L'INTERVIEW Gaétan Heymes : "À l'Aigoual, il y a dix ans, ça paraissait improbable d'atteindre 8°C de moyenne sur l'année"
Gaétan Heymes est ingénieur prévisionniste et nivologue (étude du manteau neigeux). Il est déjà venu sur le mont Aigoual, en tant qu'animateur de l'exposition météorologique permanente qui y trônait dans les bâtiments de l'observatoire météo, qui est en train de muer en observatoire du changement climatique. Ce 1er janvier, tandis que la majorité de la population récupérait d'une nuit festive, il postait sur son compte Twitter (à consulter ici) le nouveau record de températures moyennes relevées à l'Aigoual depuis l'implantation de l'observatoire, au XIXe siècle. Un constat très inquiétant, à défaut d'être glaçant.
Objectif Gard : Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux relevés de température du mont Aigoual ?
Gaétan Heymes : L'Aigoual est un endroit historique, climatologiquement, pour les relevés de températures, qui y sont ouverts depuis le fin du XIXe siècle. Il me paraissait pertinent de partager ces graphiques, notamment sur l'année 2022. L'observatoire a été bâti à cet endroit pour mieux comprendre la météorologie de moyenne montagne, en même temps que celui du Ventoux ou du Puy-de-Dôme. Mais l'Aigoual a été exploité plus longtemps. Il est vraiment représentatif du climat de moyenne montagne et a permis, de plus, une meilleure compréhension des épisodes cévenols. Ceci, notamment, parce que les observations y sont humaines, ce qui est différent des relevés automatiques.
Vous dites que la températude au sommet de l'Aigoual a atteint la barre des 8°C de moyenne sur l'année, soit un degré de plus que le précédent record de 2020. En quoi est-ce significatif ?
Déjà parce que c'est un record. Et qu'il s'inscrit totalement dans la tendance du réchauffement climatique. À l'Aigoual, la température augmente de 0,3 à 0,4° tous les dix ans depuis trente ans. Un degré de gagné depuis 2020, c'est vraiment beaucoup. 2021 avait été une année un peu moins chaude. Mais avant 2020, le précédent record était de 6,7°, en 2015. Il y a dix ans, ça paraissait improbable d'atteindre 8° de moyenne sur l'année.
Sur votre graphique - et sans que ça tempère l'analyse globale sur plus de cent ans - on observe tout de même quelques années plus froides, comme en 2010-2011. Ces baisses sont-elles appelées à disparaître ?
On va tout de même garder une variabilité inter-annuelle, avec des années moins chaudes. Mais la tendance de fond reste une hausse majeure sur trente ans. Fort heureusement, on n'améliorera pas, en 2023, le record de 2022. Mais cette année-ci dépasse toutes les valeurs depuis l'ouverture de l'observatoire.
Vous finissez votre analyse sur Twitter par une question subsidiaire : à quand les 9 ou les 10°C de moyenne. Il est possible d'émettre une hypothèse ?
Je n'ai évidemment pas la réponse mais dans la mesure où on a déjà atteint 8°, ça peut venir vite... Cela dépend aussi de notre trajectoire en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Si nous n'atteignons pas la neutralité, le climat va continuer de se réchauffer. Huit degrés de moyenne, ce sera la normale d'ici une trentaine d'années. Neuf ou dix degrés, ce n'est évidemment pas exclu d'ici 50 ans, probablement pas dans les dix ou quinze ans.
Toujours au rayon des hypothèses, et en tant que nivologue, selon vous la neige sur l'Aigoual est-elle appelée à disparaître totalement ?
L'enneigement tend à baisser, que ce soit en épaisseur ou en durée. Mais on verra quand même encore des épisodes de neige sur l'Aigoual, sans pour autant que ce soit durable.
L'effet du réchauffement climatique est-il plus important sur des zones de relief comme l'Aigoual ?
Oui, on observe une hausse plus marquée en zone de montagne, car la baisse de l'enneigement, qui tempérait les redoux, entraîne des printemps plus précoces et plus chauds.
En cette fin d'année, on a aussi connu un jour de Noël et un réveillon du Jour de l'An aux températures excessivement clémentes. C'est dû à un événement particulier ou au seul réchauffement ?
Il y a une part de variabilité mais ceci relève de la même analyse que la température en 2022 à l'Aigoual. C'est une séquence exceptionnellement douce, qui sera appelée à se reproduire dans les décennies futures.