DANS LES COULISSES... du haras d'Uzès, temple du patrimoine et des savoir-faire équestres
Tous les lundis, Objectif Gard vous fait découvrir les coulisses des lieux, d'événements phares du département. Et aussi les vies de ceux et celles qui les font exister. Enfilez vos bottes, direction le haras national d'Uzès.
Six heures du matin. Ça s'agite dans les écuries. Le réveil sonne un peu plus tôt qu'en hiver mais cela permet de profiter de quelques heures au frais avant que le mercure ne s'emballe. Passé midi, les chevaux restent au pré ou au boxe, pas question de les travailler sous un soleil de plomb. Ils sont une poignée d'employés à nourrir les 23 hongres et juments du haras national d'Uzès et à nettoyer les écuries. Chaque cheval a le droit à sa ration de granulés et de foin de Crau, rolls du fourrage dans le coin.
Après 1h30 au petits soins pour ses protégés, Camille Picard, responsable écurie, s'accorde une petite collation avec Corine Delau, agent d'écurie. Elle va ensuite atteler les quatre chevaux Camargue dont elle a la charge toute la matinée : "Chacun a sa cavalerie attitrée. On a tous nos petits chouchous parmi les chevaux qu'on travaille", explique-t-elle.
Cela fait huit ans qu'elle oeuvre au haras d'Uzès. Loin d'elle l'envie de s'ennuyer dans un bureau toute la journée : "On est toujours dehors. C'est assez physique. On sait pourquoi on est venu travailler le soir quand on va se coucher." Camille Picard apprécie aussi le contact avec ces animaux si sensibles, parfois fougueux : "On est obligé de se concentrer sur eux, d'être à 100% avec eux. On doit laisser nos soucis de côté sinon ça ne fonctionne pas."
De l'autre côté de l'écurie, Sébastien Lauthier nous attend, vêtu d'un tee-shirt violet estampillé IFCE (Institut français du cheval et de l'équitation) un pied au sol, l'autre sur la pédale de son vélo. Comme la plupart des personnes qui travaillent ici, il se déplace en bicyclette dans le haras qui s'étend quand même sur 22 hectares.
Et à son trousseau, sont suspendues très exactement 69 clés sur la centaine que comptent tous les bâtiments du haras : "Je n'en ai pas beaucoup", ironise-t-il. Sébastien Lauthier est régisseur du site. Il a en charge deux équipes : celle en lien avec l'école d'attelage et les chevaux, et l'autre constituée d'ouvriers polyvalents qui entretiennent tous les jours les bâtiments et les aménagements paysagers du site. "Il y a toujours quelque chose à faire", assure-t-il.
Pas une mauvaise herbe ne pousse au milieu des allées blanches du haras, pas une haie de dépasse. Tout est parfaitement entretenu. Et les équipes redoublent d'efforts lorsque le site accueille des événements : "On a 52 jours de manifestation par an. Ce sont des événements allant de 20 à 500 chevaux et de 50 à 5 000 personnes", poursuit le régisseur général. Le plus grand rendez-vous, c'est la finale nationale d'endurance qui se déroule en octobre.
Il nous emmène ensuite vers une écurie, au bord de la carrière d'honneur, à l'histoire un peu particulière : celle où l'artiste équestre Lucien Grüss logeait ses chevaux. Il s'agit du fils du célèbre Alexis Grüss, 4e génération de la famille de cirque, installé à Piolenc (84). Aujourd'hui, ces boxes reçoivent les chevaux des artistes résidents car tous les mercredis du 22 juillet au 26 août, sera joué le spectacle les Rêves équestres dans le manège. Et dès septembre, ils seront utilisés pour les personnes qui suivront la toute nouvelle formation pour les artistes équestres que proposera le haras.
Valoriser et préserver le patrimoine équestre
Aujourd'hui, les Haras nationaux ont pour mission de valoriser et préserver le patrimoine équestre et transmettre les savoir-faire. Mais cela n'a pas toujours été leur rôle premier. Créés sous Napoléon Ier, ils répondaient à la nécessité de faire naître des chevaux, réquisitionnés pour la guerre. Le transport se faisait aussi en voitures hippomobiles, tirées par des équidés.
Jusqu'en 2010, cette mission de reproduction des chevaux était assurée par les hommes des Haras. Sébastien Lauthier a œuvré au début de sa carrière auprès des étalons. "On avait des tournées à faire pendant des mois avec nos étalons, on allait chez les gens pour faire saillir leurs juments", raconte-il. Et quand il n'avait pas la place chez eux, cela se faisait parfois sur la place du village, comme nous l'explique en riant son collègue. Sacré spectacle.
La monte en main a petit à petit été remplacée par l’insémination artificielle. Puis, sous la pression des éleveurs privés, les haras nationaux ont finalement arrêté les reproductions. Tous les étalons aux origines prestigieuses ont été vendus.
