Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 25.10.2022 - francois-desmeures - 5 min  - vu 2241 fois

L'INTERVIEW Nicolas Ferran, directeur de la Clède : "On ne peut pas se substituer aux politiques publiques"

Nicolas Ferran (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Après une période de tuilage, Nicolas Ferran est seul à la direction de la Clède depuis le 1er janvier (photo François Desmeures / Objectif Gard)

Arrivé comme directeur de la structure associative au cours de l'année 2021, Nicolas Ferran a effectué ses classes en compagnie de l'ancien directeur, Michel Bouquet, qui possédait tout un savoir-faire et une montagne de connaissances à transmettre...

Bien qu'il soit passé par le cabinet du président du Département de l'époque ,Denis Bouad, le nouveau directeur de la Clède n'est pas issu du sérail politique. Il assiste à une hausse exponentielle des besoins, parfois non-couverts, au sein d'une association qui n'a cessé de tenter d'y répondre. Sauf que les financements ne suivent pas les besoins et que des groupes privées, à but lucratif, s'incrustent dans les marchés.

Il ne faut jamais oublier d'où l'on vient. Créée en 1978 par des visiteurs de prison, l'association La Clède pose avant tout un Centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) à destination des personnes sortant de prison. "Très vite, l'association a vu très large, en s'emparant de la lutte contre toutes les exclusions", a appris, depuis, Nicolas Ferran qui a pris la direction le 1er janvier dernier. La hausse importante de la superficie de l'association doit autant aux orientations des politiques publiques qu'aux propositions émanant de l'association elle-même, pour couvrir des besoins qui ne l'étaient pas encore, toujours dans le champ de la lutte contre les exclusions.

Une équipe mobile pour les femmes victimes de violences conjugales

Ce qui nécessite de s'adapter continuellement à ces nouveaux besoins. L'actualité de l'association, c'est, par exemple, la fusion de deux CHRS, qui interviendra à la fin de l'année, l'un tout public et l'autre spécifiquement dédié aux femmes victimes de violence. "Le confinement est sans doute venu mettre un coup d'œil supplémentaire sur cette thématique", constate Nicolas Ferran. Quand les bancs des comparutions immédiates du tribunal correctionnel d'Alès sont majoritairement occupés par des prévenus pour violences intra-familiales. "On a mis en place une équipe mobile : mairie, centres communaux d'action sociale (CCAS) et centres sociaux nous appellent pour une mise en danger. Et on se déplace sur site. On met la dame à l'abri, si besoin, et on l'aide éventuellement dans son dépôt de plainte."

Pour cette expérimentation - qui répond pourtant à un sujet déclaré "Grande cause nationale" du premier quinquennat d'Emmanuel Macron -, "on se tire les cheveux pour obtenir des financements", se désole Nicolas Ferran. L'expérience se fait donc sur les budgets de l'association, qui ne sont pas exponentiels, et a nécessité un équivalent temps plein d'insertion. "Sur ce sujet, la justice nous sollicite désormais. Mais elle n'a pas d'argent non plus."

Ces interventions sont un service de plus d'identifié dans un océan de besoins. Comme ceux du pôle santé, qui fait pension de famille et reçoit aussi des publics "très exclus, des SDF", à qui l'association tente de redonner de l'autonomie. Mais fait parfois face à "des parcours de vie tellement compliqués qu'on a eu à mener des accompagnements de fin de vie", témoigne Nicolas Ferran au sein du service Lits halte soins de santé (LHSS). L'accueil de jour permet au public SDF de prendre une douche, d'obtenir une domiciliation (La Clède en recense environ un millier).

"On ne peut pas se substituer aux politiques publiques"

L'association suit environ 3 000 personnes pour de l'hébergement, de l'accompagnement social à domicile. "C'est hyper-important pour une ville de cette taille, constate Nicolas Ferran. D'autant que la particularité du bassin alésien est l'âge peu élevé des hébergés dans les CHRS. Les 18-25 ans étaient 12 % en 2012, ils sont plus de 36 % aujourd'hui. Mais les politiques publiques donnent la priorité aux Missions locales jeunes (MLJ), pas aux SAJE (services d'accueil de jour des exclus). Du coup, le financement de l'action - l'accueil un jour par semaine - se fait sur nos fonds propres. Mais jusqu'où peut-on aller ? On ne peut pas se substituer aux politiques publiques." D'autant que la pandémie de coronavirus a créé "de nouveaux pauvres", victimes d'accidents de la vie, de désociabilisation, multipliant les "gens qui dorment dans leur voiture et ne poussent pas notre porte". Des gens dans le besoin, à aller chercher.

