LE DOSSIER Des « filles de l’air » pour lutter contre la pollution atmosphérique
Patrick Meffre, professeur à Unîmes, a dirigé une thèse sur les Tillandsia. Ces drôles de plantes qui poussent hors sol peuvent être un bon indicateur de pollution et peut être même plus…
Certains chercheurs utilisent des plantes terrestres pour s’attaquer aux sols pollués. D’autres misent sur les plantes aquatiques pour nettoyer les eaux souillées. Pour s’attaquer à la pollution de l’air, Patrick Meffre, professeur de chimie organique à l’université de Nîmes, aimerait utiliser des plantes qui poussent dans l’air. Il existe bien des végétaux épiphytes qui poussent hors-sol. Leur nom scientifique est Tillandsia mais on les surnomme « filles de l’air ». Ils n’ont pas de racines, juste des petits crampons.
« Ils s’accrochent aux arbres, aux rochers, aux pylônes électriques…, décrit-il. L’eau qui tombe dissout toutes les particules de l’atmosphère et les Tillandsia se nourrissent ainsi ». Certaines de ces plantes vivent sur la Cordillère des Andes. « Mais elles poussent aussi assez bien dans des villes mexicaines très polluées. Elles ont été beaucoup étudiées en tant que bioindicateur de pollution au Mexique », observe Patrick Meffre. « À Mexico, les Tillandsia recurvata sont invasives sur les fils électriques. Ils sont obligés de désherber », ajoute Daniel Thomin. Ce pépiniériste qui collectionne de manière frénétique les Tillandsia depuis l’âge de 12 ans, acclimate et cultive les filles de l’air au Cailar avec Pierre Kerrand.
Une plante qui pousse mieux en zone polluée
Sous les serres de Tillandsia prod, ces petites boules de végétaux qui ressemblent parfois à des cheveux d’anges, poussent sur des plateaux, sont accrochés à des murs végétaux où il n’y a pas la moindre terre. La pépinière vend en France et à l’étranger. « À Paris, sans arrosage et sans engrais, cela pousse plus vite qu’à la pépinière », constate Daniel Thomin. Pour en savoir plus sur les atouts de leurs protégées, les pépiniéristes cofinancent avec la Région et l’Université deux thèses d’Unîmes sur les Tillandsia. Ils fournissent des milliers de Tillandsia bergeri et Aerantho, espèces bien acclimatées à la région et qui n’avaient pas fait l’objet de publications scientifiques. La première thèse, celle d’Alexandre Gonzalez porte sur la pollution aérienne. Il prend d’abord des Tillandsia, les fait tremper pendant une heure dans des solutions aqueuses contenant entre 7 et 14 métaux. Il les rince, les sèche, les broie et les minéralise en les chauffant sous ultrasons pour enlever les molécules organiques. L’objectif : étudier leur capacité de bioaccumulation maximale, voir jusqu’à quel point elles sont capables de stocker des métaux. « Le nickel et le plomb arrivaient à se bioaccumuler de façon efficace », résume Patrick Meffre. Le doctorant expose aussi des Tillandsia dans des lieux proches des voies de communication. Tous les quinze jours, il prélève des échantillons. Ils les lave, les broie et les minéralise afin de déterminer les concentrations métalliques. Elles sont comparées avec celles de Tillandsia vivant à l’abri, à la pépinière. Cette expérience démontre que ces plantes ont « une faculté d’accumulation en fer, zinc et cobalt ». Elles peuvent donc servir de bioindicateur pour mesurer la pollution. Patrick Meffre souhaiterait aller plus loin : « Cobalt, nickel, plomb, zinc, est ce que l’on ne pourrait pas récupérer grâce aux plantes ces métaux stratégiques qui sont d’habitude extraits des mines ? » Pour faire des mesures précises, Patrick Meffre aimerait les utiliser dans des chambres d’expositions, un équipement de laboratoire qui permet de placer les plantes dans une atmosphère contrôlée de polluants. Il a pris contact avec le laboratoire d’une université parisienne qui possède cet équipement. Mais ces drôles de plantes n’ont pas encore révélé tous leurs secrets. Marietou Lo, une autre doctorante d’Unîmes, a aussi soutenu en 2022 une thèse sur les Tillandsia. Ses recherches ont été dirigées par Patrick Meffre. Cette jeune femme a notamment extrait des composés antibactériens qui pourraient agir sur des bactéries sensibles et résistantes comme Escherichia coli.
Une thèse qui parle de drague
« Ma thèse est très peace and love. Je parle d’amour, de phytoremédiation et de drague… » Un sourire passe sur le visage de Flo Sordes. Mais personne n’aura son numéro de téléphone. Elle enchaîne avec malice : « La drague est un bateau qui racle le fond pour retirer la vase. » Avec cette petite séquence, cette doctorante d’Unîmes remporte en avril 2023, le prix régional du concours de vulgarisation « ma thèse en 180 secondes ». Elle a soutenu sa thèse « flower power » en juillet dernier. Son but était de trouver des espèces de plantes capables de désaliniser les boues draguées dans les ports du Grau-du-Roi, de Port-Camargue et de Pérols.
« Retirer les boues des ports est une opération faite depuis la nuit des temps. Jusqu’à présent, on les rejetait en haute mer mais aujourd’hui, la règlementation est plus stricte, et de plus en plus de boues devront être ramenées à terre pour y être gérées », précise Isabelle Techer, professeur de géochimie à Unîmes et directrice de thèse de Flo Sordes. Le problème est que ces boues sont très riches en sel. Dans certaines zones, on peut parfois même y retrouver des contaminants chimiques, organiques comme du reste d’huile qui peuvent dépasser les seuils règlementaires. Les boues étudiées par Flo Sordes n’avaient pas ce type de contaminants, mais contenaient parfois du cuivre. Très utilisé dans la viticulture, il avait ruisselé jusqu’aux ports.
Flo Sordes s’intéresse d’abord à la salicorne, puis trouve des espèces plus efficaces pour désaliniser. « La canne de Provence et la soude maritime ont montré de beaux intérêts », note Isabelle Techer. Soit les organes des plantes pompent le sel ; soit les plantes réussissent à le stabiliser, à le bloquer pour qu’il ne contamine pas, par exemple, un canal voisin.
Les chercheurs ont même identifié des pistes pour donner une seconde vie aux plantes ayant accumulé le sel. « La canne de Provence peut être réutilisée en biocarburant », cite par exemple Isabelle Techer. Mais elle indique que les recherches doivent se poursuivre. La solution démontrée dans ces ports-là, ne peut pas forcément être dupliquée partout. Tout dépend de la composition des sédiments. Il faut aussi trouver des moyens d’accélérer le processus : « Le mécanisme de désalinisation avec ces plantes est efficace mais il prend du temps. »