FAIT DU JOUR À Uzès, des découvertes préhistoriques et antiques sur un chantier
« Ça a été une surprise » : le maire d’Uzès, Jean-Luc Chapon, ne pensait pas que sur le tracé de la liaison inter-quartiers Mayac-Mas de Mèze les fouilles préventives mettraient au jour des vestiges romains, mais aussi et surtout un cromlech préhistorique.
Il faut dire que, si la cité ducale se connaissait déjà une ascendance romaine, rien ne laissait présager qu’on découvrirait ici, à un jet de pierre de la route d’Alès, un monument mégalithique daté de la fin de la préhistoire, 2 500 avant notre ère. « C’est un monument rare. Il y en a relativement peu, explique Philippe Cayn, responsable de l’opération pour l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Il n’y en a qu’une dizaine dans le Gard et très peu sont conservés. »
Le monument a été découvert sur une des deux zones de fouilles déterminées par les premières tranchées préventives creusées sur l’emprise de la liaison routière. « Ces fouilles (qui se sont déroulées entre novembre 2018 et le 22 février dernier, ndlr) ont révélé des dalles qui faisaient penser à des vestiges du néolithique, inattendus ici », poursuit Philippe Cayn.
Il s’agit d’un cromlech, un alignement de dalles calcaires. Pour resituer, le plus célèbre des cromlechs n’est autre que celui de Stonehenge, au Royaume-Uni. « Les dalles étaient placées de façon verticale, sur un tracé circulaire », note le responsable de l’opération. Le cromlech uzétien se révèle particulier par sa constitution. À la différence du cromlech de la Causse du Blandas, près du Vigan, dont les dalles sont espacées, le cromlech d’Uzès présente des dalles jointes, « qui formaient une sorte d’enceinte », souligne l’archéologue.
Une cinquantaine de dalles ont été découvertes, soit une partie du cercle que formait probablement le cromlech. l’Inrap suppose la présence de 280 blocs encore ensevelis à 80 centimètres sous terre, dans un champ de céréales, ce qui en ferait un des plus grands cromlechs de la région.
Le cromlech « a probablement perduré assez longtemps »
Des blocs dont la plupart ont été cassés. « Il y a eu probablement une volonté de casser le cromlech, de le faire disparaître. Peut-être lors d’une phase de mise en culture », pronostique Philippe Cayn, avant de préciser que les plus grandes des dalles pouvaient faire jusqu’à quatre mètres de haut. Cependant, si le cromlech a été cassé, « il a probablement perduré assez longtemps dans le paysage, car on a l’impression qu’il conditionne l’organisation des routes autour de lui », note l’archéologue. Encore aujourd’hui, lorsqu’on trace un cercle en partant de l’extrait découvert lors des fouilles, on jouxte les chemins actuels.
Quelle était la fonction de ce monument ? Il faut savoir qu’en général, les cromlechs étaient situés en hauteur, ce qui n’est pas le cas de celui d’Uzès, découvert en contrebas, et presque systématiquement à l’écart des habitations. Par ailleurs, les moyens nécessaires à leur édification laissent à penser que leur fonction était importante. « La fonction de ces monuments reste relativement indéterminée, explique Philippe Cayn. On imagine une fonction rituelle, religieuse. » On peut difficilement faire mieux qu’imaginer, puisqu’il n’existe aucun écrit de l’époque.
Par ailleurs, une dalle a attiré l’attention des archéologues. « Elle portait des traces de sculptures. C’est une statue menhir comme on en connaît beaucoup dans le Sud de la France, notamment en Corse », note l’archéologue. Celle retrouvée à Uzès présente une boucle de ceinture et peut-être des symboles représentant des armes. Elle sera étudiée dans les semaines à venir, comme le cromlech et les vestiges antiques également découverts de l’autre côté du chemin.
Des vestiges romains aussi
Sur ce tracé de la liaison inter-quartiers, la préhistoire et l’antiquité se côtoient. Des sépultures datées du Haut-Empire ont été découvertes, « des petites nécropoles probablement familiales, en limite de parcelle, à côté du tracé primitif du chemin de Landry », explique l’archéologue. Le tracé de la voie romaine est, à peu de choses près, celui du chemin actuel, « et le carrefour actuel trouve son origine dans l’antiquité », complète Philippe Cayn.
Les restes de la voie romaine, des incinérations et quelques offrandes, des urnes en verre, des vases, des plats en céramique et des lampes à huile ont été sortis de terre. « Ils nous permettent de dire que la voie et l’ensemble funéraire dateraient du premier ou du deuxième siècle de notre ère », conclut l’archéologue. Ces vestiges se trouvaient à seulement 20 centimètres de la surface et sont pour la plupart intacts.
Les dalles du cromlech et les vestiges romains ont été déposés par l’Inrap et entreposés par la Ville d’Uzès dans un endroit tenu secret, que la presse n’a pas été autorisée à visiter. Sur place, il ne reste rien, sauf probablement la majeure partie du cromlech. « La mairie se propose d’acheter la parcelle sur laquelle il est situé pour le préserver, nous avons déjà rencontré les propriétaires », annonce le maire Jean-Luc Chapon.
Une prospection électromagnétique non invasive, qui ne nécessite pas de creuser, est en projet. Une méthode qui permettrait d’en savoir plus sur le cromlech, notamment sur ce qui se trouve en son centre, sans gréver davantage les finances de la Ville. Car c’est la Ville toute seule qui a dû financer les fouilles : « Nous avons les finances pour acheter le terrain, mais pas pour faire les fouilles, affirme le maire. Ces fouilles ont coûté plus de 600 000 euros pour 3000 m2, et le terrain en question en représente beaucoup plus. »
« Nous avons l’intention de réaliser cette prospection, mais il n’y a pas d’urgence, explique le directeur adjoint scientifique et technique de l’Inrap Marc Célié. Il faut se laisser le temps de l’étude, et le monument est sous terre, protégé. » Du haut de ses quatre millénaires, il n’est, il est vrai, plus à quelques années près.
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
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Et la liaison inter-quartiers dans tout ça ? : Outre l’impact financier très important pour la Ville, près de 700 000 euros à ajouter à un projet d’1,4 million d’euros, ces découvertes archéologiques ont provoqué un retard sur le chantier. Un gros retard : « les travaux ont pris un an de retard, affirme le directeur des services techniques de la Ville, Hubert Luperini. La livraison est prévue pour le mois juin 2019. » Soit dans trois mois, alors qu’il faut encore pas mal d’imagination pour se figurer la liaison d’un peu plus d’un kilomètre qu’on pourra emprunter, si tout va bien, au début de l’été. Pour tenir les délais, les entreprises ont mis les bouchées doubles : « Ils mettent beaucoup d’engins et de monde sur le chantier », ajoute le directeur des services techniques.