CÈZE CÉVENNES Face à un fléau en recrudescence, la collectivité tente d'endiguer les violences intra-familiales
Dans le cadre de la convention territoriale globale (CTG) signée fin 2021, renforcée par la demande de deux élues confrontées à ce fléau, la Communauté de communes de Cèze Cévennes a enclenché un plan d'action pour tenter d'endiguer les violences intra-familiales, lesquelles frappent de plein fouet les zones rurales.
Le 12 septembre dernier, le président de la Communauté de communes de Cèze Cévennes, Olivier Martin, la conseillère départementale en charge de la commission égalité hommes/femmes, Isabelle Fardoux-Jouve, et Florence Bouis, maire de Molières-sur-Cèze, ont introduit une session de sensibilisation/formation à l'intention des partenaires de terrain (élus, centre communal d'action sociale, associations, médecins, etc.) sur les questions des violences conjugales et intra-familiales. Cette première rencontre a été animée par l'association Reseda Alès qui travaille depuis plus d'une décennie sur cette problématique.
Un rendez-vous né à la suite de la dernière convention territoriale globale (CTG), laquelle comprend un volet "parentalité" au sein duquel figure la prise en charge des violences. "C'est aussi dû au fait que deux élues, la maire de Saint-Victor-de-Malcap (Mireille Désidéra-Nadal, NDLR) et celle de Molières-sur-Cèze (Florence Bouis, NDLR) nous ont sollicités pour monter des groupes de travail sur ce sujet, car elles s'étaient retrouvées très démunies lorsqu'elles ont été confrontées à cette problématique dans leur commune respective", resitue Christelle Allio, coordinatrice des actions sociales de Cèze Cévennes.
"Il faut regarder le comportement des gamins à l'école"
Fort du "succès" de la première, une deuxième réunion de formation s'est tenue le 26 septembre dernier, mettant une nouvelle fois en évidence le manque de savoir-faire des différents acteurs locaux face à une situation relative à des violences intra-familiales. Pourtant, au cœur d'un territoire à dominance rurale, ces dernières semblent de plus en plus prégnantes dans le quotidien de nombreux habitants. "Depuis le Covid, ça a explosé ! Il y a plus de promiscuité, donc il faut réapprendre à vivre ensemble", résume Olivier Martin.
Et ce dernier d'expliciter : "Les gendarmes avec lesquels je m'entretiens très régulièrement me disent que ça fait de plus en plus partie de leurs missions quotidiennes. Mais c'est aussi dû au fait que c'est désormais un axe majeur de la politique de l'État. Ils ont une vraie pression de leur hiérarchie sur la prise en charge de ce qu'on appelle les 'VIF'". À ce titre, Christelle Allio met en avant la précieuse "médiation" et l'expertise des intervenants sociaux déployés en gendarmerie depuis plusieurs années. Mais s'ils sont mieux formés qu'avant, les gendarmes ne sont pas en mesure à eux seuls de déceler la totalité - si tant est que ça soit possible - des violences intra-familiales. Les élus, qui apparaissent aux yeux de beaucoup d'habitants comme le premier - voire l'unique - relais, sont conscients d'avoir un rôle prépondérant à jouer.
C'est tout le sens de ces réunions de formation aux cours desquelles ont été abordés les signes cliniques mettant sur la piste de la détection d'une "VIF". "Il faut regarder le comportement des gamins à l'école. C'est un bon révélateur !", veut croire le président de la Communauté de communes, par ailleurs maire de Gagnières. Et ce dernier de considérer : "Les élus ont besoin d'être très réactifs. Mais on doit aussi être capable de déléguer à nos adjoints ou aux membres du CCAS, sous peine de laisser passer des choses."
Les aînés "particulièrement concernés"
S'il convient volontiers qu'on "ne voit hélas pas tout", Olivier Martin se confronte au fléau des "VIF" presque quotidiennement : "Ce qu'on constate, c'est que ça touche toutes les couches sociales, voire même peut-être encore plus le haut du panier. Les gendarmes me parlent de profils insoupçonnés. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas forcément lié à la précarité. Il y a même des médecins dans le lot ! Dans ces milieux-là, il y a une vraie omerta. La chape de plomb y est encore plus !"
"La victime est dans une sorte de "prison dorée" et ne sait pas comment en sortir tout en gardant en qualité de vie", confirme Christelle Allio, ex-travailleuse sociale. Et si les auteurs de violences s'immiscent visiblement dans toutes les strates sociales de la société, ils n'obéissent à aucune règle relative à l'âge. "Les retraités semblent particulièrement concernés", s'étonne même la dernière nommée, prenant l'exemple d'un patient atteint de la maladie d'Alzheïmer, par conséquent très vulnérable, violenté par "l'aidant qui n'en peut plus". À Gagnières, le maire dit avoir régulièrement affaire à un couple de seniors "de plus de 90 ans qui se font vivre l'enfer".
Ainsi, l'enjeu tient à la libération de la parole des victimes, desquelles doivent survenir le cri d'alerte. Mais en milieu rural plus qu'ailleurs, les langues ne se délient pas facilement lorsqu'il s'agit de prendre le risque de braquer les regards sur soi. "On connait tous des personnes qui sont maltraitées, et pourtant tout le monde se tait, autant les victimes que les voisins qui peuvent voir ou entendre des choses", admet Christelle Allio, ex-travailleuse sociale. Un sentiment étayé par des données de Public Sénat qui mentionnent que seul un quart des appels pris en charge par le numéro spécial 3919 provenaient des territoires ruraux, alors que près d'un féminicide sur deux s’y produit.
Les hommes sont aussi victimes
"L'effet village cadenasse davantage la parole car on craint le regard de l'autre", analyse Olivier Martin, qui va même jusqu'à parler de "culture" du secret. Faisant le récit glaçant d'un drame survenu en mai dernier, l'édile gagniérois exhorte également le voisinage à jouer son rôle de signaleur, y compris pour des faits n'ayant pas de lien direct avec les violences intrafamiliales : "À cause d'un signalement tardif, on a découvert un octogénaire mort chez lui plus d'un mois après son décès. À l'époque ça ne serait jamais arrivé car les gens se parlaient." Et, bien qu'ils soient minoritaires (environ 10 % du total), les hommes sont aussi victimes des violences conjugales. "Pour eux, c'est encore plus difficile d'en parler car l'humiliation est totale", estime Christelle Allio.
Alors qu'Olivier Martin envisage la création d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS) pour améliorer le traitement de ce sujet "hypersensible", la coordinatrice des actions sociales promeut l'action de l'association alésienne La Clède, qui prend en charge depuis peu les auteurs de violences afin de "traiter le mal à la racine". "Il ne s'agit pas de les abandonner en rase campagne", approuve le président de la Communauté de communes. Après avoir amorcé une démarche de sensibilisation et de formation via ces deux premiers rendez-vous, tout reste à faire pour la collectivité qui assure depuis peu la distribution d'un document contenant des numéros ressources, à la fois des contacts nationaux et locaux, et celle du "violentomètre", un outil conçu fin 2018 par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, à la demande du Conseil régional d'Île-de-France, et qui permet d'évaluer l'éventuelle nocivité de sa relation conjugale.
Corentin Migoule
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