FAIT DU JOUR Le photographe uzégeois Édouard Elias : « Sur l’Aquarius, j’ai pris une grosse claque »
Le journaliste photographe Édouard Elias, originaire de Saint-Quentin-la-Poterie, expose en ce moment ses photos à la médiathèque d’Uzès dans le cadre du festival photo des Azimutés. Pour cette exposition chez lui, il a choisi des photos prises en 2016 sur l’Aquarius, le bateau affrété par SOS Méditerranée pour sauver les réfugiés partis de Libye sur des radeaux. Rencontre.
Édouard Elias n’a que 29 ans, mais déjà de nombreux voyages au compteur pour raconter le monde à l’aide de ses appareils photo. Habitué des zones de conflits, le grand public a entendu parler de lui pour la première fois lorsqu’il a été fait otage avec le reporter de guerre d’Europe 1 Didier François en 2013 par l’État islamique en Syrie. Un calvaire qui a duré onze mois mais qui n’a pas refroidi son envie d’aller « là d’où les gens veulent fuir », dit-il.
« Si tu veux des photos des crises humaines, sociales et politiques, tu dois aller dans ces endroits », poursuit-il. L’Aquarius, c’était un peu différent, « j’étais là où les gens voulaient fuir », explique-t-il. Il a passé trois semaines sur le bateau de SOS Méditerranée en 2016 alors qu’à la base, il ne voulait pas travailler sur le sujet. « D’autres photographes le font très bien », dit-il. Il se laisse finalement convaincre par une journaliste, happé par la pleine mer, la Méditerranée qu’il a côtoyé au cours d’une enfance partiellement vécue sur les côtes égyptiennes.
Il embarque donc sur l’Aquarius, « un entre-deux, une étape », pour les réfugiés, prêts à risquer leur vie sur des embarcations de fortune pour fuir la guerre, les persécutions ou tout simplement la quête d’une vie meilleure en Europe. Les deux premières semaines sur le bateau, rien ou presque. Le vent et les vagues dissuadent les réfugiés de partir à l’assaut de la grande bleue. « Tout est très calme, on regarde la mer et on attend, rejoue-t-il. On redoute le moment où on va tomber sur un bateau, avec des morts et des blessés, il y a une forme d’anxiété de tomber sur quelque chose qu’on ne veut pas voir. »
Ça finira par se produire à la fin de la deuxième semaine, lorsque l’Aquarius récupère un bateau de réfugiés d’Afrique subsaharienne, des Camerounais, des Gambiens, des Soudanais, entre autres. « Il y a un silence assourdissant. Et un matin, plus de vent, c’est le calme plat, et on commence à entendre des cris glaçants et à apercevoir un point blanc », raconte le photographe.
Les réfugiés sont embarqués sur l’Aquarius. C’est là que commence le travail d’Édouard Elias, qui propose « une approche différente, pour toucher le spectateur différemment », avance-t-il. Ses photos, il les veut universelles, « pas un instant T ni un endroit donné, mais une photo plus générale sur la crise des réfugiés, sur la pleine mer, et en noir et blanc, pour la désancrer de l’actualité. » Le photographe fait aussi le choix de travailler certains clichés en panoramique argentique, « pour faire ressortir l’élément central, la mer. » Sur certaines photos, la mer, son immensité, son hostilité, sautent aux yeux et terrorisent.
Édouard Elias en a déjà vu d’autres, les geôles de l’État islamique en Syrie, les salles de torture, les « copains décapités », dit-il sommairement. Une période qu’il qualifie d’« accident du travail », dont il ne parle que très peu, pour ne pas être « l’ex-otage toute (sa) vie. » Reste qu’il l’affirme, sur ce reportage en Méditerranée, il a pris « une grosse claque, c’est un des reportages qui m’a le plus marqué, avec des gens simplement épuisés, qui veulent juste être dans un endroit en paix. » Sur l’Aquarius, il noue des contacts avec les réfugiés, et garde un lien avec certains ensuite.
C’est que l’homme a le contact très facile, et répète que « ce qui m’intéresse, c’est les gens, dans des situations où normalement je n’ai pas ma place, je n’ai pas vécu les mêmes choses, car j’ai eu la chance de naître là où je suis né et d’aller à l’école. » Il a un mot pour chaque photo, s’arrête devant celle d’Ibrahim, réfugié gambien qui a tout quitté et pris d’innombrables risques simplement pour pouvoir aller à l’école. La sensibilité d’Édouard Elias affleure, et se retrouve dans ses clichés.
Le photographe, qui travaille aussi en France (il a notamment couvert le mouvement des Gilets jaunes avec Florence Aubenas), s’apprête à repartir au Soudan en août pour une collaboration avec un ami photographe. Il compte y tirer des portraits où il laissera son sujet choisir le lieu et la pose, et écrire un texte à côté de la photo. « On a envie de se marrer avec les gens, de casser ce côté misérabiliste », présente-t-il. Il en tirera une exposition et un livre.
Vu comme ça, Édouard Elias pourrait passer pour un aventurier. « Même pas, repousse-t-il. J’ai un ami pompier à Nîmes, j’ai l’impression que sa vie est plus remplie que la mienne. » Artiste ? Pas plus : « Je suis un artisan de la photo, au service d’une histoire que je dois raconter. » Un photographe de guerre ? Encore raté : « Non, je suis un photographe qui va sur des conflits, mais je peux m’en aller, pas comme un soldat, et je ne fais pas que ça. » Un Gardois ? Plus sûrement : « je n’ai plus de famille ici, mais j’ai une mélancolie quand je viens ici, je n’appartiens plus à cet endroit mais j’ai des attaches, des racines. »
Les souvenirs remontent : les motos, passion qui a coûté la vie à son père mais qu’il garde toutefois de lui, les motos qui font du bruit dans les rues d’Uzès et de Saint-Quentin-la-Poterie, les bains de minuit à la piscine municipale d’Uzès « en scred », les premières clopes fumées à la tour fenestrelle. « Chaque fois que je viens ici, je me dis qu’il faut que je revienne m’installer dans le coin. » Entre deux reportages au bout du monde.
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
Le festival photo des Azimutés d’Uzès se tient jusqu’au 26 juin avec sept expositions réparties dans sept lieux. Le programme est ici.