FAIT DU JOUR Golden Globes, César et Oscars ravivent les souvenirs de tournage du film "Deux"
À Sommières flottent encore les souvenirs de tournage du film "Deux" réalisé par Filippo Meneghetti, nommé aux Golden Globes, aux César et pré-sélectionné pour les Oscars. Reportage.
"Deux" raconte une histoire d'amour entre deux retraitées qu'un événement tragique va séparer. Ce tournage - initialement et exclusivement prévu à Montpellier - n'aurait jamais eu lieu en bordure sur Vidourle si l'un des producteurs n'avait pas débarqué par hasard à Sommières, un jour de marché. S'il n'avait pas eu ce coup de coeur pour cette charmante commune plongée en Vaunage. Des "si" qui ont mis la cité frontière du Gard et de l'Hérault et quelques-uns de ses habitants dans une boîte à images pour être projetées sur grand écran.
C'était au tout début du mois d'octobre 2018. Le contraste est saisissant, à ce moment-là, le village était en pleine effervescence. Aujourd'hui, sans être en sommeil, il pâtit comme ailleurs des mesures sanitaires. Les terrasses des cafés, des restaurants nombreux le long du fleuve côtier sont vides, les rideaux sont baissés depuis un long moment.
Figure emblématique de Sommières, Nénette a exceptionnellement accepté de nous accueillir dans son établissement. À travers la vitre, nous voyons la commerçante peiner à ouvrir la porte. "On a perdu l'habitude", s'amuse-t-elle à l'issue d'une bataille dont elle est finalement sortie victorieuse. La sexagénaire a passé un peu plus de la moitié de sa vie derrière le comptoir du Café du commerce. Elle en a vu du beau monde passer, notamment Yves Montant et Daniel Auteuil.
Des rencontres qui remontent à 1985. Pour le tournage de l'adaptation du roman L'Eau des collines signé de l'académicien provençal Marcel Pagnol, Claude Berri avait décidé de "réquisitionner" la ville gardoise pour quelques plans de bon aloi. Jean de Florette et Manon des Sources allaient devenir des films à succès et la cité d'ardoise le théâtre d'un moment historique.
"Yves Montand m'a signé un mot : "À la belle Incarnation (son vrai prénom, Ndlr)". Daniel Auteuil aussi : "À la belle mauresque". Nénette rit de bon coeur en se remémorant ce souvenir. Ce même rire retentit de nouveau lorsqu'elle raconte sa participation au film "Deux" signé du réalisateur italien Filippo Meneghetti. Quelques scènes ont été tournées dans son café et sur sa terrasse. "C'est dingue le nombre de prises qu'il faut faire pour une scène. C'était long mais c'était drôle", lâche-t-elle incapable de garder son sérieux d'autant plus lorsqu'elle ajoute que les scènes où elle apparaissait ont été coupées au montage.
Julia Blanc, 39 ans, avait quant à elle deux scènes à jouer en tant que passante, d'abord chez Nénette puis sur le marché. "J'ai cru apercevoir mon épaule grâce au cabas en osier que je portais." Encore une fois, les rires sont de la partie lors de notre entretien avec l'employée municipale au service technique de Sommières.
L'enfant du pays a découvert, non sans surprise, l'envers du décor d'un tournage. "J'ai été étonnée après la projection du film de voir à quel point le montage pouvait transformer l'histoire, en tout cas celle qu'on a pu comprendre lors du tournage. Il y avait par exemple un personnage qui me semblait central qui n'apparaît pas dans le résultat final". Une énigme pour Julia qui, rieuse, invite le réalisateur à revenir à Sommières pour y répondre.
"C'était une expérience enrichissante, poursuit-elle. Il y avait beaucoup de bienveillance de la part de l'équipe du film mais aussi chez les figurants professionnels. Je suis restée en contact avec certains. Il y en a même que j'ai reconnu dans les séries "Demain nous appartient" et "Un si grand soleil. C'est amusant".
Denis Galvier, enseignant et musicien garde lui aussi un très bon souvenir de ce tournage qui met en lumières Sommières, certes à l'heure où les cinémas sont plongées dans le noir. "Deux" n'a eu droit qu'à quelques petites semaines de diffusion. Ce n'est pas un long fleuve tranquille, mais il faudra bien qu'un jour la vie reprenne son cours normal. Nul doute que ce jour-là, les salles obscures feront le plein et les films à l'affiche, dont la diffusion a été interrompue, auront peut-être droit à une séance de rattrapage.
Le Sommiérois âgé de 59 ans, a dansé devant l'objectif du réalisateur italien lors d'une scène surnommée "la guinguette" et tournée sur l'esplanade de la commune où un restaurant porte son nom. Son gérant, Fabrice a accueilli, "à titre gracieux", précise-t-il, toute l'équipe du film pour la réalisation de cette séquence.
"J'ai dû fermer un soir, mais ce n'était pas du tout dérangeant. Je les ai même fait manger un soir, parce qu'ils avaient pris beaucoup de retard", se souvient-il. Léa Drucker, Martine Chevallier (de la Comédie française) et Barbara Sukowa étaient donc assises à sa table. Pas de quoi impressionner le restaurateur et pas question pour lui de jouer les indiscrets : "Tout le monde a bien mangé, c'est tout ce que je voulais savoir", lance Fabrice.
Au terme du tournage, le réalisateur, Martine Chevallier et les techniciens du film avait partagé un verre de l'amitié avec l'équipe municipale en place à ce moment-là. Michèle Lelou, agent au service communication de la Ville se rappelle cet instant convivial à l'image de ces jours de tournage lors desquels elle a eu la chance de pouvoir suivre l'équipe du film et d'en capturer, appareil photo à la main, chaque instant.
Comme beaucoup de Sommièrois et plus largement de Gardois, elle sera derrière son petit écran le 12 mars prochain à l'occasion de la 46e cérémonie des César. Le long-métrage de Filippo Meneghetti est nommé dans les catégories du "Meilleur premier film", du "Meilleur scénario original" et de la "Meilleure actrice" pour Barbara Sukowa et Martine Chevallier. Suivra peut-être, une nomination aux Oscars, "Deux" est l'un des quinze films pré-selectionnés dans la catégorie "Meilleur film étranger". Cinq seulement figureront dans la liste officielle présentée le 25 avril prochain lors de la 93ᵉ cérémonie des Oscars du cinéma. Ce long-métrage qui s'ouvre sur un plan du pont Tibère en fera-t-il partie ? Réponse le 15 mars. D'ores et déjà, nous savons que le prix du meilleur film en langue étrangère aux Golden Globes a échappé à "Deux" au profit de "Minari".
Stéphanie Marin