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Mise à jour le 04.03.2025 - Sabrina Ranvier - 7 min - vu 126 fois
LE DOSSIER Quand Chat GPT fait les devoirs à la place des élèves
Chat GPT génère des dissertations en un temps record. "En Français, je n'apprends vraiment pas en utilisant l'IA mais le gros côté positif c'est que j'apprends à utiliser l'IA et il y a énormément d'entreprise qui s'en servent", estime Sacha*. Photo d'illustration.
Amie ou ennemie ? L’IA générative Chat GPT permet aux paresseux de faire leurs dissertations en moins d’une minute. Les enseignants contre-attaquent.
Le choc a été rude. Bastien, enseignant en lettres, demande à ses élèves de seconde d’illustrer la couverture ou une scène du roman La vie devant soi de Romain Gary. Et là, sur une copie, il discerne le logo d’un logiciel d’intelligence artificielle. « Je me méfiais des textes, pas des images. Une dizaine d’élèves avaient demandé à des IA de générer les illustrations », témoigne-t-il. Il refuse de noter, donne un autre exercice. Il tape un texte et le transforme en voix robotisée. Le cours suivant, il fait asseoir ses élèves et va au tableau de manière très mécanique. « Il y avait un silence inhabituel. » Il lance l’enregistrement. Une voix de femme mécanisée s’élève : « Bonjour chers élèves, je suis le robot qui a remplacé monsieur B. » Elle évoque avec nostalgie ces élèves qui faisaient des fautes mais qui touchaient l’enseignant car ils se donnaient du mal pour progresser. Elle termine en annonçant que monsieur B élève des chèvres en Lozère : « N’oubliez pas de me laisser une note sur Pronote pour évaluer mon cours. » S’en suit « un débat animé » sur ce que devient la société française et son école : « Je leur ai dit qu’il fallait que l’IA soit l’outil et que nous ne devenions pas l’outil de l’IA. »
Laure, enseignante en lettres dans un lycée nîmois, se souvient d’une copie rendue par un élève de bac technologique, une dissertation qui aurait pu être présentée dans une université américaine : « C’était un très beau discours de rhétorique avec des références qu’ils ne pouvaient pas avoir, des auteurs américains comme Virginia Woolf. »
Des logiciels pour « humaniser »
Sacha* est en première générale dans un lycée gardois et il utilise Chat GPT pour ses devoirs de Français depuis un an. Ce qui lui assure une moyenne de 13. Au bac blanc, sans l’IA, il a récolté un 11. « Je demande à Chat GPT de tout me rédiger ou de me donner les grands axes. » Même si les « profs ont des outils pour détecter Chat GPT », il ne s’est jamais fait serrer. « Généralement l’IA utilise des mots, que de base, je n’utiliserais pas. » Il modifie donc le texte généré pour y insérer ses propres expressions. D’autres élèves font faire cette manipulation par une seconde IA qui « humanise » les textes. « En première, on a beaucoup moins de temps libre, argumente Sacha. Beaucoup utilisent Chat GPT plutôt que de passer des heures sur une dissertation ».
Modifier la façon d’évaluer
Comment contre-attaquer ? « La seule solution c’est de demander au prof de s’adapter pour court-circuiter l’IA », répond Laure. Pour les élèves de seconde, elle ne demande aucun travail à la maison. « Quand on doit faire des recherches documentaires, ils viennent au CDI avec moi et font les recherches sur des documents papier. On en revient au Moyen Âge. » Dans les rares classes où elle commande du travail à la maison, elle impose de rédiger le brouillon en cours. Ils finalisent la rédaction chez eux. Ils rendent ensuite la copie et son brouillon.
Le lycée alésien JBD privilégie les évaluations sur table avec de gros coefficients en terminale pour éviter les triches à la maison. Mais Christophe Sanchez, représentant du syndicat SNPDEN et proviseur adjoint du lycée, a des doutes concernant un examen blanc. « On a une ou deux situations où on s’interroge. J’ai pu voir la copie, le lexique utilisé ne correspondait pas », observe-t-il. Les deux cas problématiques concernent des élèves, qui du fait de leurs difficultés d’apprentissage, sont autorisés à les passer sur leur ordinateur personnel. Même si les vérifications ont été faites avant l’examen, il pourrait bien y avoir eu triche. « C’est à nous de contrer tout cela », reconnaît-il.
Attendu dans l’administration
Il estime néanmoins que si on a un « usage raisonné et raisonnable », l’IA pourrait faciliter les tâches chronophages des personnels. Fin janvier, les chefs d’établissements du réseau des Cévennes gardoises ont fait venir un formateur sur le sujet. « La première préoccupation des collègues, c’est le manque de temps », observe-t-il. Si l’IA leur facilitait les tâches administratives, ils auraient « plus de temps pour gérer les ressources humaines ». Un plan de déploiement de l’IA pour les services administratifs sera mis en place à la prochaine rentrée dans l'académie. François Martinez, proviseur du lycée nîmois Dhuoda, indique qu’ils ont commencé « à utiliser l’IA pour les comptes-rendus de réunion ». Chacun donne son prénom au début et cette IA payante, Dicte AI, enregistre. Elle retranscrit tout à la fin. « On l‘a choisie car elle respectait les critères de protection des données. On gagne un temps fou. » Il a sondé les enseignants pour savoir s’ils voulaient une formation IA.
