FAIT DU JOUR À 88 ans, Manu le roi de l'aligot est toujours derrière les fourneaux
"Tant qu'on ne verra pas un coffre-fort suivre un corbillard, je continuerai de travailler". Voilà ce que répond Emmanuel Marc, dit Manu, quand on lui demande quand est-ce qu'il compte prendre sa retraite. À 88 ans, le chef du restaurant bagnolais L'Aveyronnais n'est pas prêt de raccrocher le tablier.
Manu file l'aligot comme personne. Il y a quelques années, le directeur du tourisme en Aveyron enviait même la carte du restaurateur installé sur l'îlot Saint-Gilles à Bagnols depuis onze ans. Sur le menu, les spécialités de la région d'origine régalent les clients tous les jours de la semaine, sauf le lundi. Pas question de leur servir du "dur" comme il dit, il n'y a que des produits frais dans les assiettes. Et on ressort le ventre plein, sans pouvoir "manger encore un bout de pain à la maison".
Manu tient sa rigueur en cuisine et ses recettes de sa grand-mère. Né dans une famille de six enfants, c'est toujours lui qui était appelé pour donner un coup de main sur la popote familiale. Seuls les adultes avaient le droit de parler à table. On est loin de l'atmosphère baignant son restaurant aujourd'hui. Si Manu est toujours là plus de 10h par jour, c'est pour apporter du bonheur aux gens : "En moyenne dans une vie, on mange 40 000 repas. C'est 40 000 occasions de régaler quelqu'un. Et voir les gens se régaler, je n'ai rien trouvé de plus beau."
Un accident en septembre mais Emmanuel Marc de retour en cuisine
En septembre 2021, tout a failli s'arrêter. Emmanuel Marc renverse de l'eau d'une marmite en cuisine, glisse et sa tête heurte le sol. Résultat : crâne fracturé, perte de connaissance et le bras ébouillanté. Après 15 jours d'hôpital, le restaurateur se remet petit à petit et depuis un mois, il est de nouveau au travail, son tablier estampillé "L'Aveyronnais" attaché et le foulard rouge typique du sud-ouest noué autour du cou.
"Même si je lui demande de s'arrêter, il ne le fera pas. Les médecins non plus ne parviennent pas à le convaincre", lance en riant sa femme Natacha, qui a plusieurs dizaines d'années de moins que lui, et qui travaille à ses côtés. Aujourd'hui, le couple ravit ses clients avec ses têtes de veau, tripoux, choux farcis, cassoulets, truffades et planches de charcuterie... Mais Manu a eu 1 000 vies avant de faire ses premiers pas en cuisine alors âgé de 40 ans. Pas du tout du métier, il oeuvrait caché derrière les fourneaux de Lou Pascalou à La Roque-sur-Cèze. Dans les années 2000, il a aussi créé L'Estaminet de l'Aveyron dans le nord de la France, près de Béthune, où il faisait à manger notamment pour le club du 3e âge.
Première arrivée dans le Gard rhodanien en 1953
Mais la première fois que Manu a posé ses valises dans le Gard rhodanien, c'était en 1953 pour effectuer son service militaire à L'Ardoise. Il a ensuite géré pendant cinq ans une station ESSO le long de la Nationale 7 à Sénas (Bouches-du-Rhône), à l'époque où l'autoroute n'existait pas encore. Des célébrités de passage venaient lui signer son livre d'or, notamment Henri Génès qui chantait "Le Facteur de Santa Cruz". Manu se rappelle aussi de la fois où il avait habillé son fils aîné en mini bonhomme Esso "goutte d'huile". La photo du "plus jeune pompiste de France" avait été vendue à 25 journaux français et étrangers.
Manu a ensuite fait grossiste en boissons pour les bars de Bagnols-sur-Cèze (qui en comptait 26 à l'époque). La petite ville florissante profite du vent arrière insufflé par l'implantation de Marcoule dans les années 60. De nombreuses personnes venues de toute la France s'y installent. Ce qui permettra à notre Aveyronnais de lancer et de présider un club de volley. L'équipe finira championne du Gard la première année, puis du Languedoc la seconde saison.
La petite affaire des boissons s'arrête et Manu se reconvertit dans l'installation de caisses enregistreuses ANKER dans le sud de la France. Il finira meilleur vendeur du pays avant d'encore changer de cap et d'ouvrir un camping estival de 200 places à Saint-Just-d'Ardèche, le "Bel ombrage". Là encore, les inondations auront raison de son entreprise. Après cela, l'homme travaille dans le domaine du bois et des chaudières sans pour autant "avoir jamais tenu une clé anglaise" de sa vie.
L'inventeur du vélo kangourou
Il scinde en deux son affaire de chaudières pour vendre des VTT. Il inventera même son propre modèle : le vélo kangourou. "C'est un vélo sans selle, sans chaîne, sans pédales qui fonctionne avec l'excentré de la roue arrière", explique-t-il. Un peu comme la bielle d'une locomotive. Le cycle doit son nom à cette impression de sautillements permanente. Une association est créée pour ce vélo d'un nouveau genre et l'ancien maire de Montpellier, Georges Frêche, en sera le président d'honneur. Sur les foires, des courses de vélos kangourou sont organisées. Un des fils de Manu a même effectué la fameuse course de cote de Sabran avec le vélo.
Manu a aussi tenu un élevage de poules pondeuses à Sabran, inventé un biscuit apéritif, présidé une association de billard français à Bagnols ou encore vendu des liens de cerclage pour les opérés du coeur. Il en faudrait des feuilles pour faire tenir tout son CV sur papier. Lui-même concède qu'il a une "vie extraordinaire" à sauter d'un domaine à l'autre, à profiter des réussites et à rebondir après les échecs. "Comme quoi, tout est possible même si on n'a pas eu son certificat d'étude", conclut-il avec fierté et sagesse.
Marie Meunier