FAIT DU JOUR Inondations de 2002 : les sinistrés se souviennent
Il y a 20 ans le Gard était touché par de graves inondations. Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2002, un épisode méditerranéen d'une rare violence touche 90 % des communes gardoises et fait 800 millions d'euros de dégâts. Le sinistre, et son terrible cortège d'horreurs, ôte la vie à 23 personnes. C'est tout le Gard qui est marqué par cette catastrophe et deux décennies plus tard, des sinistrés évoquent ce qu'ils ont vécu ce maudit jour de 2002.
À La Calmette
Ce jour-là, c’est une sardinade au bord du Gardon, qui est au programme de Gaëtan Firmin. Mais le moment convivial entre amis n’aura pas lieu. Les convives scrutent le ciel, il n'est pas très engageant. Leur projet est reporté et chacun rentre chez soi. Au fil des minutes, la menace se matérialise par un fort orage. « Ça a commencé vers 10h et en arrivant au niveau de l’ancienne station service, j’ai pris conscience que ce n’était pas un orage habituel. »
En effet, l’eau monte et tant bien que mal le Calmettois regagne son domicile situé chemin de Nail, non loin de la Braune, le ruisseau qui se jette dans le Gardon. Une fois chez lui, Gaëtan n’est pas complètement à l’abri : « L’eau est arrivée d’un coup et elle est entrée dans la maison. Nous avons perdu l’électroménager et les meubles. Mon fils de 11 ans m’a demandé si nous n’allions pas mourir dans la maison. » Ces heures sont interminables et deux décennies plus tard, elles restent bien ancrées dans sa mémoire. « J’ai des photos d’époque, mais ce ne sont pas des choses que je veux revoir. »
« Des cercueils se sont retrouvés sous le pont Saint-Nicolas et nous avons retrouvé des chevaux dans des arbres »
Fortement touchée, la commune devient le refuge pour les automobilistes coincés sur la N 106. « 400 naufragés de la route ont rejoint le village à pied », se souvient Jacques Bollègue, le maire, qui était adjoint à cette époque. L’inondation entre dans La Calmette et avec elle son cortège d’horreurs : « Des cercueils se sont retrouvés sous le pont Saint-Nicolas. Tous les taureaux sont morts et nous avons retrouvé des chevaux dans des arbres. » Le sinistre génère aussi des situations moins dramatiques. « La cuve à fioul de la guignette a été emportée et on l’a retrouvé à Frontignan, dans l'Hérault. »
Pour les Calmettois, isolés du monde, c’est l’angoisse et certains montent sur le toit de leur maison dans l’attente d’être hélitreuillés. Dans ces moments dramatiques, la solidarité fait souvent des merveilles. Les naufragés de la N 106 sont hébergés dans la salle communale et chez les habitants les moins touchés. « Je me suis retrouvé à faire du pain dans le four de l’Intermarché », souligne Jacques Bollègue, encore marqué par ces inondations : « On a eu très peur et c’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort. »
À Sommières
C’est peu de dire que Paulette Barbusse est une figure de la vie sommiéroise. Elle est plus que cela. Cela fait 72 ans que la coiffeuse est installée dans son salon de la rue Antonin-Paris. Elle en a connu des "vidourlades". Mais ces jours de 2002, elle ne les oubliera jamais. « Le niveau est monté jusqu’à la hauteur du balcon de premier étage. » La commerçante perd tout en deux heures. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là.
« Tout Sommières était sous l’eau et je ne pouvais pas accéder à ma maison. Alors je suis partie à pied chez un de mes fils qui habite à Villevieille. À 2h du matin, je me suis retrouvée sur la route de Nîmes alors que l’orage s’abattait et qu’il faisait nuit noire. » 20 ans plus tard, Paulette n’a pas oublié mais elle repense à tout ça avec philosophie. « Nous n’avons perdu que du matériel et ça a été plus dur pour d’autres personnes. » Le pétillante coiffeuse aux 86 printemps a appris à vivre sereinement à côté du capricieux Vidourle.
