FAIT DU JOUR Christian Holl, à l'écoute des sons du monde
Le métier de Christian Holl est unique au monde. Il est compositeur/chasseur de sons. À l’aide de son matériel, il enregistre des sons imperceptibles à l’oreille humaine dans le monde entier. De la pulsation cardiaque d’un varan de Komodo à l’écoulement de la sève dans un baobab, il est tourné vers « l’écoute du vivant dans toute sa richesse et sa diversité ». Rencontre.
Quand on entre dans la maison de Christian Holl, à Villeneuve-lez-Avignon, on est happé par un univers marqué par le voyage et l’ouverture culturelle. Des statuettes primitives et poteries sont soigneusement exposées en vitrine, un masque africain est accroché au mur orangé, un télescope est tourné vers le ciel et une bibliothèque bien remplie. « J’ai dû aller dans au moins 70 pays », nous glisse l’homme. Enfermé entre les quatre murs de son studio de musique durant une première partie de sa vie, Christian Holl a ensuite parcouru les cinq continents pour son métier. Enfin pour sa « passion ».
De la variété à la musique de film documentaire
À huit ans déjà, il composait des chants religieux pour sa paroisse. Remarqués par l’archevêque de Paris, ses chants font le tour des cathédrales de France et deviennent des airs populaires. À 14 ans, il entre au Petit conservatoire de Mireille, émission ancêtre de la Star’Ac. Il y côtoie d'autres élèves qui deviendront célèbres notamment Jacques Dutronc, Françoise Hardy ou Michel Berger.
L’émission est un tremplin pour Christian Holl qui se lance dans la variété et sort son premier disque à 16 ans. Il fera plusieurs festivals internationaux et écrira pour des vedettes nippones mais aussi pour Michèle Torr.
Sur les bancs de la fac, il rencontre un camarade réalisateur féru d’images, autant que lui de musique. Il se tourne alors vers la musique de film et travaille sur une série animalière pour Walt Disney qui lui ouvrira l’univers du film documentaire. On lui doit l'habillage musical de nombreux reportages du magazine TV Ushuaïa et de près de 270 documentaires sur la nature. Rapidement, le compositeur veut sortir de son studio pour accompagner les équipes de tournage sur place. Pour s’imprégner mieux de l’univers. Il enfile en même temps la casquette d’ingénieur son et enregistre les bruits de la nature pour « créer l’hymne des lieux ».
Une tumeur au cerveau le rend sourd d'une oreille
« C’est ce qui a fait ma vie pendant 30 ans », résume le Villeneuvois. Mais en 2000, tout a failli s’arrêter. On lui diagnostique une grosse tumeur au cerveau. Après 11 heures sur la table d’opération, il s’en sort mais avec une séquelle qui compromet sa vie professionnelle. Les chirurgiens ont dû lui sectionner le nerf auditif gauche. Il est désormais sourd d’une oreille. « Quand les médecins repartent de ma chambre d’hôpital, je me mets à pleurer. Le choc passé, je me mets à entendre ma respiration, le rythme de l’appareil médical qui me fait vivre. Je me mets à composer une musique dans ma tête avec ces bruits », raconte-t-il. C’est là qu’il réalise : « Avec mes deux oreilles, j’entendais le monde, avec mon unique oreille. Là, je me mets à l’écouter ».
Quelques mois plus tard, il décolle pour une région de l’Inde touchée par la sécheresse. Les lions affamés s’attaquent aux hommes pour se nourrir. Pour approcher au plus près des félins, le chercheur de sons élit domicile pendant un mois dans un arbre. C’est alors que son oreille saine se met à entendre « comme si des milliers de grelots scintillaient » : « J’ai entendu l’âme sonore de l’arbre ».
Christian Holl se met en tête d’enregistrer ce filet de son quasiment inaudible pour l'Homme. Il s’échine pendant six mois à trouver le procédé technique, mélangeant capteurs, stéthoscopes et micro à l’impédance boostée. Avec ces trois outils, il est entré « au cœur de la matière végétale et animale » et « donne une relecture sonore de la planète ».
Entendre et enregistrer la "partition secrète" du monde
Il capte le cri d’alarme des termites qui se tapent l’abdomen, l’écoulement de la sève dans la cavité spongieuse d’un baobab, les fumerolles du volcan de la Soufrière en Guadeloupe… Ces découvertes inédites attirent l’attention de l’Unesco qui le missionne pour entendre et enregistrer la « partition secrète » des sites du patrimoine mondial. Il va notamment ausculter le temple d’Angkor au Cambodge ou les parois de la chambre du roi de la pyramide de Khéops, en Égypte.
Récemment, France Télévisions l’a contacté pour une série intitulée "Carnet sonore" pour revaloriser les DOM-TOM. Un premier épisode a été tourné en Guadeloupe en août et sera diffusé sur France 3 au printemps. Au-delà de la recherche esthétique, Christian Holl s’intéresse de plus en plus à la dimension thérapeutique des sons : « Le son produit par la sève qui s’écoule dans un baobab par exemple est à 528 hertz. C’est la fréquence la plus bienfaitrice ».
Cinq heures au sommet de l'Empire State Building pour enregistrer les sons d'un jeu vidéo
Même si l’âge de la retraite approche, les projets ne s’arrêtent pas. Le chasseur de sons est aussi à l’origine de tous les bruitages que l’on peut entendre dans le dernier jeu vidéo Assassin’s Creed Valhalla ou encore Fortnite. C’est Ubisoft qui l’a engagé pour apporter davantage de « véracité » à ses jeux. « Pour The Division, il a fallu que je me rende à New York et à Londres. Je suis resté 5 heures au sommet de l’Empire State Building pour enregistrer les bruits de la ville », raconte-t-il. Sans étonnement, Christian Holl est devenu le « héros du lycée » de son fils et sa fille.
Parisien de naissance, il a décidé de s’installer dans le Sud, à Villeneuve-lez-Avignon, il y a quatre ans, dans un environnement un peu plus apaisant. Un cadre idéal pour « déconnecter un peu son oreille », toujours à l’affût d’un brin mélodique dans le brouhaha ambiant. Un cadre idéal aussi pour écouter de nouveaux sons et percer la mélodie silencieuse du patrimoine de Provence. On a hâte !
Marie Meunier
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