AU PALAIS Le cas de Moussa interroge les juges et la société
Il est presque 13 heures ce mardi 8 décembre quand la présidente de l’audience aborde la dernière comparution immédiate de la matinée. Sur le papier, l’affaire paraît banale : une énième « soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière ». À nouveau un sans-papier qui refuse de rentrer dans son pays d’origine. Mais cette audience qui devait être anodine soulève finalement beaucoup de questions sur notre société.
Ceux qui fréquentent régulièrement les tribunaux - juges, avocats, greffiers, journalistes - savent pertinemment qu’ils croiseront à nouveau la route de certains prévenus qui promettent pourtant de ne plus jamais faire parler d’eux en échange de leur liberté. Puis il y a ceux qui comprennent la leçon du premier coup et qu’on ne reverra certainement jamais. Et puis il y a Moussa. Ce jeune homme tout juste majeur fait partie d’une troisième catégorie : ceux qui n’auraient probablement jamais dû se retrouver dans le box des accusés d’un tribunal.
À l’audience, la juge Valérie Ducam retrace brièvement l’histoire de ce jeune homme. Il est né en Côte d’Ivoire un jour d’octobre 2002. Il y grandit et suit sa scolarité jusqu’à ce que son père décède tragiquement dans un accident de voiture il y a quatre ans. C’est le jour où la vie de Moussa bascule. Sa mère, seule avec quatre enfants, ne peut plus s’occuper de lui. Dans un français approximatif, le jeune homme explique au tribunal qu’il a dû quitter son pays avec sa tante dont il a été séparé en Lybie.
Seul, il est passé par l’Italie avant de rejoindre la France. Pudique, il évoque furtivement l’accident de son père sans pouvoir contenir ses larmes, son arrivée en France alors qu’il n’a que 16 ans, sa prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en tant que mineur non accompagné, ses séjours dans des hôtels et une vie extrêmement précaire sans jamais tomber dans la délinquance.
Puis, le 15 octobre dernier, Moussa est devenu majeur. Si pour beaucoup les 18 ans sont synonymes de fête, d’indépendance, d’études secondaires ou de permis de conduire, ils ont surtout été pour lui synonymes de… permis de reconduire. Le procureur, Willy Lubin, donne son sentiment : « Nous sommes dans une situation très compliquée. Et dans quelques mois, elle sera encore plus compliquée car notre système prouve ses limites. Nous avons accepté des centaines et des centaines de mineurs non accompagnés. On les a placés dans des hôtels sans aucun avenir et nous sommes en train de découvrir aujourd’hui que ces mineurs n’allaient pas le rester toute leur vie. Tous ces mineurs se retrouvent désormais en situation irrégulière. Si on garde les mineurs, il faut avoir une perspective. Il y a un souci quelque part ».
Le représentant du ministère public termine son réquisitoire de manière plutôt rare : « Je suis incapable de vous demander un mandat de dépôt. On l’a gardé comme mineur et du jour au lendemain on lui demande de partir… Je m’en remets à l’appréciation du tribunal ». Celui-ci le déclare coupable, mais le dispense de peine. Moussa en a déjà eu bien assez.
Tony Duret