FEUILLETON DE L'ÉTÉ Premier épisode de "L’Été de la miséricorde"
Durant l'été, Objectif Gard vous propose de découvrir pendant huit semaines un feuilleton inédit qui se déroule au cœur du Gard ! Le premier épisode est à lire maintenant...
« Dis maman, on est bientôt arrivé ? » Depuis le départ dès potron-minet de leur désormais ex-appartement de Mantes-la-Jolie (78), la question revenait comme une antienne dans la bouche des enfants. Et la réponse de Julia restait toujours aussi évasive. « Oui » on arrivait bientôt, « non » il n’y en avait plus pour longtemps, « oui » il fait chaud mais c’est pareil pour tout le monde et il fallait s’y faire...
Bien calés à l’arrière de l’antique Golf, gavée de paquets multicolores entassés à la va-vite jusqu’en haut de la plage arrière comme l’utilitaire d’un marchand forain, Timéo, alias Tim, et sa sœur Samantha - Sam ! - manifestaient leur impatience et vivaient tant bien que mal cette promiscuité de circonstance. Du haut de ses dix ans, Timéo faisait virilement valoir son droit d’aînesse et en profitait pour régler quelques comptes restés en suspens avec sa frangine en lui filant quelques coups de pied en douce.
Installée dans son rôle de martyre, un rôle dans lequel elle excellait, Samantha ne manquait pas d’en rajouter et de pousser des cris d’orfraie : « Maman, Tim n’arrête pas de me faire mal ! J’en ai marre ! Quand est-ce qu’on arrive ? »
Il est vrai que malgré les deux pauses pipi mises à profit pour se dégourdir les guibolles, les quelque 700 kilomètres qui séparaient les Yvelines d’Anduze lui avaient paru interminables autant qu’à eux et elle comprenait l’impatience de sa progéniture.
Après avoir rapidement épuisé les traditionnels jeux de voyage consistant à compter les voitures rouges, à trouver le nom des départements associés aux plaques minéralogiques et à deviner un personnage mystérieux en posant des questions, Julia, en dépit d’un brouhaha discontinu perpétuellement entretenu par les deux duettistes, avait laissé vagabonder son esprit, conduisant comme un automate bien rôdé en direction du Sud.
Lui revenaient les images, aussitôt passées en revue, de toutes ces années étirées à enseigner le français au sein du lycée Saint-Exupéry, un inhumain établissement, dénué de charme et désuet, planté au beau milieu de l’immense quartier du Val Fourré de sinistre réputation et de ses barres d’immeubles délabrés où se côtoyaient au quotidien des familles modestes, le plus souvent d’origine étrangère, et toute une faune interlope faite de trafiquants et petits voyous en tout genre.
Pour sûr, elle ne regretterait pas d’avoir obtenu sa mutation pour le Gard ! D’ailleurs l’annonce de son départ n’avait pas causé beaucoup d’émoi. Son pot de départ avait été vite expédié et il ne s’était trouvé personne pour s’appesantir sur ses projets. Après quelques « On se revoit très vite ! » , « On s’appelle ! Promis ? » et autre « Juré, craché ! on reste en contact ! On ira te voir ! » de circonstances, on avait fait court dans les effusions professionnelles. Tout juste la principale du lycée lui avait-elle lâché : « Alors comme ça, vous rentrez chez vous ? » avant... de tourner les talons sans même attendre une réponse.
Oui, elle rentrait chez elle ! Un chez elle où elle n’avait pas mis les pieds depuis plus de quinze ans et une météorique visite à Pâques pour aller se recueillir sur la tombe de sa mère. Pas franchement un agréable souvenir, mais bon... Cette fois, ses retrouvailles avec la terre cévenole de ses ancêtres étaient placées sous de meilleurs auspices. À la rentrée prochaine, elle intégrerait le lycée Jacques-Prévert de Saint-Christol-lez-Alès et Tim et Sam seraient scolarisés à Anduze, au collège Florian. Tout était déjà organisé.
Elle avait encore tout l’été pour s’installer dans le petit mas hérité de ses parents où elle avait vécu jusqu’à la préadolescence. Un endroit dont la seule évocation suffisait à la plonger dans un océan de perplexité et d’émotions contrastées. Et les questions sans réponse étaient nombreuses. Pourquoi Juvénal, son père, avait-il disparu définitivement alors qu’elle n’avait que 5 ans, laissant sa famille démunie et dans le chagrin ?
Pourquoi sa mère, Marie, minée par le désespoir et les ennuis pécuniaires, avait-elle fini par se pendre quelques années plus tard à la poutre maîtresse de l’ancienne grange à fourrage ? Qu’allait-elle trouver à Anduze sinon l’inéluctable occasion de se confronter avec les fantômes de son passé...
Et alors que la vénérable WV aux pistons crachotants attaquait les derniers lacets des gorges qui serpentent le long des méandres du Gardon, saluée comme il se doit par un stridulent concert de cigales lui souhaitant la bienvenue, Julia était plus déterminée que jamais. Le temps n’était plus au passé et devait se conjuguer au futur. « Anduze, nous voilà », lâcha-telle comme un cri du cœur... (À suivre la semaine prochaine même jour, même heure)
Philippe GAVILLET de PENEY