Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 28.09.2022 - francois-desmeures - 6 min  - vu 889 fois

FAIT DU JOUR Fabien Liagre, créateur d'Agroof : "Voir comment les arbres peuvent améliorer les systèmes de production agricole"

Fabien Liagre (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Fabien Liagre a commencé l'agroforesterie en 1996, en Espagne, avant de créer Agroof, à Anduze, en 2000 (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Fabien Liagre était précurseur en créant Agroof, société coopérative et participative dédiée à l'agroforesterie, au début des années 2000, à Anduze. Une pratique qui  associe des plantations d'arbres ou d'arbustes aux cultures agricoles, afin, notamment, de tempérer les périodes climatiques extrêmes, gel compris. À la suite de l'été caniculaire que la France vient de traverser, il ne s'est jamais autant parlé d'agroforesterie. Entretien avec cet agro-économiste chargé de recherche et développement dont la société intervient dans toute la France.

Objectif Gard : Quand commence-t-on à parler d'agroforesterie de manière scientifique ?

Fabien Liagre : Au niveau traditionnel, l'agroforesterie a toujours existé. Mais le développement récent est quand même très lié au scientifique. C'est aux États-Unis et au Canada qu'ils ont lancé le terme qui date de 1980 et, en France, de la fin des années 1990. Ç'a été progressivement développé, dans tout ce qui était plantations d'arbres, prairies, grandes cultures, vignes. Mais tout ça, de manière très progressive.

Les équipes scientifiques sont parties d'un constat ou ont voulu approfondir une intuition ?

Au début, ce furent des forestiers qui voulaient voir si on pouvait planter de manière différente, à faible densité par rapport à une forte densité d'arbres. Sous des faibles densités, on mettait des animaux ou du fourrage. Sauf que les études de systèmes traditionnels montraient bien qu'il y avait quand même autre chose : un savoir-faire des agriculteurs dans la gestion de l'association, et donc des interactions entre l'arbre et la culture. Il y avait vraiment une vocation agronomique. À Agroof, c'était notre cheval de bataille. De voir comment les arbres peuvent améliorer les systèmes de production agricole. Avant Agroof, je travaillais à l'Inra. Je voulais faire le lien entre la recherche et le terrain. On ne parlait pas encore de changement climatique à l'époque mais en tout cas, du point de vue agronomique, ça pouvait être intéressant.

Quand a-t-on eu un début de confirmation scientifique ?

L'Inra de Montpellier a montré qu'en associant l'arbre et la culture, on produisait davantage de biomasse sur la parcelle. C'était un des premiers arguments. Et puis, en fait, chaque année maintenant, avec le temps qui passe - parce qu'il faut attendre un petit moment pour voir ces interactions - on voit des services potentiellement rendus par les arbres dans les parcelles agricoles, que ce soit au niveau de la biodiversité, de la qualité de l'eau, de l'amélioration du sol. Ça donne autant d'arguments pour sensibiliser les gens à planter. Mais gérer les interactions entre l'arbre et la culture, ou l'animal, ce n'est  jamais tout blanc ou tout noir. On observe à la fois des services rendus mais aussi des "disservices", comme on dit. Chaque année amène son lot de connaissances nouvelles. Quand on a un climat pluvieux, ou une canicule, l'impact de l'agroforesterie ne va pas du tout s'exprimer de la même manière.

"Les arbres vont filtrer des nitrates qui échappent aux cultures"

Quelles sont, donc, les améliorations visibles ?

Un des effets intéressants, c'est que le bilan hydrique et azote est amélioré en agroforesterie. Les arbres vont filtrer pas mal de nitrates qui échappent aux cultures qui sont les principales sources de pollution des eaux potables. Au bout d'une dizaine d'années, les arbres vont recycler 80-90%, voire 100% de l'azote qui est perdu par les cultures. Un résultat qui intéresse forcément les agences de l'eau pour la protection des aires de captage. Le bilan hydrique est également positif : capacité à maintenir la pluie, à limiter les ruissellements, etc.

L'arbre ne "pompe" pas tout donc...

Non, et il pompe à une profondeur différente de la culture. Mais il va beaucoup jouer sur le microclimat. Quand il fait chaud ou qu'il y a du vent, il va vraiment limiter l'évapotranspiration des cultures. Elles vont moins consommer d'eau, moins souffrir de stress hydrique. C'est un effet très positif par rapport à ce qui nous attend en matière de changement climatique. On a vraiment beaucoup de demandes des éleveurs pour protéger les prairies, protéger les animaux du stress thermique. Pour la vigne afin de tamponner les excès climatiques, coups de chaud ou gelées tardives.

La biodiversité en est-elle améliorée ?

La biodiversité et au sens large, les pollinisateurs, mais aussi toute la biodiversité qui participe au fonctionnement du sol. En cas de canicule, la température au sol peut dépasser les 50°. C'est néfaste pour toute l'activité, que ce soit au niveau des champignons, des bactéries mais aussi des vers de terre, des insectes, etc. Les arbres vont protéger mais aussi amener pas mal de nourriture : des racines fines, des feuilles. Et puis, on améliore la fertilité des sols agricoles, surtout dans la deuxième partie de la vie des arbres. Une fois que les taux de matière organique remontent, je peux réduire mes apports d'azote minéral, que j'aurais éventuellement acheté en Russie...