« On a vu monter l’eau jusqu’à 3,60 m. Le rez-de-chaussée était rempli d’eau »
L’inondation a aussi fait des ravages place Jean-Jaurès, là où se trouve la boulangerie de Marlène Carcasses qui fournie le pain aux Sommiérois depuis 1987. « Nous étions au premier étage et on a vu monter l’eau jusqu’à 3,60 m. Le rez-de-chaussée était rempli d’eau. » Les dégâts sont considérables et la boulangerie est détruite. « Nous sommes restés fermés cinq mois et demi. On s’est relevé mais cela a été dur. Nous avons eu très peur et l’entreprise était clairement en danger », explique Marlène. Le temps a passé mais aujourd’hui encore, la boulangère repense à tout ça les jours de fortes pluies.
À Bagnols-sur-Cèze
Maxime Couston, actuel premier adjoint de Bagnols-sur-Cèze, était déjà élu au moment des inondations de 2002. Il vit dans le quartier de Carmignan, proche de la Cèze et qui subit souvent des crues. Mais celle d'il y a 20 ans a profondément marqué la cinquantaine d'habitants. Maxime Couston a encore les poils qui se dressent sur les bras quand il en parle : « On a été surpris par l'ampleur. Elle nous a anéanti." Même les pompiers ont dû évacuer leur caserne, à l'époque située à la place de la Maison des associations, sinon ils auraient été inondés. La crue a été torrentielle, emportant tout sur son passage mais descendant rapidement. "On a tous nos bottes, notre ciré, le regard hagard... Certains pleurent, d'autres cherchent sans savoir ce qu'ils cherchent. Il y a juste un désastre, de la boue et une odeur mêlant gasoil, fioul... »
« Comme en état de guerre »
Il se rappelle aussi l'impuissance que chacun a ressenti pendant que l'eau envahissait les rues, les maisons, les garages. « On est isolé de tout, il n'y a plus aucune communication qui fonctionne. Les hélicoptères survolent la zone. Les seules informations, on les avait grâce à la radio sur France Bleu Gard Lozère. Comme en état de guerre. » Sur la façade d'une maison de la placette de Carmignan, les habitants ont tracé un repère jusqu'où l'eau est montée.
Il trône presqu'un mètre plus haut que celui de 1958. La Cèze a atteint presque 12 mètres de haut. Elle passait même par-dessus le pont Robert-Schumann. « Je tenais un canoë avec une corde depuis la berge avec les enfants dedans », atteste Christian, qui habite le quartier depuis 33 ans. Il ajoute : « Je venais juste de refaire ma salle de bain. Je n'ai même pas eu le temps de me laver, c'est la Cèze qui l'a étrennée. »
Heureusement, il avait monté tous ses papiers à l'étage qui a été épargné par la montée des eaux. Maxime Couston, lui, a perdu toutes ses photos. Un voisin belge, féru de vins, a préféré sauver sa précieuse cave que sa voiture... Est venu ensuite le temps de la solidarité, de la grande tablée où les sinistrés et les nombreux bénévoles se réunissent entre plusieurs heures de nettoyage et de lessive.
Il aura fallu six mois pour tout remettre en ordre mais « encore aujourd'hui, quand on fait des travaux dans les maisons, on retrouve de la boue dans les gaines électriques. » Cet épisode douloureux aura au moins eu l'avantage de convaincre les pouvoirs publics de ne pas développer l'urbanisme du quartier. Carmignan restera ce petit hameau à taille humaine et paisible, en dehors des caprices de la Cèze.
À Vers-Pont-du-Gard
Olivier Sauzet avait alors 37 ans. « Je peux encore sentir les odeurs d’humidité, de gasoil... », lâche l’actuel maire de Vers-Pont-du-Gard en se pinçant le nez. Les souvenirs sont douloureux. Au-delà des odeurs, il y a les images, cette commune de 1 800 habitants défigurée après les pluies diluviennes et la crue du Gardon. « Toute la zone au sud du village a été inondée. L’eau a traversé la route d’Uzès, elle s’est arrêtée à 30 ou 40 mètres du cimetière », raconte-t-il, photos à l’appui.
