Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 30.03.2021 - boris-boutet - 4 min  - vu 7176 fois

FAIT DU JOUR Devenir femme à 40 ans : le long combat de Marina Lafon

Aujourd'hui Marina Lafon s'épanouit dans son nouveau corps. (Photo Boris Boutet)

Née dans le corps d'un garçon au début des années 1980, Marina, le nouveau prénom qu'elle a choisi à son changement de genre, a démarré sa transformation en 2019. La Vauverdoise revient sur son parcours jonché d'obstacles et son engagement aux côtés des personnes transgenres. Portrait.

À voir le large sourire qu'elle affiche désormais, difficile d'imaginer le parcours du combattant traversé par Marina Lafon. "J'ai toujours été attirée par tout ce qui est féminin." Très jeune déjà, alors qu'elle s'appelait Sébastien, la Gardoise était mal dans sa peau de garçon. "À l'âge de 6 ou 7 ans, j'ai dit à mes parents que j'aurais préféré être une fille. Mon père m'a répondu par une gifle de cow-boy, explique-t-elle. J'étais un garçon et c'était comme ça. J'ai appris à faire avec et je n'en ai plus reparlé pendant des années." 

Mais immanquablement, la réalité l'attend à chaque coin de route. Incapable de supporter plus longtemps cette vie de mensonge, Sébastien quitte le domicile familial à 15 ans. "J'avais besoin d'aide mais il n'existait pas toutes les associations que les jeunes ont aujourd'hui." Pas d'autre choix alors que de poursuivre sa vie dans le déni. D'autant qu'à 20 ans, le jeune homme devient père pour la première fois. "J'ai toujours été attirée sexuellement par les femmes. J'ai eu quatre enfants avec trois femmes différentes. À chaque fois, la paternité me freinait dans les démarches que je souhaitais entreprendre." 

Dysphorie de genre

Dans son entourage, personne ne se doute de rien. "J'étais très forte pour le cacher, reconnaît-elle. Mais plus le temps passait, plus le secret devenait insupportable. En 2016, je prévoyais de me marier et je voulais que ma femme sache tout. Un jour, une émission à la télévision montrait le combat de plusieurs transgenres. J'ai tâté le terrain en lui demandant ce qu'elle en pensait. Elle m'a répondu : « pour moi, ce sont des homos refoulés ». J'ai compris que ce n'était pas le moment et l'on s'est mariés sans qu'elle ne sache rien." 

Au fil du temps, l'état d'esprit de son épouse évolue et donne du courage à Sébastien. "À l'été 2019, j'arrivais à un moment de ma vie où il fallait que ça sorte, raconte-t-elle. Nous avions passé de superbes vacances où j'avais commencé à montrer ma part de féminité. Au retour, j'ai sauté le pas. Je m'attendais à une scène de ménage mais elle est restée très calme. Elle était surprise, bien sûr, mais elle m'a simplement demandé ce qui allait se passer." 

Avant d'entamer les démarches médicales, Sébastien doit d'abord faire reconnaître par un psychiatre sa dysphorie de genre, c'est à dire la discordance entre son identité et son sexe d'assignation à la naissance. "Il fallait démontrer que je ne souffrais pas d'une maladie mentale, explicite-t-elle. Dès lors que la psychiatre l'a certifié, ma femme m'a soutenu. Ce parcours nous a même rapprochées." 

"Hiroshima dans mon corps"

Sur attestation, Sébastien peut donc se rendre chez l'endocrinologue pour entamer un traitement hormonal à l'automne 2019. "C'était Hiroshima dans mon corps, image la Vauverdoise. Il a fallu tout déconstruire et reconstruire. J'ai été accompagnée par Laura, une transsexuelle du coin que j'avais rencontré sur un forum en ligne. Elle m'a expliqué sans concession la difficulté du parcours qui m'attendait." 

Car ce traitement physique s'accompagne aussi et surtout de souffrances psychiques. Des difficultés qui participent à faire bondir le taux de suicide chez les transgenres, qui se donnent sept fois plus la mort que la moyenne nationale. "Quand on voit ce que beaucoup de gens pensent de nous, on ne peut pas se considérer autrement que comme un monstre, confie Marina Lafon. Je me suis considérée comme tel. Surtout pendant ma transition. Si ma femme ne m'avait pas soutenue, je ne serais peut-être plus là." 

Marina Lafon a eu besoin de courage pour en parler à ses enfants. (Photo Boris Boutet)

Car contrairement à beaucoup de transgenres, la Vauverdoise qui a choisi il y a environ un an le prénom de Marina, vit ce grand changement dans des conditions - presque - idéales. "Le plus dur ça a été d'en parler à mes enfants, indique-t-elle. Les aînés sont adolescents. Ils ont été incroyables et l'ont très bien accepté. Ils continuent à m'appeler papa en privé. Pour ma fille de 7 ans, il a fallu y aller en douceur. Elle m'a posé des centaines de questions et a fini par me dire qu'elle ne cesserait jamais de m'aimer. Elle m'appelle désormais maman Marina." 

Un engagement associatif fort

"Je crois que je n'ai perdu qu'un ami qui n'a pas réussi à l'accepter, même s'il est resté très respectueux, poursuit-elle. Ma grande sœur se rappelait très bien de ce que j'avais dit à mes parents petite et n'était pas surprise." À la tête d'une entreprise de menuiserie, Marina Lafon vit par moments des scènes cocasses sur ses chantiers. "Certains clients ne me reconnaissent pas et font des éloges à Sébastien en pensant que c'est mon mari", rigole-t-elle.

Aujourd'hui, la transition de Marina Lafon est bien avancée, même si elle doit encore subir une vaginoplastie et poursuivre de nombreuses démarches administratives pour faire changer son nom et son genre sur l'ensemble de ses papiers d'identité. En parallèle et aux côtés de son amie Laura, la Vauverdoise a créé une section trans au sein de l'antenne gardoise d'Arap-Rubis, une association de lutte contre les discriminations.

"En un an, nous avons rencontré une cinquantaine de personnes transgenres, parfois accompagnées de leurs proches, témoigne-t-elle. L'objectif est de lutter contre l'isolement. Aujourd'hui, les jeunes osent beaucoup plus assumer qui ils sont. J'ai passé 38 ans de souffrance, avec ce poids qui ne me lâchait jamais. Mon but, c'est que la société évolue pour que ce soit plus facile pour les générations futures." Des permanences ouvertes à tous sont organisées à Nîmes tous les mercredis après-midi. Histoire de faire enfin baisser l'effrayant taux de suicide des personnes transgenres.

Boris Boutet

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