UZÈS Anne-Sophie Pic : « Charles III est très porté sur les légumes et sur le bio »
« La cheffe la plus étoilée du monde », comme l’a présentée le journaliste de France Inter et critique gastronomique François-Régis Gaudry, Anne-Sophie Pic, était à Uzès ce samedi dans le cadre de la première édition de Saveurs & Savoirs. L’occasion d’apprendre plein de choses sur son métier de cheffe, son parcours et même sur la somme astronomique offerte aux chefs qui cuisinent pour les réceptions de l’Élysée.
On vous imagine devant votre écran, la curiosité titillée, à penser aux euros avant la grande cuisine. La réponse à cette question, bassement matérielle, est simple : les grands chefs cuisinent à l’Élysée et pour ses grandes réceptions, comme celle du roi d’Angleterre Charles III le 21 septembre dernier… bénévolement. C’est peu dire qu’un soupir, mi surpris, mi déçu, a traversé la salle de l’Ombrière pleine comme un oeuf ce samedi. « On sert la France », résume Anne-Sophie Pic, qui a donc fait partie des élus à servir le roi d’Angleterre et le président de la République le mois dernier. Sa proposition : homard bleu et tourteau.
« C’est un projet initié au printemps puis reporté, à l’origine il y avait une asperge, que le roi ne mangera jamais », sourit la cheffe triplement étoilée dans le restaurant familial de Valence (Drôme), qui possède aussi des restaurants à Paris, Londres, Singapour, Megève et bientôt à Hong-Kong et Dubaï. À défaut de cette asperge, la cheffe retravaillera un de ses plats, en prenant en compte le fait que « Charles III est très porté sur les légumes et le bio », le tout pour 165 convives servis en même temps. Un défi technique relevé, puisque vous serez ravis d’apprendre que les assiettes sont revenues vides. L’honneur de la grande gastronomie française est sauf.
La saga des Pic
Avant d’en arriver à servir les grands de ce monde, il y a une histoire qui débute en 1889 en Ardèche, avec l’arrière grand-mère d’Anne Sophie Pic, Sophie Pic. Ce fut la première à se mettre aux fourneaux, avec succès. Son fils André reprendra l’affaire et sera le premier de la famille et un des premiers tout court à obtenir les trois étoiles au Michelin en 1934, avant de s’installer à Valence, au bord de la N7. Nous sommes en 1936, et il a eu le nez creux, avec l’arrivée des congés payés et de la transhumance annuelle, qui transite par la N7 et lui offre une grande visibilité.
Reste que le restaurant des Pic perd deux étoiles et n’en compte plus qu’une lorsque Jacques Pic, le père d’Anne-Sophie, reprend l’affaire dans les années 50. Dans le mouvement de la nouvelle cuisine, Jacques Pic innove et propose par exemple le bar au caviar, qui deviendra un de ses plats signature, en 1971. Il retrouve la troisième étoile en 1973, remettant les Pic sur la carte de la grande gastronomie française. Au début des années 1990, Anne-Sophie Pic revient dans les cuisines familiales avec un but : « Apprendre la cuisine à ses côtés », rejoue-t-elle.
Las, Jacques Pic décède brutalement le 19 septembre 1992, à 59 ans. « Tout s’écroule », évoque avec émotion sa fille qui ne trouve plus sa place dans les cuisines de la maison Pic, reprise par son frère. Elle se relègue à une place de réceptionniste, mais le restaurant ne va pas fort et perd sa sacro-sainte troisième étoile en 1995. Un séisme, mais avec le recul, Anne-Sophie Pic estime que « ça a été une vraie chance. » La jeune cheffe reprend l’affaire, frôle le dépôt de bilan « trois fois », mais dix ans après, en 2007, retrouve la troisième étoile. Alors même si elle admet avoir « toujours peur de la perdre », cette troisième étoile, Anne-Sophie Pic ressent alors un soulagement, « j’avais rempli mon devoir de rendre les trois étoiles à la maison, je me suis libérée. »
Une histoire d’« imprégnation »
Elle devient aussi un exemple de femme qui réussit dans la grande gastronomie, un milieu essentiellement masculin. « En étant une femme, j’ai toujours eu le sentiment de devoir être adoubée par les hommes », lance-t-elle, consciente toutefois que les choses « ont évolué » depuis ses débuts, et dans le bon sens.
Aujourd’hui, Anne-Sophie Pic n’a plus rien à prouver, et sort régulièrement des livres où elle développe ses idées. Dans le prochain, qui sera publié en décembre, il s’agira de « l’imprégnation », terme qui donne son titre à l’ouvrage. « C’est presque une philosophie de vie, Pierre Gagnaire parle d’alchimie, la cuisine c’est ça, la transformation, tisser des fils invisibles entre les ingrédients, explique-t-elle. J’aime capter la nature, la révéler au plus juste. » Si sa cuisine laisse encore une place à la spontanéité, la cheffe apprécie aussi « une forme de précision » dans sa cuisine pour révéler les goûts, et « regarde ce qui se fait ailleurs », avec une curiosité revendiquée.
De quoi lui permettre de réinventer des plats, comme le bar au caviar de son père auquel elle a rajouté de la lie de saké, de la rose et du jabara, un agrume japonais, ou pour en inventer, comme avec ses célèbres berlingots, passés de garniture à plat à part entière. En attendant le prochain.