LAUDUN-L’ARDOISE Le conseil municipal lave son linge sale en public
Il faut dire que l’ordre du jour était connu, puisque c’était le même que celui de la réunion de lundi dernier, qui n’avait pu se tenir faute de quorum et qui avait achevé de convaincre le maire Philippe Pecout de rendre son tablier. Il était donc question de retirer leurs délégations d’adjointes à Aziza Durand et Nancy Borrelly, « dans l’intérêt de la gestion de la commune car les remarques de (ces) dernière(s) altèrent les liens de confiance nécessaires à la bonne marche de l’administration communale », comme l’indiquaient les délibérations.
« Encore faut-il défendre l’intérêt général et pas celui d’un clan »
Deux délibérations et c’est tout. Ce fut plus compliqué que cela, bien plus compliqué : alors que le maire voulait passer directement au vote, le conseiller municipal Philippe Licini prendra la parole pour annoncer qu’il rejoignait le groupe Laudun-l’Ardoise Uni, celui créé justement par les deux adjointes presque déchues, car ses « recommandations et avis n’étaient jamais écoutés, et petit à petit le lien de confiance s’est brisé. » Aziza Durand, puis Yves Cazorla demanderont la parole ensuite, refusée par le maire, qui finira même par suspendre la séance dix minutes, provoquant un tollé général du public venu nombreux se masser dans une salle municipale qui n’avait jamais paru si petite.
18h20, la séance reprend, et Philippe Pecout de demander à ce que les déclarations soient effectuées après le vote. « Ce n’est pas concevable, les débats ont toujours lieu avant le vote », fera remarquer l’ancien maire Patrice Prat, avant que finalement la parole soit donnée à Aziza Durand. Dans une longue intervention, celle qui était encore adjointe se défendra en affirmant qu’elle avait agi pour l’intérêt général en se désolidarisant de la majorité, « mais encore faut-il défendre l’intérêt général et pas celui d’un clan », lancera-t-elle, avant de se dire « tenue à l’écart des dossiers », allusions aux accusations répétées de confiscation du pouvoir municipal par un quarteron d’élus. « Depuis presque quatre ans, la majorité est confrontée à de graves divergences », poursuivra l’élue, avant de marteler qu’elle n’avait cessé « d’alerter sur ce qui n’allait pas », en vain. Elle précisera ensuite qu’elle et ses camarades du nouveau groupe n’étaient « animées par aucune ambition personnelle. » Déjà bouillonnante, la conseillère municipale Pilar Meunier lancera qu’elle n’avait « pas honte d’être élue, surtout avec Philippe (Pecout, ndlr). »
La droite aussi
Le chef de file du groupe Laudun-l’Ardoise Renouveau Yves Cazorla dénoncera quant à lui un « climat délétère » avant d’appeler « chacun d’entre nous à se concentrer sur les dossiers importants pour la commune », puis de dire que son groupe trouvait la « sanction injustifiée » et voterait donc pour le maintien des deux adjointes. C’est alors qu’un spectacle dans le spectacle s’est ouvert, Philippe Poirier, élu du groupe Laudun-l’Ardoise Passionnément, né d’une scission de celui d’Yves Cazorla, tonnant qu’il trouvait malvenu qu’Yves Cazorla se pose en donneur de leçons, « car c’était pire avec vous, et encore je ne vais pas tout déballer ! »
Le chef de ce deuxième groupe Jean-Pierre Laffont invitera le nouveau groupe des ex de la majorité à « travailler en équipe, pas à faire alliance, mais à travailler sur les dossiers importants en rangeant les clivages politiques au placard. » Enfin pas tous les clivages, puisqu’il estimera en passant que si Yves Cazorla devait prendre le fauteuil de maire, « nous irions au désastre, ce serait bien pire. » Ce dernier ne répondra pas, jugeant que ce n’était ni le lieu ni l’heure.
