FAIT DU JOUR Nîmes Olympique contre Auxerre : 25 ans après Belbey et Ramdane se souviennent
Le 4 mai 1996, Nîmes Olympique parvenait à se hisser jusqu’en finale de la Coupe de France, finalement remportée 2-1 par Auxerre. Pour la première fois dans l’histoire de la plus prestigieuse des compétitions, un club de National réussissait l’exploit d’atteindre le Parc des Princes. Pour marquer ce 25e anniversaire, Abder Ramdane, le passeur, et Omar Belbey, le buteur, ont accepté de revenir sur ce match qui fait partie pour toujours de l’histoire des Crocos. Blagues, anecdotes et émotions : ils se souviennent de tout !
Objectif Gard : Avant de parler de la rencontre, vous souvenez-vous des derniers jours avant le match et notamment le voyage à Paris ?
Omar Belbey : Je me souviens d’une chose qui m’avait choqué c’est que la télé était venue aux Courbiers le jeudi avant de partir et que le président Aimé Landes nous demandait nos prénoms parce qu’ils ne les connaissaient pas. Le matin du match on avait rasé la tête de Michel Imbert, l’intendant, on l’avait attaché à trois ou quatre.
Abder Ramdane : On était parti deux jours avant en avion. On était jeune, on se disait on va être dans un hôtel à Paris on va pouvoir visiter. Non, on s’est retrouvé à l’extérieur près de Fleury-Mérogis. Les Auxerrois avaient les grands hôtels et nous on avait la prison !
Est-ce que vous aviez réussi à faire la sieste l’après-midi de la finale ?
A.R : Moi, je dormais tout le temps !
O.B : D’habitude je dormais mais là je n’y suis pas arrivé. Je gambergeais, j’appréhendais un peu le match.
Quelle image vous revient au moment d’arriver au Parc des Princes ?
A.R : L’escorte avec les motards dans la ville. Ça nous a fait bizarre. À Nîmes pas besoin de motards. Quand je suis rentré sur le terrain pour la reconnaissance pelouse, il y avait la finale de la Coupe Gambardella entre Montpellier et Nantes. Je vois Louis Nicollin sur le banc et beaucoup de Nîmois étaient déjà présents en tribune pour former un mur rouge. Quand on est apparus avec nos vestes Adidas rouges toutes pourries, le public s’est levé et j’ai eu des frissons. Et je pense qu’il n’y a pas eu que moi.
Quel était le message du coach Pierre Barlaguet dans les vestiaires ?
A.R : On s’est dit on va tout donner. Je me souviens de Louis Puech, un rebouteux qui était venu avec nous et qui arrivait à hypnotiser les gens. Je lui disais : "je n’y crois pas à tes conneries !". Et 20 minutes avant le coup d'envoi, il m’a senti stressé, il me l’a fait et je me suis endormi pendant une minute.
O.B : Zugna s’est évanoui direct en le voyant arriver !
Et vous Omar, vous l’aviez fait ?
A.R : Non, Omar il ne faut pas le calmer. Il faut qu’il garde son agressivité. Juste avant de rentrer sur le terrain on faisait des blagues à gogo. On ne se prenait pas au sérieux, c’est pour ça que l’on a réussi. C’était notre mode de fonctionnement, on avait besoin de rigoler. Par contre, quand on s’est retrouvés dans le couloir et que l’on a vu les joueurs à côté, ils étaient plus grands, plus musclés, ils avaient tout de plus que nous. On était tout maigre, le maillot était trop large, les manches trop longues. Là on ne rigolait plus.
O.B : Ils étaient champions de France ! Quelques temps avant j’étais venu en spectateur pour voir le PSG jouer en Ligue des Champions contre le Real Madrid et là je me retrouvais sur le terrain, c’était énorme.
"J'avais la chance d'avoir les crampons de Dalmao"
La Marseillaise et la poignée de mains au Président Jacques Chirac, c’est forcément un beau souvenir...
A.R : Tu ne l’entends pas tous les jours donc quand tu l’entends faut la respecter. Ma mère a conservé la photo où je serre la main de M. Chirac. C’est une marque de respect, c’était un bon mec. Il m’avait dit : "bon match, bon vent".
