FAIT DU JOUR À Barjac, la lutte accélérée des forestiers contre le réchauffement climatique

Raphaël Raymond, trechnicien forestier, et Chloé Schipper, apprentie de l'unité térritoriale
- François DesmeuresDans la forêt communale de Barjac, gérée par l'Office national des forêts (ONF), les forestiers constatent depuis quelques années un dépérissement accéléré, notamment des pins noirs, épicéas et de certains chênes verts. Pour eux, le lien est évident avec le réchauffement climatique. Au quotidien, ils adaptent leur gestion à cet élément incontournable.
"Aujourd'hui, le bois n'est plus exploité comme avant. Il n'est plus régénéré", explique David Massa, responsable de l'unité territoriale Cévennes-Cèze de l'Office national des forêts (ONF) alors qu'il monte vers une portion de la forêt communale de Barjac. Un premier secteur des 808 hectares de cette forêt que gère l'ONF, sur lequel "il y a eu des plantations de pins noirs d'Autriche dans les années 80, explique Raphaël Raymond, technicien forestier. L'objectif était de planter des résineux, pour la fabrication de papier. On était en pleine crise du papier et on avait trois classes de pins subventionnés, alors que le chêne vert ne se vendait plus."
La faute à l'énergie des Trente glorieuses, le pétrole, qui s'est imposé aussi pour le chauffage des locaux et a porté au désintérêt pour le bois, dans les années 50, 60 et 70. "Il n'y avait plus de vente de bois, rembobine David Massa. Les conseils municipaux ont dit : "on arrête de vendre", d'où une perte de culture forestière." Les reboisements commencent vraiment entre 1979 et 1981, avec des essences de pins noirs, donc, mais aussi de cèdres de l'Atlas ou de pins laricio de Corse. "Ça n'a pas totalement été un échec, relativise Raphaël Raymond. Le laricio a été une réussite dans les Cévennes. On a fait des plaquettes et des poteaux avec les pins. Mais ici, on a fait de mauvais choix."
Il y a dix ans, l'ONF avait mené des travaux d'éclaircie "toutes les cinq lignes". En 2017, la coupe sanitaire est plus marquée, après la violente sécheresse de 2017 et les années de déficit hydrique. "On a aussi connu des problèmes sanitaires avec des champignons, des chenilles. Et la sécheresse est venue s'ajouter." Jusqu'à endommager le bourgeon terminal. "Les arbres sèchent par le haut", confirme Raphaël Raymond. Au sommet des pins, le déperissement, marqué par un jaunissement des terminaisons de l'arbre, est évident. "Ici, la commune aimerait bien replanter des cèdres."
Sauf que leur destinée est aléatoire : même si l'essence provient d'Afrique du Nord, elle s'implante plutôt autour des 1 000 mètres d'altitude. Et l'ONF dispose déjà d'essences d'Afrique du Nord qui devraient mieux supporter la hausse des températures. "Et puis, on ne peut pas mettrre n'importe quelle essence sur n'importe quel sol." La coupe des pins s'impose désormais, pour que le bois ait encore une valeur, que ce soit en bois énergie sous la forme de plaquettes, ou pour des poteaux. "La coupe rase apportera des revenus sur deux ou trois ans." Alors même que la commune n'a pas les moyens d'assumer un reboisement artificiel, qui atteint généralement un coût de 10 000 € l'hectare.
Laisser la forêt se régénérer, c'est aussi, indirectement, une perte économique pour la commune. "Le souci, c'est qu'en forêt, quand on intervient, il faut 50 ans pour que ça se voie." Mais il faut néanmoins intervenir "parce que si on laisse des arbres morts, on risque de voir les insectes s'installer". Mais ce qui impressionne en premier lieu le forestier, quelle que soit la parcelle, "c'est la vitesse du changement : ça va dix fois trop vite".
Les agents de l'ONF disposent désormais de deux applications pour effectuer des projections sur les températures attendues dans les années à venir, selon le lieu où ils se trouvent. "L'application nous donne une liste d'essences sur lesquelles s'appuyer, détaille David Massa. Le souci, c'est qu'on a longtemps eu une gestion conservatrice, pour obtenir de beaux arbres. Mais du coup, on tendait au vieillissement de la forêt. Aujourd'hui, il faut être un peu plus dynamique." "Un épicéa de 120 centimètrs de diamètre, ça n'existera plus, concrétise Raphaël Raymond. Nos enfants ne les verront pas." Et après l'épicéa, ce sera au tour du sapin...
Un peu plus loin, la forêt de Barjac est partiellement découpée en lots d'affouage, pour les habitants de la commune. L'ONF vend aussi à des exploitants, mais qui sont de moins en moins nombreux. Ici, la coupe de la parcelle remonte aux années 60 et les chênes verts se sont réinstallés.
Sauf qu'eux aussi donnent des signes de fatigue, avec "des branches qui sèchent en haut, des gourmands et des bourgeons qui sortent, et le fragon qui s'installe. Dans le meilleur des cas, s'il y a des rejets, le taillis va repartir. Mais quand il n'y a plus que du fragon, il n'y aura plus de reprise." Le taillis en voie de dépérissement offre une immense vulnérabilité au feu. "Et si le feu traverse, on redescend encore la végétation d'un étage, poursuit Raphaël Raymond. Ça fait 20 ans qu'on alerte là-dessus."
Troisième étape dans une allée bordée de résineux, au pied de taillis et d'arbustes d'où dépassent seulement quelques chênes plus hauts, envahis par le lierre. "Ici, la dernière coupe d'affouage a eu lieu entre 2 et 3 ans. Tout ce qui a été coupé repousse vert", constate le technicien forestier. De quoi plébisciter la coupe à ras, pour favoriser la reprise. D'autant que même jeune, le taillis peut résister à la sécheresse, argumente le technicien forestier, "car on a 20 à 30 rejets. Même avec la sécheresse, ça tiendra."
La solution présente, de surcroît, l'avantage de ne pas coûter cher. Car il faut 10 000 € pour reboiser correctement un hectare, et la vente de bois présent sur place ne couvre, au mieux, qu'un tiers de la dépense. Et même si le budget est assuré, la disponibilité des graines ne l'est pas toujours à l'heure de la "migration assistée" qui conduit, par exemple, "à changer les chênes pédoncules du nord de la France par des chênes de la région méditerranéenne". Enfin, une forêt replantée doit être sécurisée pour faire face au passage du gibier qui a vite fait de déterrer ou d'engloutir les jeunes pousses. Le tout, sur fond de budget des communes de plus en plus contraint et de réchauffement climatique accéléré. L'ONF doit donc faire appel à sa propre science et à son expérience du terrain pour adapter la forêt aux bouleversements qui nous attendent tous.