CRIMES ET DÉLITS Viol et meurtre d'une adolescente : l'ADN au coeur de l'enquête
Des drames, des crimes, des dossiers non résolus, mais aussi des affaires insolites. Tous les jeudis de l'été, à 11h30, nous vous proposons de pénétrer dans l'univers judiciaire, avec des enquêteurs, des experts, des juges qui racontent ces crimes qui ont marqué leur existence.
C'était une première en France. En 1996, un juge d'instruction décidait de procéder à des tests génétiques de grande ampleur sur les hommes de la commune de Garons. 1 500 hommes, âgés de plus de 15 ans, étaient répertoriés. Le juge Bandiera et les gendarmes de la Section de recherches de Nîmes avaient d'abord ciblé le premier cercle, des hommes proches de la victime, avant d'élargir les recherches afin de confondre l'étrangleur et le violeur de la jeune Emmanuelle Lelièvre. Tous les élus de Garons avaient été prélevés car le soir de l'assassinat se déroulait un conseil municipal. La victime sera retrouvée le lendemain dans un fossé, face au parking de la mairie.
Une belle adolescente de 15 ans retrouvée morte
Jean-Pierre Bandiera, actuel président du tribunal correctionnel, a la particularité d'avoir été pendant près de deux décennies juge d'instruction au tribunal de grande instance de Nîmes. Lorsque l'on évoque un dossier criminel qui a marqué sa vie professionnelle, immédiatement son regard se fige et les paroles se libèrent comme s'il revivait, 24 ans après le drame, l'affaire Emmanuelle Lelièvre.
Cette adolescente de 15 ans a été violée, tuée et jetée dans un fossé situé face à la mairie de Garons, une commune près de Nîmes. Son corps est découvert par un froid matin d'hiver de janvier 1996, alors que sa mort se situe quelques heures auparavant, dans la nuit du 17 au 18 janvier entre 23h et 1h du matin. Cette nuit là, tard, un conseil municipal s'est tenu dans la salle de la mairie. Mais aucun élu n'a vu ou remarqué un suspect porter et abandonner l'adolescente dans le fossé.
Le corps de la belle adolescente ne sera retrouvé que le lendemain au petit matin. Il n'y a pas de témoin. Une botte est manquante, la petite culotte de la victime est remontée sur une seule jambe laissant supposer un abus sexuel. Une affaire difficile. Un ADN est prélevé dans des parties intimes de la jeune femme. C'est un ADN masculin affirme le laboratoire du professeur Doutremepuich, une sommité dans ce type d'expertise scientifique.
"Au départ nous n'avions pas grand chose. On sait que le drame ne s'est pas déroulé à l'endroit où le corps a été retrouvé mais qu'il a été transporté là, souligne le magistrat. On apprend que cette gamine est sortie de chez elle pour voir une copine jusqu'à 21h30", raconte le juge Bandiera. Les méthodes classiques d'investigations ne "parlent pas" et pourtant toutes les pistes sont refermées après avoir été vérifiées. C'est l'ADN qui va être utilisé en plus des nombreuses investigations de terrain pour confondre le coupable. Confondre mais aussi exonérer des suspects, des hommes qui sans l'appui de la preuve scientifique auraient eu de gros problèmes avec la justice.
Lorsque l'ADN permet d'innocenter des hommes
Un des premiers suspects explique avoir passé la soirée et la nuit avec sa femme. Cette dernière dit aux enquêteurs que c'est faux : son mari n'était pas avec elle le soir du drame. Qui a raison ? Dans la fourgonnette du suspect qui lui sert de lieu de rencontres extra-conjugales, des traces de sperme sont relevées. L'homme est finalement totalement blanchi car son empreinte génétique ne correspond pas à celle retrouvée sur l'adolescente.
Ce premier suspect est donc écarté de l'enquête. " Ensuite nous avons été intrigués par un homme de nationalité allemande qui était sur la commune le soir du crime et qui a mystérieusement disparu dès le lendemain matin alors qu'il devait rester une semaine de plus. Et pour aggraver son cas, il était connu pour une tentative de viol. Il a été retrouvé en Allemagne et son ADN prélevé mais il ne correspondait pas à celui découvert sur la jeune Emmanuelle. Une autre piste se refermait", se remémore Jean-Pierre Bandiera.
Un autre homme va ensuite intéresser les enquêteurs. Un habitant des Bouches-du-Rhône d'une quarantaine d'années dont les parents habitaient à proximité et qui avait été condamné à deux reprises pour des agressions sexuelles. "En garde à vue, il était très mal à l'aise, mais là aussi l'ADN va totalement exclure qu'il soit le violeur d'Emmanuelle", complète l'ancien juge d'instruction.
Un garçon de 18 ans qui fêtait son anniversaire ce soir-là
Le magistrat et les gendarmes ne lâchent rien. Ils referment les portes une à une pendant des mois. En août 1996, les déclarations de tous les protagonistes du dossier et leurs emplois du temps vont être à nouveau examinés et passés au crible. Et là, 9 mois après, une piste prometteuse s'ouvre. "J'ai décidé d'étendre les prélèvements. Le 119e va être le bon. On va découvrir un jeune qui fêtait ses 18 ans le soir de l'homicide, raconte le juge. Ses parents attestaient qu'il était resté à la maison. Mais, en réalité, il était sorti de chez lui sans rien dire à personne pour rendre service à un copain... Il devait nourrir le chat de ce voisin du village lorsqu'il a croisé Emmanuelle. Il la connaissait car ils vivaient dans la même commune."
La jeune femme se retrouvera dans la maison de "l'ami voisin", et le jeune homme abusera puis tuera l'adolescente. Il transportera ensuite le corps dans le fossé face à la mairie où il sera découvert dans la matinée. Il n'a pas été vu cette nuit-là.
Lors du transport du corps, le blouson et une botte de la jeune femme seront perdus dans la rue. Mais en revenant sur ses pas après avoir abandonné la victime, il retrouvera ces objets vestimentaires et les balancera dans une propriété privée sur le chemin qui mène de l'endroit du crime à la mairie de la commune.
"Sans un ciblage précis dès le départ des personnes à prélever et sans la preuve scientifique, ce dossier criminel n'aurait jamais été élucidé. Sans l'apport capital de l'ADN on n'aurait pas pu fermer des portes et exclure de l'enquête plusieurs hommes", conclut le président Bandiera. Le mis en cause sera condamné en 1998 devant la cour d'assises des mineurs du Gard à 18 ans de réclusion criminelle.
Boris De la Cruz