FAIT DU JOUR Le caviar du sel se cueille à la main
La fleur de sel, se forme en surface et se récolte à la main pour ne pas la mélanger aux couches inférieures au goût moins subtil. Luc Vernhes, responsable de la récolte veille avec un soin jaloux sur son équipe et le bon déroulement des opérations.
L'eau salée parcours 60 kms de canaux contrôlés par des portes martelières avant d'arriver jusqu'au tables salantes, grands bassins d'eau peu profonde. Cette cueillette est saisonnière car pour se former, la fleur de sel a besoin des actions conjuguées du vent et du soleil. Loin des regards, à l'écart de la route, les sauniers travaillent de l'aube au zénith. Une opération plus délicate qu'il n'y paraît et qui demande concentration et... amour.
Le paysage offre la vison unique d'une eau rouge bordée d'un blanc brillant, le tout enchâssé comme une pierre précieuse dans un écrin de nature sauvage. C'est une micro algue de la famille des algues vertes, la Dunaliella salina, que l'on retrouve partout où la salinité de l'eau est importante qui colore l'eau. Cette algue est très chargée en bétacarotène et les artémias salina, de toutes petites crevettes s'en nourrissent. Les flamands mangent les crevettes et… deviennent roses au bout de quelques années de ce régime. Lorsque la salinité deviendra forte, les artémias salina disparaissent et l'algue prolifère jusqu'a former une pâte visqueuse. Pendant la récolte, Luc Vernhes vérifie la salinité pour éviter une trop grande prolifération des algues. Il est parfois obligé de rajouter de l'eau moins chargée en saumure.
Une récolte de 500 tonnes… à la main !
Le temps de la cueillette est bref, de mi-juillet à fin août. Sous la houlette de Luc Vernhes, responsable de la récolte, ce sont 14 sauniers intérimaires qui travaillent de 6 heures à midi au complet, une demie équipe, en alternance, restant plus longtemps préparer le travail du lendemain. Ainsi, ce seront environ 500 tonnes du précieux produit qui seront récoltées en une saison, à raison d'environ 20 tonnes par jour.
L'enfant des marais salants
Luc Vernhes est saunier depuis 1978. "Je suis né à Aigues-Mortes. C'est arrivé un peu par hasard, se souvient-il. Je n'étais pas trop doué pour les études, alors j'ai cherché du travail et j'ai été embauché aux Salins. J'avais 18 ans." La suite, c'est l'amour de ce métier qui grandit au fur et à mesure que le jeune homme devient autonome, découvre le plaisir d'être au cœur de cette nature magique, de veiller à la densité de la saumure, à l'entretien des bassins…
Pour récolter la fleur de sel, il faut un lien avec les salins
Et surtout, une fois l'an, à la récolte de la précieuse fleur de sel. Le recrutement de son équipe, il s'en charge avec un soin jaloux. De jeunes hommes entre 18 et 24 ans. Mais attention, il est indispensable qu'ils aient un lien avec les salins : fils, petit-fils ou neveu de saunier. Ce lien, selon Luc Verhnes est une garantie que le travail sera fait avec soin, que la motivation ira au-delà de l'attrait financier d'un boulot de vacances. La grande majorité d'entre eux sont étudiants. Leur chef s'en réjouit. "Je suis heureux qu'ils fassent des études, c'est une fierté." Dans cette équipe, pas de fille car "elle déconcentreraient l'équipe". Luc Vernhes veille sur les garçons : une pause, de l'eau, un mot sympa et une grande attention à la sécurité.
Des big bag d'une tonne !
Tôt le matin la cadence est optimale, puis la chaleur arrivant c'est plus dur et le train ralentit. "Quand le soleil est haut dans le ciel, la saumure monte à 40°. Le travail devient dur." La fleur de sel est légère donc elle s'accumule en bord de bassin, elle se forme en surface, la cristallisation s'opérant grâce au choc thermique entre la fraîcheur de la nuit et la chaleur de l'eau. Les sauniers, chaussés de grosses bottes en caoutchouc et coiffés de casquettes, sont équipés d'une pelle au dos de laquelle on a placé des patins pour éviter de casser la croûte inférieure.
Sentir la fleur de sel craquer sous les bottes
On marche dans l'eau et sous les bottes, on sent la fleur de sel comme une neige fraîche. Facile alors de déterminer où elle s'arrête. Il s'agit alors dans un premier temps de la pousser, puis de la ramasser et de la placer sur des clayettes qui contiennent environ 600 kg de sel. Une fois pleine, la bâche qui la recouvre est refermée avec des sangles et permet l'élévation à la grue et la mise en sac de la collecte. Chaque sac appelé "big bag" contient une tonne. Chaque jour le camion effectue deux rotations.
Les sauniers se relaient au ramassage et à la mise en sac. "Pour faire de jolies clayettes", pointe Luc Vernhes, ce qui compte à 99% c'est la qualité du savoir-faire." Alors il veille avec bienveillance mais une attention de tous les instants au bon déroulement des opérations.
Une fois récoltée la fleur de sel n'est pas conditionnée immédiatement. Sa teneur en eau (20%) est trop importante. Alors elle sèche pendant un peu moins d'un an en attendant que l'humidité descende à 5%. Ensuite elle est mise en boite sous différentes formes et commercialisée quasiment partout dans le monde. La nouvelle récolte commencera à se former mi-juin. Et Luc Verhnes sera là avec son équipe. Une fierté pour ces hommes amoureux de leur métier et dont l'existence... ne manque pas de sel.
Véronique Palomar-Camplan