Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 10.10.2022 - thierry-allard - 4 min  - vu 719 fois

L’INTERVIEW Henri Trubert, sur le Parlement des Liens : « Faire du Pays d’Uzès un laboratoire des transitions »

Le président de la maison d'édition Les Liens qui Libèrent Henri Trubert (Photo : Thierry Allard / Objectif Gard)

Uzès accueille du 14 au 16 octobre la première édition du Parlement des Liens, un événement d’un genre nouveau qui mêle expérimentations au long cours sur le territoire du Pays d’Uzès et un grand forum soutenu par le journal Libération pour lequel des sociologues et philosophes de renom comme Edgar Morin ou Cynthia Fleury sont annoncés. 

Un événement organisé par la maison d’édition Les Liens qui libèrent, dirigée par Henri Trubert. L’éditeur basé à Uzès, qui s’est entouré de l’agence Comuna pour l’occasion, nourrit de grandes ambitions, au premier rang desquelles faire du Pays d’Uzès « un laboratoire des transitions. » Interview.

Objectif Gard : Où situez-vous le déclic de ce Parlement des Liens ? À l’année dernière au centre Pompidou, à Paris ?

Henri Trubert : Oui. Nous sommes partis de l’hypothèse qu’il y a une révolution des savoirs extraordinaire depuis une cinquantaine d’années, révolution qui n’est pas connue. Désormais, le coeur du savoir est l’interdépendance, c’est-à-dire qu’aucun savoir n’est isolé. Au coeur de chaque savoir les liens dominent. Par exemple, sur le vivant, la grande hypothèse est la symbiose, le fait que tout est lié. Cela change complètement notre relation au monde. Dans ce contexte, notre hypothèse est que la crise est d’abord anthropologique avant d’être économique. Il faut nous poser les bonnes questions. Donc au centre Pompidou, nous avons réuni en juin 2021 une cinquantaine d’anthropologues, écrivains, scientifiques, philosophes, pour dialoguer. Et chacun des participants a écrit un texte avec des propositions d’une force inouïe qui révolutionne l’approche du sujet. Et après, beaucoup d’entre eux sont venus nous voir pour nous dire : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » Nous allons donc prendre un territoire pour mettre en pratique ces transitions. 

Et c’est le Pays d’Uzès. 

C’est ici que nous avons créé depuis janvier dernier cinq expériences qui vont durer de six mois à un an, sur la perma-économie, la pleine santé, l’eau, le système agraire et la bande-son du territoire. L’idée est de travailler avec les citoyens, les associations, pour faire des propositions qui soient ensuite tenues. Documenter, avoir un état des lieux. 

Le Pays d’Uzès est donc un laboratoire à ciel ouvert ?

Un laboratoire des transitions. Pour chaque expérience, des citoyens, des associations vont participer, on fera ça tous ensemble. L’idée est de créer un collectif pour, ensemble, trouver des solutions. La démocratie est malade quand on n’expérimente pas les choses, mais elle marche quand on réfléchit ensemble, qu’on se met en mouvement. Le travail démocratique c’est respecter l’autre, écouter, collecter, ensemble. 

Dans l’idée de changer concrètement les choses ?

L’idée n’est pas de faire un rapport et d’attendre que ça passe. C’est à la fois des élus, des associations, des citoyens, du collectif qu’émerge ce processus. C’est un sacré challenge face à des défis immenses. Nous allons réfléchir sur la façon de travailler ensemble, en gardant à l’esprit que les savoirs et les conceptions du monde ne sont pas figés, ne sont pas des absolus. Nous sommes pris dans des leurres, des fictions, qui deviennent des totems. Par exemple, le fétichisme de l’économie, voir la nature comme objet sont des totems encore tellement prégnants. 

Vous vous engagez donc sur un travail au long cours dans le Pays d’Uzès ?

Je pense qu’il est absolument inutile de faire quelque chose trop rapidement. C’est dans le processus, la discussion, qu’on arrivera à faire quelque chose. Et d’autres expériences seront lancées en 2023, ce n’est pas un coup mais un vrai processus collectif. 

On retrouve dans votre démarche un peu de celle des Gilets jaunes, avec cette volonté de participer au changement. 

Oui, mais les Gilets jaunes étaient beaucoup dans la revendication du Référendum d’initiative citoyenne. Or, je ne crois pas au référendum. Si on fait demain un référendum sur la peine de mort, vous aurez une majorité pour la rétablir, alors que si on y réfléchit ensemble, le résultat sera inverse. Il faut réfléchir ensemble, sinon on exacerbe les conflits et les identités. Le référendum est binaire, alors que les situations sont extrêmement complexes. 

Cette complexité a-t-elle encore sa place dans le monde d’aujourd’hui ?

C’est parce qu’on ne délibère pas. On ne documente rien, et si on ne documente pas, on est dans l’opinion. Et il n’y a rien de pire que la tyrannie des opinions. Or les défis sont immenses. Il faut repartir des situations, refaire des liens avec les choses. 

C’est, en quelque sorte, faire de la politique.

Mais c’est ça la politique. C’est collecter les vécus, les documenter sur l’histoire, les cartographier, anticiper, travailler sur le collectif. 

Le forum co-organisé avec Libération sera un des temps forts de cette première édition. Que va-t-on y retrouver ?

Il y aura cinq débats, un sur les mots et les jeunes, sur réapprendre à dire le monde, car pour moi, la question fondamentale est celle du langage. Il y en aura un sur la santé, sur l’éducation, avec cette idée absurde qu’il que l’école doit trouver un emploi pour chaque enfant avant même d’être un espace d’éveil. Un autre sur l’économie et sur l’écologie, sur ce qu’on compte et ce qui compte, pour reconsidérer la richesse. Et le dernier sur le thème sommes nous capables de nouvelles fictions, pour réinventer nos manières de voir, de penser et d’agir, penser différemment la démocratie. Et tout est ouvert au public, l’idée n’est pas de séparer mais de faire ensemble, créer quelque chose qui dépasse les oppositions. 

Propos recueillis par Thierry Allard

Plus d’informations et programme complet ici. 

Thierry Allard

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