il devenu Le spécialiste de la brandade à Nîmes. À force de travail, bien sûr, mais aussi de passion. "Je fais ce métier pour la gourmandise et le partage. Je suis resté moi-même. Je ne me fâche avec personne. Depuis 15 ans, je vois une belle évolution qualitative quand on parle de restauration à Nîmes. Il y a une grosse dizaine de très bonnes adresses. Moi, j'ai 30 couverts pour plus d'intimité et parce que la rareté incite à la curiosité. "
Si vous allez à l'Ancien théâtre, et entre nous allez-y sans faute, parlez de brandade avec Gilles, parlez de tout et de rien, passez un bon moment et laissez-vous guider. " Ça me casse les oreilles qu'on affiche une brandade avec à l'intérieur des pommes de terre... Non, c'est un parmentier ! La brandade n'a pas de pomme de terre, c'est inadmissible. Il n'y a même pas le respect du produit ! "
Bon, le sujet est sensible mais il faut dire que la brandade est la spécialité culinaire de Nîmes et que pour les vrais artisans, mélanger le noble cabillaud à la pomme de terre n'a pas de sens. " La nature est bien faite. Le cabillaud devient morue une fois qu'il est salé. Il vient d'être déshydraté par l'effet du sel. Quand on le réhydrate avec nos ingrédients et qu'on l'émulsionne, il devient comme une pommade, là, c'est de la brandade. "
Rester dans la simplicité
Mais pourquoi la brandade ? " C'est encore mes deux amis Jean-François et Thierry. Il y a 25 ans, ils voulaient faire goûter cette spécialité nîmoise à des amis. La brandade est l'élément principal du plat mais je peux l'agrémenter de cèpe, d'asperge ou d'autre chose selon la saison. On peut manger la brandade en entrée ou en plat. Je la démarre à la main puis je la monte avec mon pétrin comme une mayonnaise de poisson. J'emprisonne l'air à l'intérieur et quand je la souffle au four, je ne rajoute rien et l'air se dilate. " Même Europe 1, pendant les Grands jeux romains, a parlé de sa brandade tant elle est parfaite au yeux de tous. " J'aime la tradition. Certains plats doivent rester simples. Ils ont fait leurs preuves comme ça. "
Gilles Taliani ne revisite pas des recettes, il fait les siennes. Il personnalise même s'il a besoin de la base, de la fondation pour construire sa trouvaille. Tout droit issu d'un milieu agricole, d'une mère Espagnole et d'un père Italien, c'est le premier cuisinier de la famille. Il aime apporter une valeur ajoutée au produit qu'il travaille. Il aime créer, prendre du plaisir et en donner à ses clients. Il fait son pain et ses pâtisseries. " Si tu ne veux pas passer pour un con, tu n'as qu'à savoir ", lui disait Pierre Alexandre. Gille ne sait pas tout mais il s'intéresse, c'est tout.
À déguster... et à dévorer !
La brandade rappelle l'enfance. " C'est mon premier souvenir de cuisine avec ma grand-mère. J'ai toujours aimé la morue. Nous en avions souvent à table car nous sommes des méditerranéens. " Le patron s'interrompt, se lève et file en cuisine. Il revient quelques instants plus tard avec un ramequin, de la brandade et son pain, un quartier de citron et une excellente huile d'olive (La Magnanerie à Orgnac l'Aven, cuvée Bouteillan Apogée).
Gourmand votre serviteur prend le pain et compte bien le mélanger en dégustant la brandade. " Non, d'abord la brandade seule. Tu l'écrases sur le palais, après tu prendras du pain. " Oui, c'est ainsi qu'il faut faire pour ressentir toute sa force. On fait pareil avec trois gouttes de citron et une dernière fois avec d'autres gouttelettes d'huile. Un régal simple.
" C'est le résultat de l'assiette qui compte ! Moi, je l'aime froide avec une pomme de terre à la vapeur, chaude. Ça contraste. Je l'aime aussi en gratin avec une fine chapelure. Jamais avec du fromage ! On met en valeur des produits, on n'est pas magicien ! ", avoue le cuistot un peu toqué. Ne pas la dénaturer, mais s'amuser avec. Si vous l'aimez avec de l'ail et du basilic, on vous dit de vous faire plaisir.
N'importe où n'importe quand
" Je l'aime le matin, le midi et le soir. Même en gravure j'aime la brandade et comme je sais la faire et que je fais mon pain... Je suis le plus heureux ! " Si vous la mangez seul ou avec des amis, c'est la même chanson, profitez du moment. Quoi boire avec ? Les Aiguillettes (enclos de la chance) du Château Guiot, Numa et Alexis Cornut. Un assemblage de Chardonnay pour le fruit et de Sauvignon pour l'agrume.
Pour finir sur une note moins gourmande mais tout aussi intéressante, un patron installé depuis 30 ans au même endroit et dans la même profession est une rareté à Nîmes quand on parle de restauration. Du coup, le bougre doit avoir des choses à dire. Écoutons-le. " On a une ville fantastique qui a énormément évolué. Je ne fais pas de politique mais je sais que le soleil seul ne suffit plus ! Il faut changer les mentalités des Nîmois. Mais le Nîmois doit aussi avoir envie de changer. Les gens veulent des personnages, du caractère, des patrons identifiables et identifiés. Le client, surtout celui du centre-ville, doit être conseillé et reconnu. Il ne reste que quelques irréductibles mais il ne faut pas uniformiser le commerce. Il faut savoir donner dix fois pour peut-être ne recevoir qu'une seule fois. Arrêtons de nous enorgueillir de notre connerie. Ayons le courage d'évoluer tout en gardant une identité et en assumant nos choix. Nous sommes la vitrine de la ville et les artisans de la vie nîmoise. "
Une autre assiette débarque sur la table. La discussion semble ouvrir l'appétit... Logique. Julien arrive avec la brandade qu'il vient de faire. Il la pose et s'en va sans mot dire. " Il est joueur le petit ", lance Gilles. On déguste, les papilles explosent, les yeux scintillent, le pari du jeune est réussi et le patron lève le pouce. " Tu vois, ça, ça me fait plaisir ! "
Restaurant l'Ancien théâtre, 4 rue Racine à Nîmes. Tél 04.66.21.30.75. Réservation conseillée.