ÉDITORIAL En économie aussi, l’enfer est pavé de bonnes intentions
Orchestra et surtout Alinéa ! Derrière ces enseignes connues de tous qui ne sont pas au mieux, se cache l’application d’une « ordonnance covid » du Gouvernement censée limiter la casse économique de la crise sanitaire. Dans la vraie vie, c’est plus compliqué que ça...
Imaginez, vous êtes patron. Un grand patron, celui d’une grande chaîne qui fait dans l’ameublement et qui compte près de 1 900 salariés répartis dans 26 magasins. Et ça fait un moment, déjà avant la crise sanitaire, que votre entreprise ne va pas fort. Vous avez dû déposer le bilan et vous mettre en quête d’un repreneur pour, sans mauvais jeu de mots, sauver les meubles. Votre quête ne durera pas longtemps : grâce à une « ordonnance covid », ce repreneur, ce peut être... vous !
Oui, vous, qui avez déjà conduit votre entreprise dans l’ornière et qui vous retrouvez aujourd’hui pris à la gorge. Pourquoi feriez-vous cela ? C’est très simple : qui mieux que vous connaît votre propre entreprise ? Et comme ça, on est sûr d’avoir un repreneur et donc de limiter les liquidations judiciaires. Là est tout le but de cette fameuse « ordonnance covid ».
Reprenons le cas de votre chaîne de magasins d’ameublement. Le tribunal de commerce de Marseille fait de vous votre propre repreneur ce lundi, en application de l’« ordonnance covid ». Vous êtes désormais un homme neuf (ou une femme neuve) car vu que l’entreprise est reprise, au revoir les dettes. Pour ça, voyez avec l’ancienne direction. Dans le cas d’Alinéa, il y en a pour 70 millions d’euros tout de même.
Par ailleurs, qui dit repreneur dit offre de reprise. La vôtre est salée puisque vous prévoyez de vous séparer de 992 emplois et de fermer 17 magasins sur les 26 de votre enseigne. Alea jacta est. Et puisque c’est votre offre qui a été choisie, vous avez les mains libres pour l’appliquer, le tribunal de commerce, magnanime, ne vous ayant pas demandé de la revoir à la hausse. Il faut dire que vos poches sont vides : vous faites partie de la famille Mulliez, à la tête d’Auchan où un plan social vient d’être annoncé, et si votre patrimoine est de 26 milliards d’euros d’après Challenges, il était de 38 milliards il y a encore deux ans.
Et ç’aurait été globalement pareil si vous étiez à la tête d’une grande enseigne de puériculture, sauf que là, vous auriez créé une nouvelle entreprise uniquement dans le but de racheter votre boîte et d’y injecter de nouveaux fonds. Là aussi, vous êtes celui qui a planté ladite boîte et qui la récupérez tranquillement. Et là aussi, il y aura de la casse sociale, puisque votre offre prévoit de conserver 430 points de vente sur 515. Que voulez-vous, c’est la crise, la covid, tout ça, tout ça... Et tant pis si les difficultés de votre entreprise, comme celles d’Alinéa, datent de bien avant la crise sanitaire.
Alors que penser de cette « ordonnance covid » ? Probablement que l’enfer est pavé de bonnes intentions et que les conséquences potentiellement néfastes, surtout dans le cas d’Alinéa, n’ont à tout le moins pas toutes été anticipées. On pourrait également être tentés de penser que pour certains, la covid-19 a bon dos.
Thierry ALLARD