O.B : Moi aussi ! La Marseillaise signifie que tu te retrouves dans un événement pas commun. Je l’ai entendu de nouveau avec l’Algérie face à la France (un match amical en 2001 arrêté après envahissement du terrain, NDLR) mais ça m’a beaucoup chagriné car il n’y a pas eu de respect. Je n’aurais pas aimé que l’on siffle l’hymne algérien en Algérie.
Vos familles étaient-elles présentes en tribunes ?
O.B : Ma mère était là et à la fin du match elle est descendue toute seule des tribunes jusque devant les vestiaires. Je faisais une interview avec Téléfoot et en tournant la tête je la vois. Et un photographe m’avait pris avec elle.
A.R : C’est magnifique de faire une interview avec sa maman à côté !
Passons à la 25e minute et l’ouverture du score : pouvez-vous nous raconter le but ?
O.B : Je te laisse raconter le début, j’expliquerai la fin...
A.R : Tout ce que l’on faisait était instinctif, ce n’était pas calculé. Je gagne un duel devant Taribo West. Il m’avait suivi en individuel tout le match et m’avait dit au début : "c’est toi la grande star du foot, je vais te montrer ce que c’est le foot." D’un air de dire tu vas voler ! Avec Nico (Marx), on se comprenait parfaitement, il fait écran, je déborde et je me dis qu'il faut la mettre en retrait car il n’y a plus d’attaquant dans la surface. Par chance, Omar arrive.
O.B : Je ne sais même pas pourquoi je me retrouve là ! Je veux juste frapper le ballon comme il vient. Jamais je veux la croiser comme ça. Je la retente 10 000 fois, je l’envoie en tribune. Mais j’avais la chance d’avoir les crampons de Dalmao. Guy Roux avait demandé à mouiller la pelouse et je n’avais pas de crampons vissés. Alors José m’a prêté ces Diadora avec une bande en or et elles m’ont permis de marquer.
A.R : Il n’était pas sur la feuille parce que du coup Ludovic Gros était sur le banc et j’ai débuté. Après la demi-finale contre Montpellier (1-0), j’ai été blessé à l’arcade et je ne me suis pas entraîné pendant trois semaines. Je ne pensais pas commencer mais l’entraîneur me dit "tu vas jouer". J’étais surpris. N’importe quel joueur aurait eu la haine contre moi mais pas dans notre groupe. C’était la force de M. Barlaguet qui voit que tu fais partie d’une aventure depuis le début et qui ne veut pas t’enlever.
"Notre ami Bochu s’est pris pour Beckenbauer"
Au moment de célébrer, cela part dans tous les sens.
O.B : Je revois le ballon qui rebondit doucement, je ne le vois pas entrer tout de suite car Rabarivony me fait tomber. C’est quand je vois le gardien allongé avec le ballon derrière lui que je réalise. Je cours vers Abder mais je n’avais pas l’habitude de marquer. Limite je ne sais pas comment célébrer un but...
A.R : Ils viennent tous vers moi pour être devant le public nîmois. Et là je sais pas, je prends le drapeau pour montrer que Nîmes était là. J’y réfléchis parfois et je me dis qu’il y a dans ce geste un petit côté symbolique à Jeanne d’Arc qui porte le drapeau. C’était pour montrer que l’on avait réussi quelque chose. Par contre dans l’adrénaline j’ai galéré à le remettre alors je l’ai juste posé sur le poteau de corner.
Vous menez 1-0 à la mi-temps. C’est quoi le discours à la pause ?
O.B : "Babar" (le surnom de Pierre Barlaguet) nous a boosté et reboosté dans tous les sens. On tenait la dragée haute à Auxerre, ce n’était pas rien. On avait dépensé beaucoup d’énergie. On savait qu’à un moment donné ce ne serait plus possible de courir autant.
A.R : Le National n’a rien à voir avec la première division. J’étais cuit à la mi-temps. On ne parlait pas beaucoup. Pierrot nous disait de ne pas se prendre la tête et de garder le 1-0 le plus longtemps possible. On l’avait fait contre Montpellier donc pourquoi pas aller au bout même si c’était utopique.
O.B : En première mi-temps, Auxerre n’était pas très tranchant. En deuxième, ils ont commencé à jouer. Je me suis dit ils se sont injectés du Chablis dans les veines. Ils allaient à 2 000 à l’heure, même Sabri Lamouchi allait plus vite que moi.
Et puis vous encaissez ensuite deux buts à la 52e et 88e.
O.B : Je n’ai toujours pas compris comment on prend ce but sur corner. Je vois Philippe (Sence, le gardien) il y va puis il recule. Il est peut-être gêné.
A.R : Même à l’égalisation c’était déjà la fin, le deuxième but allait arriver. On n'a plus dépassé le milieu de terrain et on ne s’est procuré aucune occasion.
O.B : Si ! Notre ami Bochu s’est pris pour Beckenbauer en dribblant quatre joueurs puis en tirant. Ce n’était même pas un tir c’était un tacle !
A.R : Juste avant de sortir (68e), je saute à la tête avec Laurent Blanc. Il me regarde et me dit : "tu sautes haut." En retombant, j’avais des crampes de fou, j’étais au bout. Et quand je me pose sur le banc, on m’interviewe. "Vous êtes bien en place ?", me demande le journaliste et Laslandes marque. Le mec s’est levé et il est parti.
Quel sentiment prime au moment du coup de sifflet final ?
O.B : On n’avait pas de regrets. On était fiers de ne pas s’être fait rouster 5-0 comme tout le monde l’annonçait.
A.R : En prolongation, on se serait fait ridiculiser. Maintenant j’aurais pleuré mais à cette époque on ne réalisait pas. On ne l’a pas vécu comme un événement exceptionnel, c’est l’engouement du public qui l’a rendu comme ça. Nous on allait jouer un match de foot. Une ligne dans un palmarès c’est après que tu apprends ça. On avait aucune expérience, une bande de jeunes de 20, 22 ans avec deux, trois briscards qui s’en foutaient complètement et nous laissaient faire. Ça leur redonnait un peu de jeunesse, Pépé, (Christian Perez) nous prenait pour des fous.
O.B : On ne s’est jamais pris au sérieux !
A.R : Après match, la première pensée c’était où on va faire la fête ? On va bien s’habiller. Avant le match, les dirigeants nous avaient réunis et chacun avait reçu une enveloppe de 10 000 francs de prime de match. Si on a été invité, une bonne partie a été dépensée ce soir-là.
O.B : Je me rappelle que l’on avait eu notre poids en bouteille de vin. J’ai reçu 72 bouteilles de la meilleure cave, celle du Bourdic, alors que j’en bois pas.
"Il y avait des drag-queen, j’avais dansé avec eux"
Où étiez-vous sorti ?
A.R : On avait mangé dans un truc gastro sous un chapiteau mais on s’emmerdait, ça durait. Au bout d’un moment, Philippe, qui avait tout organisé, a dit "on y va". On a pris des taxis pour aller au Platinium. Il y avait des drag-queen, j’avais dansé avec eux (rires). J’étais un sauvage c’était nouveau pour nous, on voulait découvrir. Je crois que je n’ai même pas dormi. Dans l’avion plus personne ne parlait.
O.B : J’avais vu Pierre Palmade c’était un chaud (rires).
Le lendemain, il y avait beaucoup de monde pour vous attendre à l’aéroport de Garons ?
A.R : Ils étaient 5 000 ! Le hall était blindé, on ne pouvait pas rejoindre le bus. Qu’est-ce que ça aurait été si on avait gagné.
25 ans après, on vous reparle encore de cette finale ?
O.B : Pas plus tard que mardi dernier, un monsieur me reconnaît et me dit : "merci de nous avoir donné autant de plaisir." J’ai l’impression de n'avoir joué qu’un seul match dans ma vie.
A.R : Ça fait tellement longtemps que je suis parti mais j’ai fait plein d’autres choses dans ma vie. Je n’ai pas fait que ça dans ma carrière de joueur. Après ce sont les Nîmois je ne peux pas leur en vouloir. Après quand j'entends parler de héros contre Montpellier, non. Contre Strasbourg, je rate le penalty. Ça aurait pu s’arrêter.
Êtes-vous toujours en relation entre anciens coéquipiers ?
A.R : Pendant le confinement, j’étais chez moi tout seul. Et j’ai décidé de créer un groupe de discussion, plutôt de blagues, avec tous les joueurs.
O.B : Ça fait plaisir de reprendre des nouvelles. On se voit encore notamment à la Grande-Motte chez Antoine Préget. En tout cas, on est resté une belle bande de copains !
Corentin Corger