Refaire parler un journaliste dreyfusard avec l’IA
Jill Castex, professeure de lettres au collège privé sous contrat D’Alzon, s’est formée à l’IA. Cette trentenaire a ensuite monté un projet avec ses élèves de troisième. L’idée : converser en ligne sur l’affaire Dreyfus avec Bernard Lazare. Le hic est que ce journaliste natif de Nîmes est mort il y a 122 ans. Les élèves ont créé un robot conversationnel qui imagine les réponses qu’il aurait pu donner. Ce chatbot a été fabriqué grâce à l’application d’IA Mizou en partenariat avec le collectif Histoire et mémoire. L’IA a été calibrée pour collecter ses données aux archives, à la BNF, sur Gallica. « Je voulais faire prendre conscience aux élèves que l’IA nécessite des règles très claires, éthiques », décrit l’enseignante. Une réflexion a été menée pour que le langage corresponde à celui du XIXe siècle. Pour favoriser l’esprit critique, le chatbot a été programmé pour que « Bernard Lazare » termine ses réponses par une question. Lorsque l’on scanne le QR code et qu’on lui demande par exemple quand s’est déroulée l’affaire Dreyfus, il la résume puis interroge : « Que penses-tu de l’impact de cette affaire sur la société de l’époque ? »
« Il y aura un plan de formation des enseignants en septembre »
Objectif Gard le magazine : Beaucoup d’élèves utilisent l’IA générative pour qu’elle fasse les devoirs à leur place. Quelle réponse peut apporter l’Éducation nationale ?
Sophie Béjean : Il faut un plan d’action pour d’une part accompagner nos enseignants et d’autre part pour donner un cadre éthique et protecteur notamment pour les données. C’est l’objectif exprimé par Elisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale. Il faut accompagner tous nos enseignants pour qu’ils soient armés. Il y aura un plan de formation dès la rentrée de septembre.
Des lycéens qui jouent le jeu, se plaignent car ceux qui se servent de chat GPT, obtiennent parfois de meilleures notes. Or, toutes les évaluations comptent pour le bac et pour ParcourSup…
On va avoir une réflexion sur les cahiers des charges en matière d’évaluation des élèves. Il y aura une vraie réflexion à mener pour donner des indications aux enseignants. Il y a des solutions. Quand Internet est arrivé, les devoirs et l’accès au savoir avaient aussi changé. Avant, il fallait commander les articles universitaires à la bibliothèque et on le recevait quinze jours plus tard. Notre métier d'enseignant, c’est aussi de nous adapter à la réalité des élèves. C’est intéressant. Cela replace l’enseignant dans son rôle de mentor. Ce n’est pas seulement celui qui transmet le savoir, qui évalue, c’est celui qui accompagne l‘élève dans ses apprentissages avec les ressources.
Une enseignante nîmoise a créé un chatbot sur Bernard Lazare avec ses élèves. Il utilise notamment des données des archives. C’est ce type de démarche que vous encouragez ?
Oui. On peut apprendre aux élèves à utiliser ces nouvelles ressources en se basant sur des sources validées. L’Éducation nationale s’intéresse à l’IA depuis 2018. Les enseignants utilisent déjà maths IA ou Lalilo. Cette dernière permet de développer l’apprentissage de la lecture. Elle analyse les résultats des élèves, identifie ce qui n’est pas maîtrisé et propose des exercices individualisés. Ce sont des learning analytics. Les élèves sont déjà formés au numérique avec PIX. Cela va être enrichi avec des éléments sur l’IA en quatrième et en seconde.
200 établissements français dont six gardois, chassent le smartphone et expérimentent « une pause numérique ». L’expérience a été lancée à la rentrée par l’ex-ministre de l'Éducation nationale, Nicole Belloubet. C’est le lycée de Sommières qui l’a inspirée. David Cayuela, enseignant en lettres depuis 25 ans, avait constaté que l’usage des smartphones et des réseaux type Tik tok provoquaient « une crise de l’attention, de la lecture, du langage ». Le lycée organise donc en 2023-2024, trois journées sans smartphone. Des jeux sont achetés, des activités proposées à la pause méridienne. Octobre 2024, on passe à un jour sans smartphone par semaine puis à deux. Depuis mi-janvier, les élèves n’ont le droit de l’utiliser qu’entre 12h30 et 13h30. Le reste du temps, il doit être enfermé dans un pochette magnétique, insérée dans le cartable. Cet étui noir se ferme par un clip. Pour l’ouvrir, une seule solution, utiliser un des six déverrouilleurs du lycée. Entre fin mars et mi-mai, le lycée organisera deux semaines non consécutives « où les élèves ne toucheront pas leur portable ». Une conférence sur « cerveau addictions et téléphone » aura lieu le 28 mars. Même si l’expérience ne portait pas forcément sur l’IA, l’interdiction des smartphones permet de mettre fin à certaines tentatives de triche. « On a eu des problèmes avec l’IA, reconnaît Marie-Angèle Ligary, cheffe d’établissement. Un élève avait caché son téléphone sous ses fesses pendant un contrôle. » Comment les élèves vivent cette expérience ? « Ce n’est pas sans crispations, admet-elle. C’est un beau projet. J’entends du bruit dans la cour. J’entends les élèves parler et rire. On veut que les élèves communiquent. »