FAIT DU JOUR Aux côtés des élus locaux, les manadiers veulent battre le fer tant qu'il est chaud
Après avoir passé une journée à Paris à la rencontre des décideurs politiques, le président de la communauté de communes de Petite Camargue, André Brundu, et les représentants des manadiers étaient à nouveau réunis ce vendredi pour trouver des solutions pour la défense des traditions taurines. La préfète du Gard, le sénateur Laurent Burgoa et plusieurs maires de communes camarguaises étaient aussi au rendez-vous.
"Au yeux de l'État, on est des OVNIS". La phrase lâchée par l'emblématique manadier Béranger Aubanel traduit le ras-le-bol de toute une profession, prise dans l'étau d'une crise sanitaire et assurantielle. Plus que jamais organisés et soutenus par les élus locaux, les manadiers veulent profiter de leur écho nouveau auprès des décideurs politiques au sommet de l'État pour faire évoluer la loi.
Et les chantiers sont multiples. "La Fédération des manadiers n'a que trois ans d'existence, pointe son président, Florent Lupi. Les urgences sont nombreuses. À commencer par la reconnaissance officielle de notre métier et de ses spécificités, dans le cadre d'un décret par exemple." Alors qu'ils sont pour certains à la fois éleveurs, organisateurs d'événements, commerçants et professionnels du tourisme, entrer dans les dispositifs d'aides pendant la crise sanitaire fut un véritable chemin de croix.
Profiter de la digitalisation
"Nous remercions la Région et les collectivités locales qui nous ont maintenus sous perfusion et permis de survivre ces derniers mois, poursuit Florent Lupi. Mais aujourd'hui nous aimerions tout simplement vivre notre métier." D'autant que selon les chiffres annoncés par sa fédération en 2020, les flux financiers générés par les activités des manadiers sur le Gard, l'Hérault et les Bouches-du-Rhône avoisinent les 30 M€. "Nous devons faire en sorte que la valeur ajoutée que nous produisons nous nourrisse correctement", résumait Florent Lupi dans les colonnes de notre magazine, fin mars.
Volontaire, la Fédération ne compte pas que sur l'évolution du cadre législatif et entend aussi utiliser les armes du XXIe siècle pour défendre sa profession. "Nous avons remarqué qu'il manquait un outil centralisateur pour faire la promotion des activités des manades, indique son président. Nous travaillons sur le lancement d'une application qui regrouperait toutes nos activités commerciales. C'est beaucoup de travail et nous n'en sommes qu'à l'élaboration de la matrice. Nous aimerions qu'elle puisse être en ligne dans deux ans."
Réformer le système assurantiel
D'ici là, les manadiers espèrent aussi une réforme du système assurantiel actuel qui fait peser un poids trop important sur leurs épaules. "D'un point de vue législatif, c'est le code napoléonien qui est toujours en vigueur, pointe Béranger Aubanel. En cas d'incident sur le parcours des abrivados et des bandidos, ce sont les éléveurs et les organisateurs qui trinquent. On aimerait partager la responsabilité avec les participants qui se trouvent sur le parcours."
"Les tarifs des assurances ont été multipliés par cinq ces dernières années et plus grand monde accepte de nous couvrir, renchérit Florent Lupi. Résultat, sur les 116 manades membres de notre fédération, une vingtaine seulement organisent encore des abrivados et des bandidos." En juin dernier, la sénatrice gardoise Vivette Lopez a déposé une proposition de loi pour évoluer les choses. Elle suscite une large adhésion des élus locaux de tous bords qui militent désormais pour un placement rapide à l'ordre du jour.
Il faut dire que les enjeux sont palpables. Clés de voûte des fêtes votives, les manifestations taurines sont essentielles à l'économie des villages. "Certains de nos cafés réalisent 50% de leurs chiffres d'affaires lors de ces événements, souligne le maire d'Aubord, André Brundu. Si on ne peut plus les organiser, ce serait le coup de grâce pour ces commerces."
Fêtes votives ou journées taurines ?
Cette année encore, situation sanitaire oblige, ces fêtes votives sont fortement menacées. "Même après le 30 juin, on devrait être obligés de respecter les gestes barrières, abonde celui qui est aussi président de la CCPC. Avec des masques et la notion de quatre mètres carrés par personne, l'organisation des traditionnels bals est difficile à envisager. Dans le pire des cas, on fera des journées taurines."
Le sénateur Laurent Burgoa, lui, espère plus. "Jeudi, le parlement a adopté la sortie de l'état d'urgence sanitaire, avance-t-il. Les préfets devraient pouvoir adapter leurs décisions au cas par cas. Je crois vraiment qu'il faut faire confiance aux maires qui nous ont prouvé depuis le début de la crise qu'ils étaient responsables."
Là aussi, les manades jouent gros. Une saison sans fête votive pourrait précipiter bon nombre d'entre elles vers la faillite. "Il ne faut pas oublier que les taureaux dessinent les paysages camarguais, rappelle Laurent Burgoa. La disparition des manades serait aussi une catastrophe écologique pour nos territoires."
Pour la Camargue - qui candidate à une entrée à l'UNESCO - un avenir sans les manadiers est inenvisageable. Il y a deux semaines, c'est dans une démarche pédagogique que les représentants de la profession et des élus locaux ont rencontré des représentants du ministère de l'Agriculture, du Sénat et de l'Assemblée Nationale à la mi-mai. Tous veulent désormais battre le fer tant qu'il est chaud. Histoire d'envisager l'avenir des traditions taurines avec un peu plus d'optimisme.
Boris Boutet