"Après, on a créé l'IFCE. Les haras nationaux n'existaient plus vraiment, c'est resté une marque. Mais avant, on faisait vraiment partie de la fonction publique", se remémore Sébastien Lauthier, un peu nostalgique. Il existait 24 dépôts d'étalons en France à son époque. Aujourd'hui, il reste deux principaux sites des haras nationaux : le haras du Pin en Normandie et Uzès. La construction de ce dernier avait d'ailleurs débuté en 1972 suite à la suppression des deux dépôts d'étalons d'Arles.
Comme Sébastien, Philippe Roche a lui aussi commencé sa carrière dans la reproduction. Il est désormais formateur "sellerie harnachement". Dans son atelier, il épaule Laurane Moreau, 24 ans, en apprentissage dans le cadre de son CAP sellier-harnacheur. "Comme pour la reproduction avec les étalons, c'était longtemps considéré comme un métier d'hommes. C'était un peu macho", admet en souriant Philippe Roche.
Avec 23 chevaux travaillés quotidiennement à l'attelage ou montés au haras, Philippe et Laurane ont toujours une pièce en cuir à réparer ou à fabriquer pour des besoins spécifiques. Aujourd'hui, ils confectionnent un culeron, partie d'une croupière, passant sous la queue du cheval, reliée à la selle ou au harnais pour ne pas qu'il parte trop en avant. Sur la technique et le travail du cuir, le duo reste discret : "Chacun a ses petits secrets de famille. Il y a des règles mais avec des petites variantes", dit avec un clin d’œil Philippe Roche.
Une prédominance de l'attelage bientôt élargie ?
Ce dernier nous emmène ensuite dans deux endroits qui lui tiennent particulièrement à cœur. En premier lieu : la sellerie d'honneur où sont stockés les plus emblématiques brides, colliers et harnachements des haras. Au centre de la pièce est aussi exposé le squelette d'un cheval qui selon la légende s’appellerait Le Tamerlan et aurait appartenu à Napoléon. C'est lui qui figurerait sur le célèbre portrait de l'étalon cabré portraituré par Géricault.
Il nous fait ensuite entrer dans le paillé, une ancienne remise, où sont garées une vingtaine de voitures hippomobiles. En plus d'être formateur en sellerie, Philippe Roche est référent patrimoine à l'IFCE. Depuis trois ans, il planche sur un projet de rénovation et de valorisation des voitures appartenant aux haras. Là dans la salle, 80% des voitures sont roulantes.
Squelettes, omnibus, grand break, wagonnette, calèche, etc. sont sortis pour les grandes occasions. Il y a aussi des mors et des selles dont les plus anciennes datent du XVI et du XVIIe siècles. Au fil des années, on voit apparaître les fourches des selles amazones pour permettre aux femmes de monter à cheval en robe. Ce petit trésor est surveillé de près par un appareil mesurant la température ambiante et le taux d'humidité. Pas question de détériorer ce pan du patrimoine équestre.
À peine sortis du paillé, Philippe Roche nous laisse avec Vincent Moreau, formateur en attelage. Il est assis à l'arrière de la calèche, menée par Anaïs Reynies, 22 ans, dirigeant de main de maître un massif comtois à la robe rousse et à la crinière crème. La jeune femme vient tout juste de décrocher son certificat de spécialisation cocher, après six mois de formation au haras d'Uzès. Avec ce diplôme, elle pourra faire du transport public ou scolaire ou encore de l'arrosage en ville ou collecter le verre (comme à Uzès).
Mais son projet professionnel est ensuite de passer son monitorat pour enseigner l'équitation et l'attelage. En attendant, elle travaille pour l'été au haras avec les chevaux d'école et en profite pour se perfectionner. "Il faut pouvoir transporter du public en toute situation. En ville, il y a des feux, des portières qui s'ouvrent donc il faut se montrer à l'écoute du cheval et trouver le bon contact", explique Vincent Moreau.
Au haras d'Uzès, il y a actuellement une prédominance de la discipline attelage. Mais l'idée de Luc Fruitet, le responsable du site depuis septembre 2019, c'est de "diversifier l'activité, d'aller investir dans la formation. D'être moins centré sur l'attelage tout en continuant à rester une référence dans cette discipline."
Et les évolutions de la filière équine ne peuvent se mettre en place sans prendre en compte le bien-être animal : "Au regard des animalistes, la consommation de viande, l'utilisation animale, tout ça est remis en cause aujourd'hui. L'idée n'est pas de justifier mais de communiquer correctement sur la réalité de ce qu'est l'activité autour du cheval, d'avoir une acceptation sociale garantie", expose Louis Fruitet.
D'un autre point de vue, le débardage, le travail des chevaux dans les vignes présentent des alternatives écologiques à l'industrialisation de l'agriculture. À Uzès et à Vers, les chevaux d'attelage ont repris leur place dans la ville. La mission étant de leur offrir des conditions et du matériel les plus confortables possibles. Et qu'ainsi la collaboration avec "la plus noble conquête de l'Homme" se rapproche le plus de l'harmonie parfaite.
Marie Meunier