NÎMES Tata Nicolas, une tante pas comme les autres (4/6)
Quatrième épisode concernant la vie de Claudia Nicolas qui était une célèbre guérisseuse nîmoise (4/6). La plus célèbre peut-être. Mais c'était aussi une tante aimante dont la nièce Jacqueline nous dévoile le caractère.
Le père de Jacqueline avait une usine de 25 employés qui fabriquaient des chaussures. Jacqueline possède l'oreille absolue, et à l'âge de 6 ans elle pouvait jouer la Rhapsodie hongroise de Liszt dans la cour de sa maison, rue de Garons, devant les fournisseurs de son papa et les voisins qui écoutaient attentivement. Les mains sales d'une fillette turbulente, l'oreille propre d'une virtuose qui ne connaît pas la différence entre le do et le ré...
Dans cette maison il y avait aussi des oies, un singe, un renard et des cochons avec qui Jacqueline faisait la corrida. De l'autre côté de la gare, sur l'avenue Feuchères, il y avait la tante Nicolas qui, elle, faisait des miracles. Sérieux ?
"J'en avais peur,. J'habitais derrière la gare et quand je venais voir ma tante pour jouer à la belote, je devais traverser le boulevard Talabot, raconte sa nièce. Elle m'attendait chez elle. Un jour, au moment de pousser la porte, elle me dit en patois : Petite, pourquoi tu n'as pas attendu que le camion passe avant de traverser... Elle voyait tout, ça me clouait ! J'avais 13 ou 14 ans et c'était comme si quelqu'un était constamment en train de me surveiller. On ne risquait pas faire du mal à qui que ce soit car la tante voyait tout !"
Voir à travers la vie des gens
C'est Claudia Nicolas qui payait les études de Jacqueline alors qu'elle était scolarisée à l'institut d'Alzon. Un institut coûteux, renommé et réputé pour la qualité de son enseignement, où elle resta jusqu'à ses 16 ans. Jacqueline était déjà bien imprégnée de religiosité, une des raisons des bons contacts qu'elle entretenait avec sa tata Nicolas. "Je suis restée quelques années à l'institut d'Alzon, ce qui m'a rapprochée de la religion. J'avais un contact très intime et très pieux avec ma tante, mais cela ne nous empêchait pas, quand nous étions ensemble, de fumer beaucoup... Elle fumait deux paquets de Naja par jour. Je l'aimais réellement. J'avais confiance en elle, si elle me disait que je pouvais y aller, j'y allais. Je suis le témoin le plus intime qui existe et grâce à elle j'ai eu une vie unique. Elle avait le don d'aimer et de guérir. Vraiment !"
Le livre "Guérisseur" de Louis Royère raconte l'histoire d'un homme qui est entré chez Madame Nicolas avec des béquilles et qui en est ressorti sans. Il était venu parce qu'il souffrait de la hanche. Madame Nicolas l'a regardé et l'a traité de "couillon" en lui rappelant un épisode de la guerre de 1914 durant laquelle il était tombé. Elle a continué en lui disant que, quelques années plus tard, il était à nouveau tombé alors qu'il skiait. Le brave homme était aussi interloqué par ces visions dans le passé que par sa guérison subite.
D'après Jacqueline, les patients qui sortaient de chez elle étaient soulagés, contents. Ceux qui pleuraient en arrivant, repartaient moins tristes. Quelquefois, les gens venaient de l'étranger car elle avait une grande notoriété.
Donner aux autres jusqu'à s'oublier soi-même
Avec sa tante, Jacqueline a vécu des choses bizarres. À son contact, elle a appris la vie sans manquer de rien, même pendant les périodes les plus rudes de la vie en France au XXe siècle. "J'ai honte de le dire, mais pendant la guerre nous étions très bien nourris. Je me sentais coupable de bien manger. Mais ma tante connaissait de nombreux paysans qui venaient la consulter et ils lui apportaient des jambons, des poules, du beurre, des fruits. Nous n'y étions pour rien, nous les enfants. Même pendant la guerre, elle a continué à exercer car les malheureux existaient toujours, tout comme les malades. Comme il n'y avait pas d'argent, les gens donnaient ce qu'ils pouvaient. Parfois rien du tout, parfois un œuf !"
Quand elle recevait ses patients, Claudia Nicolas restait debout devant sa porte sans boire ni manger, sans même se reposer, de l'aube jusqu'à tard le soir. Les visites étaient très rapides et des centaines de personnes défilaient tous les jours. Il fallait bien récupérer et manger en fin de journée. "Ma tante était diabétique et elle mangeait comme quatre ! Il lui fallait manger autant pour qu'elle puisse se remettre rapidement de tous ses efforts. Dans son petit appartement, il y avait toujours quelqu'un qui la servait, une ou deux personnes pour lui faire la cuisine, ou à la fin, sa toilette. Il n'y avait rien pour les végétariens : que du saucisson ou du pâté."
On ne peut l'oublier
En dédiant sa vie aux autres, Claudia Nicolas s'est oubliée elle-même. Mais avec elle rien n'était dramatique. "Sa mort, je ne l'abordais pas avec elle et elle non plus. Dans sa tête ce n'était pas triste, ça devait arriver. Si vous aviez été là le matin même, elle vous aurait sûrement dit : Tu vois, il me rappelle, j'ai fini mon travail, Il a besoin de moi là-haut. Elle n'était pas morbide du tout. Elle est morte d'amour, d'épuisement. Elle a tout donné et ne pouvait pas aller plus loin".
Claudia Nicolas est morte jeune à la suite d'un coma diabétique. Mais son souvenir demeure brillant parmi les images qu'elle a laissées aux personnes qui ont eu l'insigne honneur de la connaître. "C'est ma cousine Maria qui l'a tenue dans ses bras jusqu'à son dernier souffle. Les vrais guérisseurs ont tous un point commun : ils ne se soignent pas eux-mêmes. Ils sont tellement connectés aux autres qu'ils s'oublient eux-mêmes et meurent. Pour eux, la mort n'est pas une catastrophe."
Pour Jacqueline, l'histoire ne s'est jamais réellement arrêtée. Tata Nicolas est encore là, pas bien loin. "De ma tante, je n'oublierai jamais tout un tas de choses, mais au risque de paraître fétichiste, sachez que j'ai, au pied de mon lit encore aujourd'hui, une photo d'elle et de ma mère que je salue tous les soirs en me couchant et en leur disant à demain. Jusqu'au jour où..."