FAIT DU JOUR Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur : "Voir des jeunes à Nîmes s’entretuer pour la vente de stupéfiants est toujours un drame"
Face à la situation dramatique de ces derniers mois dans des quartiers populaires nîmois, la prise de parole du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, était attendue. Il a choisi de s'exprimer en exclusivité sur Objectif Gard ce jeudi matin. Une interview où toutes les questions ont été posées directement au ministre.
Objectif Gard : Depuis plusieurs mois, les règlements de compte se succèdent à Nîmes. Trois morts en 15 jours. Que comptez-vous faire pour enrayer cette spirale dramatique ?
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur : Je suis la situation à Nîmes au quotidien, en lien avec la députée Françoise Dumas. Des engagements très clairs ont été pris. Jeudi dernier, j’ai décidé l’envoi d’une compagnie de CRS, c’est-à-dire 60 policiers qui sont venus en renfort dans le contexte actuel. Par ailleurs, 13 policiers supplémentaires vont rejoindre durablement les effectifs de Nîmes, 10 au 1er avril et 3 au 1er septembre, ainsi que plusieurs adjoints de sécurité dès le 1er mars. Quant aux équipes d’investigation, notamment du service de la police judiciaire, elles sont pleinement mobilisées pour retrouver les auteurs de ces crimes. C’est pour lutter à la racine contre ce type de faits que j’ai fait du trafic contre les stupéfiants et les bandes ma priorité. Je veux m’attaquer aux deux bouts de la chaîne. En premier lieu aux trafiquants, via le démantèlement de points de deal qui pourrissent la vie des Français - sept opérations de démantèlement de points de deal ont été menées dans le Gard depuis le 1er janvier - et en intensifiant les opérations dans les quartiers. Mais également en tapant le portefeuille des consommateurs. Car pour qu’il y ait du trafic, il faut qu’il y ait des gens en face qui achètent. Depuis le 1er septembre, les policiers peuvent dresser des amendes de 200 euros pour possession de stupéfiants. Plus de 250 amendes de ce type ont été dressées dans le Gard en trois mois.
Vous avez conscience que les habitants de ces quartiers n’en peuvent plus ? Des familles ont peur de sortir de chez eux, même en journée. Votre responsabilité n’est-elle pas d’assurer la sécurité de tous ?
C’est une préoccupation constante. J’ai passé des consignes très claires aux services de police pour accroître leur présence au contact et au service des habitants et leur donner les moyens et la disponibilité pour agir. Il faut aussi renforcer les partenariats étroits noués avec la municipalité, les bailleurs, les transporteurs, l’éducation nationale, ainsi que la justice.
"Nous sommes face à une lutte pour reprendre le contrôle du territoire"
Les règlements de compte sont probablement liés au trafic de stupéfiants. Pourquoi cette flambée de violence actuellement à Nîmes ? Avez-vous des renseignements ? Est-ce une guerre de territoire ? Un lien avec des réseaux venus d’ailleurs ?
Entre octobre et décembre 2020, la police judiciaire de Nîmes a procédé au démantèlement des deux organisations criminelles du Chemin bas d'Avignon et du Mas de Mingue, dans le cadre du contentieux les opposant notamment sur le contrôle d’un point de deal très fructueux situé dans le premier quartier. Les opérations menées permettaient d’appréhender 30 individus, dont 18 d’entre eux étaient mis en examen, parmi lesquels les principaux leaders des deux gangs. Une quinzaine d’armes à feu ont été saisies ces derniers mois. Nous sommes face à une lutte pour reprendre le contrôle du territoire et des trafics qui s’y déroulent.
Est-ce que cette situation se retrouve dans d’autres villes moyennes en France ou est-ce un phénomène gardois ?
Cette situation se retrouve dans d’autres quartiers de France qui sont gangrénés par les trafics, au premier rang desquels celui des stupéfiants. C’est la raison pour laquelle la lutte contre ces trafics est une priorité gouvernementale, tout comme la répression des violences qui les accompagnent.
Vous avez promis un renfort de 13 policiers supplémentaires pour la ville de Nîmes. Est-ce suffisant ? À quelles missions seront-ils affectés précisément ?
Il s’agit d’un effort sans précédent. La priorité est de les déployer sur la voie publique, contre les délinquants et au profit direct de la population.
Concrètement, on s’aperçoit que tous les jours des petits vendeurs de rues sont interpelés. Mais rarement les têtes de réseau car cela demande des enquêtes de très longue haleine. Allez-vous envoyer des enquêteurs expérimentés pour démanteler ces gros réseaux ?
Un plan anti-stupéfiants a été lancé au niveau national et a été déployé au niveau local, avec la mise en place d’une cellule départementale spécialement dédiée à ce sujet le 30 septembre dernier. Son objectif est de mieux employer le savoir-faire de tous les enquêteurs, qu’ils soient rattachés au commissariat de Nîmes comme dans des services spécialisés de lutte contre le crime organisé comme la police judiciaire. Ces gros réseaux font l’objet d’un travail patient et efficace, comme en témoignent les affaires récentes élucidées sur Nîmes. Il faut évidemment poursuivre ce travail et permettre à la justice de poursuivre ces trafiquants en les identifiant, et en rassemblant le maximum de preuves.
"Voir des jeunes s’entretuer pour la vente de stupéfiant est toujours un drame"
Comme le suggère la députée Françoise Dumas, est-ce possible de prévoir le déploiement permanent de forces mobiles le temps de calmer les esprits, d'éviter une accentuation des conflits, dans l'objectif de réintroduire les services de l’état et des collectivités territoriales ?
Tout dépend de la disponibilité de ces unités, en fonction des besoins et des évènements. Mais l’objectif est de maintenir ceux qui sont actuellement déployés tant que la situation le nécessite.
Vous avez fait de la sécurité intérieure l’un des enjeux majeurs lors de votre mission à la tête du ministère de l’Intérieur. N’est-ce pas un échec personnel de voir des jeunes s’entretuer pour la vente illicite de stupéfiants ?
Voir des jeunes s’entretuer pour la vente de stupéfiants est toujours un drame. L’action du Gouvernement est déterminée. Mais si on peut bien sûr tout reprocher à l’État et spécialement au ministère de l’Intérieur, je pense qu’il faut aussi s’interroger sur la société toute entière, qui tolère voire encourage une violence de plus en plus exacerbée, sur ces parents qui démissionnent de l’éducation de leurs enfants…
Allez-vous venir à Nîmes comme le réclame depuis des mois le maire, Jean-Paul Fournier, qui voit sa ville régulièrement à la "Une" de la presse nationale pour des faits de violence ou de crime ?
Je suis la situation nîmoise quotidiennement. J’avais reçu le maire de Nîmes et les parlementaires du département, notamment la députée Françoise Dumas, le 23 septembre. Je suis en lien régulier avec eux. Un déplacement est prévu dans les prochaines semaines.
Propos recueillis par Abdel Samari (avec Boris de la Cruz)