Le centre du village a quant à lui été impacté par des phénomènes de ruissellements, plus particulièrement au niveau de la place du Lavoir. "Les trous des carrières ont servi de bassins de rétention, ce qui a permis de limiter les dégâts." Qui ont tout de même été considérables mais évidemment la perte humaine était la principale crainte.
"Certaines personnes refusaient de quitter leur maison pourtant située au bord du Gardon", se souvient le maire versois. Pourtant, cette crue-là était bien plus importante que celle de 1958 qui, jusqu'en 2002, servait de référence à l'ensemble de la population. Et donc, bien plus dangereuse. Une dame âgée de 71 ans a perdu la vie.
Une dizaine de personnes a été secourue par trois employés municipaux et un habitant, glissant à bord d'une barque de pêcheur sur les eaux déchaînées. L'un d'eux, Philippe Debrincat, les revoit encore, isolées à l'étage des maisons. "On les faisait passer par les fenêtres, souligne l'employé communal. Nous y sommes allés malgré le danger, nous ne nous sommes pas posés de questions. Il fallait aider ces gens." Comme ses collègues, Philippe a reçu une médaille du Département pour acte de courage et de dévouement.
Les opérations de déblayage et de nettoyage auront duré plus de six mois. "Dès le départ, un véritable élan de solidarité s'est mis en place autour de la commune et de ses habitants." Deux maisons ont été détruites par les inondations ainsi qu'une troisième plus tardivement dans le cadre de la loi du 30 juillet 2003, dite loi Bachelot.
À Montfrin
Le lundi 9 septembre 2002, c'est Yvonne Goulpaud, première adjointe au maire, Jean-Marie Biot, qui avertie par ce dernier, lance au petit matin les premiers messages d'alerte à la population vivant au faubourg du pont et dans les rues basses de Montfrin. "Mais personne ne s'est vraiment affolé", se souvient Éric Tremoulet, l'actuel premier édile montfrinois.
Et pourtant un premier incident se produit vers 9h. Un automobiliste, M. Chan, se retrouve coincé dans son camion sur la route du pont. "Aux commandes d'un tractopelle, le responsable des services techniques, Thierry Bernabé, vole au secours du naufragé, qui n'a que le temps de se jeter dans le godet de l'engin avant de voir son véhicule emporté par les flots", peut-on lire dans un numéro spécial du journal de la commune daté de novembre 2002.
Et au fil de la journée, le Gardon n'a cessé de monter, à tel point que l'eau passe au-dessus des garde-corps du pont, les arènes se remplissent de même que l'école maternelle. Le cours Jean-Jaurès est entièrement submergé. C'est tout le bas du village qui a été touché. Les opérations d'hélitreuillage se multiplient pour évacuer et mettre à l'abri les sinistrés, à la salle Béjart.
Dans le même temps, ont lieu des interventions parfois périlleuses en jet-ski, engin mis à disposition par Stéphane Laplaige. Vers 17h, une grande partie du village est privée de courant. "Les rues désertées subissent la furie des éléments dans une lumière verdâtre de fin du monde", est-il écrit dans le journal de la commune. Un homme, M. Imbert, a perdu la vie lors de ces inondations.
Ce n'est qu'à minuit que l'eau a commencé à se retirer. Sonnés, les Montfrinois découvrent au petit matin du 10 septembre, l'ampleur des dégâts matériels. "On a ramassé une montagne de détritus, ce sont les affaires de tout un village qui ont été rassemblées à l'endroit où se trouve désormais la crèche", commente Serge Cadière, agent de surveillance de la voie publique. Le Gardon a tout emporté sur son passage, reste les souvenirs encore douloureux.
Norman Jardin, Marie Meunier et Stéphanie Marin