"L'agroforesterie ne sauvera pas tout, c'est une alternative."

Après l'été que nous venons de vivre, avez-vous pu constater de gros écarts entre des cultures ombragées et d'autres laissées au soleil ?

Généralement, on le voit. Sauf qu'on a eu un hiver, un printemps et un été secs. Ici, la sécheresse joue pour tout le monde. Par contre, en cas d'hiver assez pluvieux - ce qui nous attend aussi, des concentrations en pluviométrie - l'effet microclimatique peut être intéressant. Le mois dernier, on était en Espagne, en Estrémadure, à certains endroits ils n'ont rien récolté du tout en blé dur. En Castille et Leon, ils atteignent des 60% de pertes de rendement, d'une quarantaine de quintaux par hectare, à 17 ou 18. Des céréaliers ont carrément arrêté. Progressivement, on va vers des climats espagnols. Si on ne se protège pas aujourd'hui, on aura des soucis. Les Espagnols ont aussi un système d'agroforesterie, la Dehesa : on y observe un échaudage limité.

L'agroforesterie dispense-t-elle d'une réflexion sur le type de plantations agricoles dans le futur ?

Elle ne sauvera pas tout, c'est une alternative. Il faut travailler le choix des variétés, plus résistantes, et peut-être des mélanges de variétés. C'est vrai aussi pour les animaux. il faut aussi travailler les couverts herbacés. On a souvent été porté sur la spécialisation en France. Il faudra peut-être revenir à des associations en matière d'assolement. Ne pas tout miser sur l'abricot, mais préférer un système abricots, céréales, élevage, pour gérer le mieux possible la fertilité.

De votre côté, êtes-vous aussi contraints d'adapter les essences que vous conseillez en agroforesterie ?

Ça fait partie des questionnements. On travaille essentiellement sur le végétal local. Ça peut paraître bizarre, par rapport au changement climatique. Sauf que jusqu'ici, quand on plantait des arbres ou des haies, le pépiniériste nous fournissait des arbres produits à partir de semences de pays de l'Est ou de pays à bon marché. Quand on va se balader, on peut voir des chênes verts ou des cormiers magnifiques, récolter les graines et travailler avec des pépiniéristes pour produire des plants. On a développé la filière. Et puis, on introduit des sous-variétés de zones climatiques plus chaudes. En ce moment, on travaille beaucoup sur des parcs à cochons, on y met des chênes de la Dehesa...

Assistez-vous à une prise de conscience des agriculteurs, une hausse du nombre de demandes ?

En fait, ça va crescendo. On a beaucoup de demandes d'éleveurs, de toute la France. La semaine dernière, on était dans l'Indre : rien que dans l'Indre, en un mois, il y aura trois formations avec trois structures différentes. On a de plus en plus de demandes des viticulteurs ; des producteurs de plantes aromatiques, etc.

"Les paysages de Beauce risquent de changer"

Depuis plus de vingt ans, votre travail a-t-il beaucoup changé ?

On change tout le temps. Les tout premiers projets qu'on a planté à grande échelle, c'était en 2006-2008. Désormais, on a un terrain de jeu vraiment intéressant, sur toute la France, sur des thématiques de plus en pointues. En ce moment, on travaille beaucoup sur l'arbre fourrager, à la fois pour les ruminants et pour les porcins. Ce n'est pas uniquement regarder la valeur du gland : on a plein de variétés de chênes, comment travailler l'amélioration variétale, la productivité des chênes, etc.

L'agroforesterie n'est-elle cohérente qu'avec des cultures biologiques ?

Au début, on avait plus d'agriculture conventionnelle que de bio. Aujourd'hui, c'est l'inverse.

Peut-elle s'adapter a des hectares de culture en ligne, parfois automatisées, comme les céréales de la Beauce ou même les vignes chez nous ?

En ligne, oui. L'agroforesterie concerne aussi les haies, qui ont un effet brise-vent intéressant. Avec les drones, l'imagerie, on se rend compte des effets au mètre carré près, et donc même au milieu de la parcelle, loin de la haie. On y relève une surproduction. Dans quelques années, les paysages de Beauce risquent de changer avec des résultats comme ça. On risque de redécouper des îlots de 15 ou 20 hectares entourés de haies productives (bois énergie ou chimie verte). Chez nous, ça dépendra d'où on se trouve, entre la vallée du Rhône, les Costières et les Cévennes.

Dans la réflexion d'installation d'un nouvel agriculteur, est-ce que l'agroforesterie doit, à votre avis, devenir un préalable obligatoire ?

Je ne suis pas pour rendre obligatoire les choses. Mais oui, un jeune agriculteur, il a intérêt à planter tout de suite. Parce qu'il faut attendre 10-15 ans pour voir les effets positifs.

Propos recueillis par François Desmeures

francois.desmeures@objectifgard.com

François Desmeures

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