Publié il y a 1 jour - Mise à jour le 11.04.2025 - Thierry Allard - 4 min  - vu 2549 fois

FAIT DU SOIR Chez Orano Tricastin, un chantier de démantèlement unique au monde à plus d’un milliard d’euros

Les deux tours aéroréfrigérantes de l'usine Eurodif

- Thierry Allard

C’est une usine unique au monde, à l’arrêt depuis 2012, dont le chantier de démantèlement entre dans une nouvelle phase : la déconstruction des tours aéroréfrigérantes de l’usine historique d’enrichissement de l’uranium d’Orano Tricastin, l’usine Georges-Besse, plus connue sous le nom d’Eurodif, a démarré. Et avec elles, c’est la physionomie du site nucléaire qui s’apprête à définitivement changer.

C’est peu dire qu’elles font partie du paysage, ces tours : 123 mètres de haut, 90 mètres de diamètre à leur base, on les voyait de loin, et notamment du Gard, depuis les hauteurs de Roquebrune, entre Bagnols et Pont-Saint-Esprit. « Elles étaient le symbole du site Eurodif », résume le directeur du site Orano Tricastin Pascal Turbiault. Un symbole qui a vécu : treize ans après l’arrêt d’Eurodif, les tours auront définitivement disparu d’ici un an, à l’issue d’un chantier de démantèlement par grignotage qui démarre ces jours-ci.

Vue aérienne de l'usine Eurodif • Orano

Ces tours « servaient à évacuer la chaleur des circuits d’eau d’Eurodif, explique Guillaume Vossier, chef du projet de démantèlement des tours. Elles sont en béton armé et pèsent 12 500 tonnes chacune. » Si le chantier entre dans sa phase visible, il a en réalité commencé il y a six mois. « La première étape a été les travaux de préparation, avec la déconstruction de l’ensemble des éléments en béton armé à l’intérieur des tours, il y en avait plus de 1 500 tonnes, détaille-t-il. Puis nous avons coulé un massif de 350 tonnes de béton pour installer une grue de 110 mètres de haut, montée par l’intérieur. » Une pince à béton est installée sur cette grue. Les deux tours seront démantelées l’une après l’autre. En tout, « nous aurons 25 000 tonnes de gravats et de ferraille que nous allons revaloriser », avance Guillaume Vossier. Il faut dire que les tours n’étaient pas en contact direct avec la radioactivité, ce qui facilite leur démantèlement.

Une grue de 110 mètres de haut a été installée à l'intérieur de la tour pour sa déconstruction • Thierry Allard

« La partie visible du démantèlement d’Eurodif »

Le démantèlement de ces tours, qui va coûter 6 millions d’euros, est « la partie visible du démantèlement d’Eurodif », pose Pascal Turbiault. Car dans le même temps, le démantèlement de l’ancienne usine d’enrichissement de l’uranium est en cours, et ce pour un moment : il doit s’achever en 2051, et coûter 1,2 milliard d’euros en tout. Cette usine est un vestige de l’époque où on enrichissait l’uranium par diffusion gazeuse. Une technique française, parfaitement fonctionnelle, mais qui présentait un gros défaut : elle était très énergivore. Ainsi, l’usine Eurodif, lancée en même temps que la centrale nucléaire EDF voisine, nécessitait « trois réacteurs pour son alimentation », rappelle Pascal Turbiault. Rien que ça ! Et l’usine Eurodif prélevait 25 millions de mètres cubes d’eau par an pour son refroidissement, une bagatelle.

