FRONTIÈRES ET AUJOURD’HUI Ganges, la commune qui a voulu être gardoise
Elles sont généralement naturelles, parfois absurdes, souvent arbitraires mais toujours présentes : les frontières font partie de notre quotidien. Celles du Gard sont particulièrement tarabiscotées, fruit d’une histoire riche que nous vous proposons de découvrir cet été. Cette semaine, cap sur Ganges, cette commune qui n’a jamais été gardoise, mais qui aurait bien voulu l’être.
L’histoire se transmet de générations en générations, chaque Gardois l’a déjà entendue ou croit savoir qu’il s’est passé quelque chose entre Ganges et Aigues-Mortes il y a fort longtemps, deux siècles au bas mot. Que l’histoire de Ganges, commune héraultaise, n’est pas claire avec le Gard, qu’il y a comme un doute, et qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
L’histoire, c’est que, lors de la création des départements en 1790, dans la foulée de la Révolution, les Gardois auraient sollicité et obtenu l’échange du canton de Ganges, gardois, avec celui d’Aigues-Mortes, héraultais. Le mobile ? Bénéficier d’un débouché sur la Méditerranée. Il est vrai que l’hypothèse, formulée en 1955 dans un livre de l’historien Pierre Gorlier, est séduisante : un rapide coup d’oeil sur la morphologie du Gard permet de s’apercevoir que notre beau département bénéficie d’un littoral très réduit comparé à ses voisins : 23 petits kilomètres en tout.
Seulement voilà : cette histoire ne serait qu’une légende. Plusieurs éléments permettent de le penser. Sous l’Ancien Régime, Ganges appartient à la fois au diocèse et à la sénéchaussée, la juridiction du sénéchal, de Montpellier, comme l’explique le regretté historien Nîmois Georges Mathon sur son site internet. Ainsi, à la Révolution, l’historien affirme que « Dans la Sénéchaussée de Montpellier, Ganges dépendante de l’évêché et de la viguerie de Montpellier deviendra, naturellement, chef-lieu d’un canton de l’Hérault avec ses 10 communes, Agonès, Baucels, Brissac, Cazilhac-Bas, Ganges, Gorniès, la Roque, Montoulieu, Moulès et Saint-Bauzile-de-Putois. » Du reste, une carte du diocèse de Montpellier, datée de 1789, comprend très clairement Ganges.
Plusieurs tentatives
Pour autant, à l’époque certaines communes voisines du Vidourle faisant partie de la sénéchaussée du Montpellier, mais du diocèse de Nîmes seront attribuées au Gard. Il s’agit, toujours d’après Georges Mathon, de Saint Hippolyte du Fort, Sauve, Quissac, Sommières et… Aigues-Mortes. Autant de communes qui n’ont toutefois techniquement jamais été dans l’Hérault administrativement parlant. Tout comme Ganges n’a jamais été dans le Gard.
Mais tout n’est pas si simple. Si lorsqu’il est décidé de créer les départements, en décembre 1789, les élus de la communauté demandent le rattachement de Ganges à l’Hérault, tout change un an plus tard. Déçus que leur demande de voir Ganges désignée chef-lieu d’arrondissement ait été rejetée, les mêmes élus demandent un an plus tard le rattachement de leur canton au Gard. Refusé itou : statu quo.
Jusqu’à 1830 : Ganges, presque enclavée dans le Gard, se verrait bien changer de département pour devenir chef-lieu de district en lieu et place du Vigan. Nous sommes le 4 décembre, et le conseil municipal fait état « d’une pétition des habitants de la ville de Ganges tenant à ce que le canton de Ganges puisse être incorporé à celui du Gard (…) que par suite de ce changement, la ville de Ganges pourrait devenir le chef-lieu du 4e arrondissement communal du département du Gard, établi au Vigan (*). » Encore raté : ce changement sera de nouveau refusé.
Ganges ne retentera plus sa chance après cette dernière demande pour rester aux confins du Gard, mais bien dans l’Hérault.
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
* Voir le document ici, page 115.