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Mise à jour le 10.02.2025 - Abdel Samari - 7 min - vu 676 fois
FAIT DU JOUR L’ancien préfet Didier Lauga : « Je n’envisage jamais le pire »
Abdel Samari
Diagnostiqué insuffisant rénal en 2005 à l’âge de 50 ans, l’ancien préfet du Gard Didier Lauga a bénéficié d’une greffe il y a quelques mois. Immanquablement, cela lui a changé la vie. Son témoignage est l’occasion aussi de porter un espoir pour tous les malades en attente d’une greffe.
Suivi régulièrement pour des problèmes de cholestérol « comme beaucoup de gens », l’ex-préfet se souvient. Des analyses médicales régulières, des rendez-vous médicaux. « Et un jour, on m’informe que ma créatinine est à un taux anormal. Je pars donc consulter des spécialistes à Toulouse. Une ville qui a la particularité d’avoir une clinique spécialisée pour les maladies du rein. »
C'était en 2005. Et c’est une surprise complète pour l’ancien préfet du Gard. « Surtout que l’annonce se fait assez froidement. On aurait dit que cette annonce allait me faire plaisir. Alors que je venais de découvrir que j’étais atteint d'une suffisance rénale. »
Presque 20 ans de patience
Dans le cadre du protocole, le service médical rassure Didier Lauga. Inscrit sur une liste d’attente, il pouvait espérer être greffé dans les toutes prochaines années… Il lui a fallu patienter presque 20 ans…
Ce n’est pas tout de suite que le marathon des dialyses se met en place. « Dans un premier temps, il faut seulement surveiller ses analyses de sang et faire attention… Il ne faut pas de sel. » Au-delà du goût gustatif de condiments, directeur général des services au Conseil régional de Basse-Normandie, Didier Lauga se met en quête de comprendre pourquoi cette maladie lui est tombée dessus. « D’autant que je suis le premier de ma famille mais apparemment, il y a un pourcentage important de déficients rénaux sans cause réelle. » Il enchaîne les examens. D’abord des yeux, la vision peut-être très rarement l’une des raisons. Puis une biopsie rénale. « J'étais insuffisant rénal. Il n'y avait pas de doute. Et ce n'était pas de naissance. Parce que dans les analyses plus anciennes, ce fameux marqueur, la créatinine était parfaite. Ça s'est déclenché à 50 ans. Probablement que cela s'est dégradé au cours de ma vie. »
« Ça donne l'impression d'une maladie virtuelle »
Est-ce que tout cela a contrarié son quotidien ? « Honnêtement, ce n'était pas trop gênant pour ma vie quotidienne. Ça donne l'impression d'une maladie virtuelle. Vous n'avez pas de douleurs. C'est insidieux. Vous avez un régime alimentaire et c’est tout. Mais, comme les reins ne remplissent plus leur rôle à partir d’un certain temps, vous n'éliminez plus. Donc, progressivement, c'est un problème. »
Surtout quand on est préfet dans le Gard et encore davantage pendant la pandémie de 2020. Il se rendait alors jusqu’à trois fois par semaine au CHU de Nîmes. « C’est le professeur Olivier Moranne, chef du service de néphrologie qui me suivait à Nîmes. Jeune et brillant néphrologue. Il m'a dit un jour de 2018, écoutez, je suis désolé, mais là, votre niveau de créatinine est vraiment trop faible… Il faut passer à la dialyse. Je n’avais pas le choix. Sans la dialyse, je serais mort. »
Du diagnostic en 2005, c’est treize ans plus tard en 2018 que l’obligation de faire des dialyses plusieurs fois par semaine s’impose. « De 2018 à 2024. Six ans, c’est très long. Il fallait que je fasse le traitement pendant douze heures chaque semaine. Généralement, cela se répartissait en trois séances de quatre heures. À l'hôpital. »
Peu de personnes au sein de la préfecture étaient dans la confidence…
Comment concilier la vie de préfet avec ces séances ? « À l'époque, cela faisait trois ans que j'étais préfet du Gard. Je savais que le ministère de l'Intérieur n’aimait pas trop les préfets malades. Si vous leur dites que vous avez un rhume, généralement, il est mis fin à vos fonctions dans la foulée. J'exagère à peine... » Mais Didier Lauga se sent capable de continuer à exercer ses fonctions. « J’avais en effet une organisation dans laquelle, le soir, après 20h, je me faisais conduire au CHU. Et j’y restais jusqu'à minuit pour une séance de quelques heures. C’était les bons jours. D’autres fois, face à mon activité, la dialyse ne commençait qu'à 23h. Ça m'arrivait de sortir ainsi à 2h du matin. »
Peu de personnes au sein de la préfecture étaient dans la confidence… « Bien sûr, mes principaux collaborateurs. Je leur ai dit que je me sentais capable de continuer avec cet avertissement : si vous voyez que je suis trop diminué, il faut me le dire. » Est-cela s’est vu ? « Je ne sais pas, mais ils ne me l'ont jamais dit. Quand je l'ai dit après, au moment de prendre ma retraite comme préfet, plein de gens ne voulaient pas le croire. » Parce que les séances de dialyses, c’est souvent un marathon qui épuise dans la foulée. « Même mon médecin traitant était étonné de ma capacité à enchaîner dès le lendemain. Mon ancien directeur de cabinet, un ancien officier, m'avait dit, avec ce langage rude : vous avez de la caisse, monsieur le préfet. Sans doute, j'avais la chance d'avoir une bonne constitution, comme on dit. »
« On vous met sur une liste de potentiels greffés. À partir de là, c'est la loterie »
La pandémie vient secouer cette organisation bien rodée. Face à l’épidémie et à l’état d’urgence dans les hôpitaux, y compris à Nîmes, impossible de prendre davantage de risques. La dialyse à domicile est abordée. « Si vous voulez, les insuffisants rénaux sont particulièrement sensibles au virus. » Accompagné par la Fondation Charles Mion (association AIDER), installée sur le domaine du CHU de Nîmes, l’ancien préfet organise les séances à la maison. « C'est beaucoup plus modulable pour le traitement. »
Malgré le meilleur confort face à son planning de préfet, Didier Lauga garde à l’esprit, cette opportunité, un jour, d’une greffe. « Le jour même où vous commencez la dialyse, on vous met sur une liste de potentiels greffés. À partir de là, c'est la loterie. »
Au CHU de Toulouse Rangueil, le professeur Nassim Kamar, chef du service des transplantations, reçoit régulièrement Didier Lauga et tente à chaque fois de le rassurer sur le temps qui passe et l’absence de donneur : « Un professeur brillant. Il intervient dans le monde entier. Il m’avait assuré d’une greffe dans les cinq ans. Pourtant, je ne vois rien venir et m’impatiente. Faire des dialyses, c'est un fil à la patte considérable, parce que je ne pouvais rien faire. Entre deux dialyses, il peut y avoir un maximum de trois jours. Et encore, vous êtes en risque. Impossible donc d’envisager trois jours de vacances loin de Nîmes… »
• Abdel Samari
« Le téléphone a sonné à 3 heures du matin »
Didier Lauga ne veut pas s'arrêter de vivre. Et fatigue de cette épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Finalement, ce jour heureux arrive…
« C'était le jour de la Saint-Didier. Le 23 mai. Je dormais profondément. Je m'apprêtais à partir à Paris car, comme vous le savez, je suis conseiller maître en service extraordinaire à la Cour des comptes. Le téléphone a sonné à 3 heures du matin. Assez bizarrement, ce n'est pas Toulouse qui m’appelle directement. Ils sont passés par le CHU de Nîmes. Un interne me dit tout simplement, il faut aller tout de suite à Toulouse. »
Comme un rêve éveillé. « Au début, on n'y croyait pas. On est parti à 4 heures du matin pour Toulouse. Je suis arrivé à 7 heures. Et là, j'ai attendu toute la journée parce qu'ils m'ont fait quelques examens avant l’opération… »
Difficile de savoir qui est le donneur… « Je n’ai pas cherché à savoir plus que ça. Ma fille et mon fils m’avaient proposé tous les deux de me donner un rein. J’avais refusé. Considérant qu’ils avaient la vie devant eux. À l’inverse d’une sœur et d’un frère. Aucun des deux ne m'a proposé de me donner un. Et, je ne me sentais pas de leur demander. » Quelques années auparavant, un ami proche s’était proposé aussi. « Une sorte de frère pour moi. De deuxième frère. Il m'a dit je te donne un de mes reins. Il a passé tous les examens avec moi. Mais le dernier, comme dans les films, a empêché le don. »
« Je n’envisage jamais le pire »
Les obstacles, les doutes, les regrets. Et une vie contrariée par ces dialyses incessantes et, enfin, le dénouement… « C'est un peu fort de dire que ça m'a gâché la vie parce que je suis positif. J'ai ça de ma mère. Je n’envisage jamais le pire. Quand je suis parti pour le bloc opératoire, je savais que je reviendrai. Ma femme, quelques temps après, m'a avoué avoir pensé qu'elle ne me reverrait pas vivant. Ça m'a fait de la peine. »
« Je me suis accroché, l'opération a duré quatre heures avec quelques petites complications cardiaques, sans trop de gravité, mais j’ai été parfaitement entouré. Et le docteur Federico Salusto qui m’a opéré a été d’un grand professionnalisme. »
Après un séjour de trois semaines à l’hôpital de Toulouse, d’abord en soins intensifs puis en service de neurologie, Didier Lauga est tiré d'affaire. La sortie de l’hôpital, le retour à Nîmes. Et la délivrance. Un traitement quotidien anti-rejet, des contrôles réguliers. Mais enfin, la capacité à vivre normalement. Tous les jours. Désormais, même les jours fériés, même le dimanche, ne sont pas plus des journées ordinaires où la dialyse empêche beaucoup. Seules conditions aujourd’hui pour une vie paisible : ne surtout pas manger ni pamplemousse, ni la salsepareille aux vertus médicinales. « Ne me demandez pas pourquoi, je n’ai pas la réponse. »
Le parfait témoin que rien n’est jamais impossible dans la vie
À la tête de la Fondation internationale pour les monuments romains de Nîmes depuis 2021, le conseiller maître à la Cour des comptes consacre son quotidien entre Paris et la capitale du Gard. Dans les trois heures de voyage en TGV, il lui reste à écrire la dernière partie de son histoire au service de l’État et de l’intérêt collectif. « Pendant plusieurs années, j’ai eu une double vie cachée, je n’en parlais pas. Mais j’ai bien vécu tout de même. »
Toujours optimiste, jamais résigné, il est aussi le parfait témoin que rien n’est jamais impossible dans la vie. Exemple de résilience et d’un courage pour tous ceux qui patientent inlassablement pendant leur dialyse. Lui qui n’a jamais cru être reçu à l’ENA voilà quarante ans. Et encore moins d’entrer à la Cour des comptes, prestige ultime pour quelques préfets distingués pour leur engagement sans relâche pour la France.