L’enrichissement de l’uranium

Pour que l’uranium soit utilisable en tant que combustible pour centrale nucléaire, il doit être enrichi. À l’état naturel, il est composé principalement de deux atomes très semblables, qui se différencient par leur masse. Il s’agit des isotopes, l’uranium 238, qui représente 99,3 % de la matière et l’isotope 235, qui en représente 0,7 %. Or, c’est cet uranium 235 qui permet de libérer de l’énergie par fission. L’enrichissement consiste donc à augmenter la concentration en uranium 235 pour la faire passer à environ 4 %. Eurodif y parvenait en passant l’uranium sous forme gazeuse et en le faisant passer par une membrane permettant de filtrer les isotopes. Désormais, l’enrichissement se fait par centrifugation, toujours avec de l’uranium sous forme gazeuse. SOus l’effet de la force centrifuge, l’uranium 238 se concentre à la périphérie, et l’uranium 235 migre vers le centre. L’uranium enrichi ainsi produit par Orano Tricastin permet d’alimenter 90 millions de foyers par an, soit l’équivalent de la population de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni.

Eurodif, qui a fonctionné de 1979 à 2012, a été remplacée à l’orée des années 2010 par l’usine Georges-Besse 2, avec une tout autre technique d’enrichissement, la centrifugation, qui consomme « 98 % d’énergie en moins et plus d’eau, puisque le refroidissement est en circuit fermé », explique le directeur du site. Et Georges-Besse 2 est actuellement en plein chantier d’extension. Un chantier conséquent d’1,7 milliard d’euros, « dans le top 5 des investissements de la décennie en France », rappelle le directeur, avec un objectif d’entrée en production courant 2028, « en réponse à la situation géopolitique », rajoute-il. Orano a en effet été sollicité par ses clients, notamment américains, soucieux de se passer de l’uranium enrichi russe.

Pascal Turbiault, Maxime Bourasseau et Guillaume Vossier • Thierry Allard

« Une vingtaine de Tour Eiffel »

Voilà pour le futur, retour dans le passé, avec Eurodif et son chantier pharaonique : « une vingtaine d’hectares, plus de 160 000 tonnes d’acier, soit l’équivalent d’une vingtaine de Tour Eiffel », pose Maxime Bourasseau, directeur des opérations de démantèlement d’Orano Tricastin. Le chantier a commencé depuis quelques années : « de 2020 à 2025 nous avons fait de la place, et déjà enlevé 8 500 tonnes de matériaux à l’intérieur que nous avons recyclés à 95 %, puis nous allons construire une unité de démantèlement pendant cinq ans, et nous en aurons jusqu’à 2051 », détaille-t-il, avec environ 200 salariés sur le chantier tout le long. Il faut dire que l’usine, qui fait presque un kilomètre de long, comptait 1 400 étages de diffusion, comptant des tuyaux d’1,60 mètres de diamètre chacun, répartis en quatre unités.

L'usine Eurodif compte 1 400 étages de diffusion. Chaque tuyau correspond à un étage • Thierry Allard

« C’est une usine unique au monde, et un programme de démantèlement unique au monde », avance Maxime Bourasseau. Par sa taille, ses opérateurs circulaient à vélo dans ses immenses couloirs, ce que font aujourd’hui ceux chargés de son démantèlement, mais aussi par sa technicité, puisqu’aucune usine de ce type n’a été démantelée jusqu’ici. Il faudra aussi traiter les déchets métalliques qui, s’ils ont été abondamment rincés, restent contaminés. « Le technocentre d’EDF permet d’avoir un procédé de revalorisation des métaux par fusion, Orano privilégie cette voie », affirme le directeur du site Orano Tricastin. Dans son ensemble, le démantèlement est conduit par Orano en interne.

L'usine Eurodif fait près d'un kilomètre de long • Thierry Allard

À son terme, il restera l’immense bâtiment, que le géant du nucléaire veut conserver, compte tenu de son très bon état de conservation. « Il pourra être réutilisé pour nos besoins industriels », affirme Maxime Bourasseau. Lesquels ? « À date, je ne peux pas dire ce qu’on fera ici, nous pourrons implanter de nouvelles activités », dit pour sa part Pascal Turbiault. D’ici à 2051, Orano aura bien le temps d’y réfléchir.

Thierry Allard

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