« Je sais ce qu’il s’est passé »
A peine cet épisode terminé que la conseillère municipale Suzanne Serve annonçait passer dans le groupe Laudun-l’Ardoise Uni, avant que l’ancien maire Patrice Prat ne prenne la parole. Enfin, serait-on tenté de dire, tant le néo-retraité de la politique fait l’objet de rumeurs et d’attaques balayées d’un revers de main : « paranoïa. » Assumant avoir pris la défense de ses quatre colistières, il démentira formellement avoir fomenté la division pour s’emparer du fauteuil de maire : « je suis le seul politique de la région à avoir dit que je mettais un terme à mon parcours politique. Je suis le premier à avoir tiré le rideau, et je me ferais donner la leçon par ceux qui veulent cannibaliser les places, se faire une place au soleil en laissant le bateau continuer à dériver ? Non ! » Pour lui, ses interventions étaient « pour mettre en garde », pas « pour prendre la place. » Qualifiant la situation d’« extrêmement critique », puis d’« ubuesque », il appellera à un retour aux urnes, « le seul juge de paix. » Son intervention finie, le conseiller municipal Romuald Lys prenait ses distances avec la majorité, non sans rhabiller pour l’hiver mais sans le nommer l’adjoint Serge Verdier, « avec son ego surdimensionné qui est l’homme déclencheur de cette situation. »
Le (toujours) maire répondra ensuite, estimant qu’il n’avait « pas à rougir de ce qui a été fait depuis 2014 », tout en reconnaissant certains dysfonctionnements. « J’ai pris mes responsabilités il y a une semaine, comme quoi je ne suis pas accroché au mandat », poursuivra-t-il en évoquant sa démission (pas encore actée par le préfet), une décision prise car il en avait « ras le bol des agissements subis ces derniers mois. » Ne semblant pas croire un mot des dénégations de son prédécesseur, le maire lancera : « je sais ce qu’il s’est passé, les tentatives et les approches pour me déstabiliser. »
Vers une démission collective
Le premier vote à bulletin secret se tiendra dans une ambiance tendue, et aboutira à démettre de ses fonctions Aziza Durand, par 15 voix contre 14, signe d’une majorité ne tenant plus qu’à un fil. Nancy Borrelly prendra ensuite la parole avant le vote la concernant, évoquant la « liberté d’expression », le « mépris » dont elle aurait été victime, le rôle de « bouc-émissaire » collé à Patrice Prat et le souvenir du conseiller municipal Jannick Reboul, décédé l’année dernière. De quoi provoquer la colère de Pilar Meunier, qui menacera de quitter la salle au son des « c’est indigne, vous devriez avoir honte ! » avant d’être raisonnée par le premier-adjoint Gérard Privat. Philippe Pecout laissera ensuite transparaître pour la première fois de la colère en lançant « Nancy, Aziza, les yeux dans les yeux ! J’ai toujours été très loyal avec vous, à votre écoute, j’ai toujours travaillé avec vous et je ne pourrais jamais me le reprocher. » Les intéressées ne répondront pas, et le vote donnera le même score et les mêmes effets.
Et maintenant ? Difficile, voire impossible d’imaginer la majorité, ou ce qu’il en reste, repartir et introniser un nouveau maire comme si de rien n’était, alors qu’elle ne tient qu’à une voix. L’hypothèse d’une démission collective a pris de l’épaisseur, de l’aveu même du Philippe Pecout et de plusieurs de ses adjoints. On se dirige donc vers une nouvelle élection, avec l’espoir largement partagé d’une sortie de crise dans les prochaines semaines. D’ici là, l’épisode laisse un goût amer. « Je demande pardon aux laudunois pour le spectacle donné, déclamera, la voix blanche, la conseillère municipale Françoise Hamelin, elle aussi partie à Laudun-l’Ardoise Uni. J’ai honte ce soir d’être élue. »
Thierry ALLARD