ALÈS Après l’émeute, les Gilets jaunes paient les "peaux cassées"
Six mois après l’acte XVI des Gilets jaunes qui avait rassemblé 2 000 personnes à Alès (relire ici), deux manifestants ont été condamnés, hier après-midi, à des peines de prison.
Deux camps s’affrontent ce vendredi après-midi au tribunal d’Alès. Le premier, celui qui a voulu faire de ce procès une tribune politique, le camp majoritaire qui comprend une grosse vingtaine de soutiens des prévenus ainsi que l’avocat de ces derniers, maître Karim Derbal. Face à eux, ceux qui ont pris le parti de s’en tenir aux faits, composé de l’avocat des policiers, maître Jean-François Corral, et du substitut du procureur, Cyrille Abbé. Sans trahir le suspense, les deux clans ne sont pas tombés d’accord.
La première affaire concerne Toufahn, 39 ans, la boule et le moral à zéro. Et pour cause, l’homme explique à la barre être traumatisé parce qu’il a « peur des policiers ». Il dit aussi avoir déjà été « témoin de crimes et de torture ». Pourtant, le 2 mars, il a trouvé suffisamment de ressources pour vaincre sa peur et crier, au nez et à la barbe de quatre fonctionnaires de la Brigade anti-criminalité (Bac), « la Bac en prison » avant de leur adresser un doigt d’honneur. S’il considère que son geste est « vulgaire », il estime en revanche que ses propos relèvent de « l’opinion ».
- Mais vous aviez quelque chose à leur reprocher à ces quatre policiers ?, interroge la présidente de l’audience, Bérangère Le Boedec.
- Euh… À eux, non. Ce n’était pas personnel, répond Toufahn déjà condamné à trois reprises pour des faits similaires.
Dans sa plaidoirie, maître Corral, qui porte la voix des policiers, joue la carte de l’apaisement en rappelant que « les policiers n’ont jamais été les adversaires des Gilets jaunes », qu’ils sont là pour « protéger les citoyens ». La salle, acquise à la cause des accusés, rigole. Cyrille Abbé, pour le parquet, prend le relais : « J’entends rire et je suis déçu ». Il requiert deux mois de prison avec sursis, « un avertissement car on n’insulte pas impunément les forces de l’ordre ».
Pour la défense de Toufahn, maître Derbal choisit la voie idéologique : « C’est sa liberté de donner son opinion. Il l’a fait. Est-ce que dire "la Bac en prison" est une insulte ? Pour moi, ce n’est pas une injure. D’ailleurs, s’il avait dit "les politiques en prison", on aurait considéré que c’est une opinion ». Le tribunal tranche : deux mois de prison avec sursis et 250€ à verser à chacun des policiers.
Maître Corral : « une vraie lâcheté »
Dans la foulée, c’est Jovani qui se présente à la barre. Le quadragénaire alésien était lui aussi de la manif’ du 2 mars, à la différence qu’il alternait entre les coups au bar et ceux de la rue. Et justement, vers la fin de cet acte XVI, après avoir bu quelques bières, il raconte au tribunal avoir voulu rentrer paisiblement chez lui, qu’il s’est retrouvé face à trois cordons de CRS et qu’une policière l’a aspergé de gaz lacrymogène sans raison. C’est donc en riposte qu’il a blessé la commissaire nîmoise à la main droite, lui occasionnant dix jours d’ITT, qu’il l’a traitée de « petite pute » tout en assurant à deux autres policiers qu’il allait s’occuper de leurs mères respectives. « J’ai dit ça dans l’élan, c’est une bêtise, une connerie », explique Jovani.
Ce n’est pas maître Corral, toujours conseil des policiers, qui viendra le contredire. Il passe à l’offensive : « Le mouvement des Gilets jaunes a été un mouvement populaire extraordinaire. Mais ce dont on se souviendra, ce sont les débordements extrêmes, c’est pour ça que ce mouvement s’éteint doucement. Et de venir se justifier aujourd’hui avec un objectif politique, c’est une vraie lâcheté ». Il se retourne vers Jovani : « C’est un objectif politique de dire à un policier que vous enculez sa mère ? C’est politique ça ? C’était nécessaire d’agresser cette commissaire ? C’est une femme ! ».
Jovani ne bronche pas, tout comme l’ensemble de la salle - qui n’a pourtant jamais manqué une occasion de ricaner – dans laquelle on entend subitement les mouches voler. Les Gilets jaunes retrouveront de la voix un peu plus tard, devant le tribunal, scandant un « Police partout, justice nulle part », après avoir entendu la condamnation de leur camarade de gilet : 4 mois de prison et une amende totale de 1 650€ pour le préjudice moral des policiers.
Tony Duret