La Clède entretient aussi un pôle asile, sujet qui s'est imposé en 2002 : un centre d'accueil des demandeurs (CADA) d'environ 120 places, un hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) d'une soixantaine de places, un centre provisoire d'hébergement de trente places et un service jeunes majeurs étrangers (18-21 ans) d'une centaine de places. La Clède s'est aussi emparée du sujet des réfugiés ukrainiens débarqués dès février, sur ses propres moyens dans un premier temps. Ce qui n'empêche pas l'association de s'arracher les cheveux pour des nationalités moins "désirables", aux yeux de l'État français, que les Ukrainiens. "On continue d'attendre désespérément des récépissés de la préfecture pour des gamins qui ont parfois des contrats d'apprentissage", s'indigne Nicolas Ferran.

"En matière d'exclusion, où que tu tournes la tête, il y a un besoin non couvert"

Ce tableau brossé n'évoque même pas la réinsertion professionnelle, symbolisée notamment par la Ressourcerie et le fait que "près de 200 entreprises locales nous font confiance". Avec des activités multipliées par trois en dix ans, tandis que la masse salariale doublait, l'association cherche toujours la compatibilité entre les besoins et les financements. "En matière d'exclusion, où que tu tournes la tête, il y a un besoin non couvert", résume Nicolas Ferran, qui tient absolument au statut associatif et à la variété des réponses qu'il peut apporter, même si sa structure tourne désormais avec un budget supérieur à dix millions d'euros. "Si le secteur se polarise, il y aura forcément une harmonisation des réponses. Si on ne fait que répondre à la commande publique, aux appels à projet, on devient opérateur de l'État, redoute Nicolas Ferran. Sauf qu'on ne se considère pas comme ça. On veut expérimenter, couvrir des besoins qui ne sont pas couverts et proposer. Mais c'est le contraire qui se passe, on met les associations en concurrence, quand le pluralisme associatif assure la complémentarité des offres."

"Comment les associations intermédiaires, qui ont des difficultés de trésorerie, vont-elles tenir alors que quand on fait une demande de subvention, le temps qu'elle soit accordée, il faut tenir financièrement ?, s'interroge Nicolas Ferran. Mais si on diversifie, c'est aussi en réponse à la baisse des financements publics." Ce besoin de solidité financière favorise aussi le débarquement "de gros groupes, ou grosses associations loi 1901, qui entrent par la petite porte, et possèdent un modèle standardisé qui rassure les financeurs".

"En lecture de fond, la logique libérale derrière tout ça"

"Il faut avoir, en lecture de fond, la logique libérale derrière tout ça", pointe le directeur de la Clède. Et ce alors que certaines entreprises qui tapent à la porte de la Clède, ou d'autres, le font uniquement sous couvert de démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et viennent "prendre des parts de marché de la misère. Il nous faut mieux savoir communiquer sur ce qu'on fait, face aux groupes privés qui ont une meilleure façon d'emballer le truc que nous." La Clède doit aussi valoriser son énorme travail de réinsertion. "Nos mises en situation en entreprises ont augmenté de 200 % entre avant 2017 et après, on a décroché 60 % de CDD en plus. Si on compte 40 % de sorties positives des chantiers d'insertion, cela veut dire qu'on a 60 % d'échec ? Je ne le crois pas. Les efforts sont sous les radars ou se verront à plus long terme."

Nicolas Ferran a aussi dans l'idée de mettre en oeuvre, dès 2023, "une convention avec les circuits universitaires" qui rende compte des innovations du "laboratoire Clède", qui essaime désormais au Vigan ou à Anduze. "On doit s'adjoindre les compétences d'analyse de la part de chercheurs", pense Nicolas Ferran. En réfléchissant aux projets comme des "projets de territoire. À Alès, il y a une capacité extraordinaire à être dans le partenariat sur ce territoire. Une culture que je ne vois pas vraiment ailleurs, un terroir des solidarités cévenoles." Une tradition partenariale qui s'est aussi accentuée en réponse aux énormes besoins du territoire.

François Desmeures

francois.desmeures@objectifgard.com

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