Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 01.04.2022 - philippe-gavillet-de-peney - 4 min  - vu 6188 fois

FAIT DU JOUR Surpopulation de flamants roses : le Département prend la poudre d'escopette

Pour réguler le cheptel, il sera procédé à des tirs de régulation. Une mesure exceptionnelle qui ne fait pas l'unanimité.
Les flamants roses, emblématiques de la Camargue gardoise, sont maintenant trop nombreux… Photo via MaxPPP - PHOTOPQR/LE REPUBLICAIN LORRAIN

Déjà lourdement impactée au plan économique par l'épidémie de covid qui a paralysé l'activité des manadiers et le tourisme, la Petite Camargue se retrouve maintenant en butte à une conséquence plutôt inattendue du réchauffement climatique et du confinement de 2021. La croissance de la population de flamants rose poursuit une courbe exponentielle et des tirs de régulation vont être mis en place. Explications.

Le moins qu'on puisse écrire c'est que celle-là, on ne l'avait pas vu venir ! Réserve ornithologique et véritable sanctuaire pour ces gracieux volatiles, la Petite Camargue accueille désormais une colonie de quelque 2 500 flamants roses qui ont largement profité du confinement de 2021 et de l'absence de touriste pour croître et se multiplier. Au point que leur gestion démographique pose désormais problème. Là où on en comptait environ 1 500 il y a peu, cette surpopulation de Phoenicopterus roseus - son nom scientifique - vient bouleverser un écosystème déjà fragilisée par la salinisation excessive de l'atypique territoire.

Raréfaction des crevettes et du poisson

Déjà en première ligne lorsqu'il s'était agi d'alerter le Gouvernement sur cette problématique qui affecte durablement la production de riz (la Camargue est l'unique lieu de production en France), de vin de sable, l’exploitation de sel, l'élevage de taureaux et la production maraîchère, le sénateur gardois Laurent Burgoa est remonté au créneau et justifie l'intervention de l'Homme pour réguler les population de flamants : "Depuis plusieurs années, en raison du réchauffement climatique, la grande majorité des flamants ne migre plus vers l'Afrique et s'est durablement installée en Petite Camargue. Ces oiseaux se nourrissent d'insectes, de poissons, de plantes aquatiques et de crustacés. Pas de souci en ce qui concerne les insectes car on a bien assez de moustiques pour nourrir tout le monde mais ils colonisent les rizières et les dévastent, et les pêcheurs professionnels ont constaté une raréfaction des poissons et des crevettes. Cela ne peut plus durer."

Opération "Pink Floyd" : cinq cents spécimens pour commencer

Après les lapins, le chasseur Laurent Burgoa s'attaque aux flamants roses. DR

Pour l'élu de la République, par ailleurs chasseur émérite, sur un territoire dont l'économie a du plomb dans l'aile, en expédier à coup d'escopette dans celles des oiseaux prend tout son sens. Il compte d'ailleurs participer à la première séance d'abattage massif programmée le 10 avril prochain à la réserve naturelle du Scamandre : "Des essais de tirs d'effarouchement n'ont rien donné. Les flamants se sont rapidement habitués au bruit et ils finissaient par revenir aussitôt. Il est prévu d'en tirer cinq cents cette fois et cinq cent autres fin avril. Pour nous assurer de l'efficacité de la manœuvre - nous avons intitulée l'opération "Pink Floyd" (*) -, en plus des chasseurs de la Fédération du Gard, nous avons sollicité le concours des licenciés des clubs de ball-trap de la région. Ils seront chargés de tirer les spécimens qui auront réussi à s'envoler un peu trop haut. Me concernant, il faudra simplement que je rachète quelques cartouches car si je les tire avec les balles à sanglier que j'utilise d'habitude, il ne va pas en rester grand chose !", prévient le disciple de Nimrod.

Valorisé dans les restaurants et les cantines scolaires

Et il serait en effet dommage qu'il n'en reste pas grand chose car avec cette opération le Département compte bien faire d'une... balle deux coups. En effet, il n'est pas question d'envoyer les cadavres à l'équarrissage : les carcasses de flamants seront récupérées et valorisées en aliment après transformation. Chef doublement étoilé, le Nîmois Jérôme Nutile, qui s'est toqué pour la viande cet oiseau, envisage d'ailleurs de remettre au goût du jour une ancienne recette et de la mettre à la carte de son restaurant.

Jerome Nutile est heureux de revisiter une recette de flamant rose Photo DR

"J'ai déjà dégusté du flamant lors d'un voyage au Sénégal. C'est une viande très tendre mais qui n'est pas très forte en goût. Là-bas, ils l'assaisonnent avec des piments oiseaux et la font macérer longuement dans une marinade avant de la griller. Au premier siècle, les Romains la cuisinaient bouillie avec des épices et du vin. Moi, je vais revisiter à ma façon le Flamaïou, une recette que m'avait confiée mon ami Robert (**), un vieux braconnier saint-gillois." Soucieux de ne pas dévoiler sa recette, le maître-queux envisage par ailleurs de réaliser une terrine charcutière : "Un peu comme le pâté d'alouette (***) mais à la différence près que là il y aura au moins 50% de chair flamant", s'amuse l'artiste culinaire.

Mais comme les restaurants du Gard ne pourront pas transformer à eux seuls toutes les carcasses, l'essentiel du stock sera offert gracieusement aux cantines des établissements scolaires du département et aux maisons de retraite.

L'Alliance anti-corrida prend le mors au dent

C'est peu dire que cette décision d'abattre des flamants roses n'a pas fait que des heureux. Ardente défenseur de la cause animale et présidente de l'Alliance anti-corrida, la Nîmoise Claire Starozinski a fait valoir son "écœurement" devant cette décision "inique", rappelant à juste titre que "le flamant rose bénéficie d'une protection totale sur le territoire français depuis l'arrêté ministériel du 17 avril 1981 relatif aux oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire".

Claire Starozinski, présidente de l'Alliance Anticorrida (DR)

Pour elle, dans cette prise de bec au sujet des oiseaux, il eut été plus judicieux de proposer à des parcs animaliers d'accueillir les flamants surnuméraires ou d'organiser leur rapatriement en Afrique plutôt que d'avoir recours à cette solution radicale qu'elle assimile volontiers à "un véritable génocide dont les Gardois devraient avoir honte". À ce jour, elle n'exclut d'ailleurs pas d'intenter un recours devant les agences exécutives de la Commission européenne à Bruxelles pour faire capoter l'opération "Pink Floyd". On ne peut plus opportun car comme chacun sait Bruxelles est en Belgique, un pays qui jusqu'alors s'est toujours refusé à réguler sa population de Flamands.

Philippe GAVILLET de PENEY

* Contrairement à une idée tenace "floyd" ne signifie pas "flamant" en anglais. On le traduit par flamingo et le nom du groupe de pop music est un hommage à deux bluesmen américains de Géorgie, Pink Anderson et Floyd Council.

** Le prénom a été modifié.

*** Le pâté d'alouette est un pâté fictif composé essentiellement d’une alouette et d’un cheval. Ce mets est souvent cité pour relever une disproportion ou un déséquilibre important et à présenter de manière trompeuse un produit en mettant en avant une caractéristique mineure (l’alouette) de celui-ci tout en occultant ou en minimisant sa nature principale (le cheval).

Philippe Gavillet de Peney

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio