Publié il y a 8 ans - Mise à jour le 18.05.2016 - elodie-boschet - 3 min  - vu 262 fois

L'ENQUÊTE (2/3) Du rouge au bleu marine

Aux élections présidentielles de 1995, les chiffres du Front National dépassent ceux du parti communiste à La Grand'Combe. Photo d'archives Élodie Boschet/Objectif Gard

L'histoire des Cévennes, cette zone montagneuse située aux confins du Gard, de la Lozère et de l'Ardèche, est profondément marquée par le communisme. Mais la vague rouge qui s'est emparée de ce territoire depuis plus d'un siècle est aujourd'hui moins puissante et plus fragile. Objectif Gard a mené l'enquête pour tenter de comprendre l'évolution de l'un des derniers bastions de France. Deuxième volet de ce décryptage.

A partir des années 1980, comme partout en France, le rouge qui caractérise les Cévennes commence à perdre de son éclat. Les résultats des diverses élections présidentielles parlent d'eux-mêmes : de 1969 à 2002, les scores du parti communiste descendent en flèche. Aux Mages, en 1969, la commune vote à 48% pour le PC. En 1995, ce chiffre tombe à 28%, talonné de près par le Front national, qui prendra le dessus en 2002.

La commune de Martignargues, plus au sud, est logée à la même enseigne : le PC bat des records en 1969 avec 47% des voix, avant d'être relégué derrière tous les autres partis en 2002 avec seulement 8%. Au Martinet, première commune communiste de France, le parti résiste mieux mais perd tout de même 20 points en 40 ans.

Tout n'est pas noir pour les rouges puisqu'ils conservent globalement leur leader-ship dans les scrutins municipaux. Sauf à Alès. En 1995, après des décennies de règne à gauche, le candidat de droite Max Roustan s'empare de la mairie. « La ville a basculé par l'usure du pouvoir, analyse Alain Laurens, journaliste à La Marseillaise, les communistes ont subi de plein fouet la fermeture des mines, qui étaient un poumon industriel. Les habitants avaient besoin de renouveau ».

Désindustrialisation et poussée du FN

 L'époque des mines terminée, le bassin s'est peu à peu désindustrialisé. « Quand je suis arrivé il y a 20 ans, il y avait Alcatel, Ducros, EDF, Tamaris. Tout a fermé. Le militantisme, c'est ensemble. Si on ne se voit plus, il y a une perte de l'activité », observe Alain Laurens. Avec la disparition de ces entreprises, les sections PC se dissipent elles-aussi. De 1 500 adhérents dans les années fastes, il n'en reste aujourd'hui que 300.

Bien sûr, le déclin ne concerne pas que les Cévennes, il s'observe dans tout l'Hexagone. Les Trente glorieuses s'achèvent, le chômage grimpe, et le communisme peine à prendre le virage du XXIe siècle. D'autres partis comme le Front national attirent l'attention des électeurs. « Le FN a une forme d'intelligence à appliquer un programme composé de valeurs de gauche mais aussi d'extrême droite. Donc forcément, les gens font l'amalgame », constate Michel Mercier, maire du Martinet. « Tôt ou tard, le peuple vivra l'expérience du FN. C'est malheureux mais c'est le cours de l'Histoire », regrette André Bonnefoi, ancien mineur.

Michel Mercier, maire du Martinet, première commune communiste de France. Éloïse Levesque/Objectif Gard

Dans les urnes, le parti d'extrême droite est de plus en plus plébiscité. Depuis les années 2000, il devance la gauche dans la plupart des scrutins. Selon plusieurs chercheurs, cette tendance coïncide avec une poussée démographique rapide dans les zones périurbaines. Jean-Claude Paris, maire des Mages depuis 1983, a vu sa population lui échapper peu à peu : « Jusqu'aux années 1995, j'arrivais à savoir à combien de voix près je serai élu. Mais notre village a grandi,  nous sommes passés de 1 200 habitants en 1983 à 2 000 habitants en 2016 ». Le vote FN serait-il donc lié au brassage des populations ?

Des communistes déçus

 Pour retrouver son influence, le PC doit donc redoubler d'imagination. Jean Molinier, ancien secrétaire de section, pense qu'il faut trouver « un communisme de nouvelle génération comme les mouvements Syriza ou Podemos où les citoyens peuvent prendre toute leur place. Au Martinet, par exemple, ça respire le XIXe siècle ! » Mais certains n'y croient plus depuis longtemps. Aux Mages, le seul et unique élu d'opposition, Patrick Manca, a adhéré au PC pendant dix ans, avant de claquer la porte. « En 1981, je travaillais pour Charbonnage de France. C'est à ce moment là que j'ai commencé à militer à la CGT. On avait des vraies idées. Et puis j'ai décroché, je me suis rendu compte qu'il y avait un vrai manque de cohérence entre les valeurs défendues par le parti et l'attitude des élus », raconte t-il.

Déçu, Patrick Manca a quitté le parti communiste après 10 ans de bons et loyaux services. Éloïse Levesque/Objectif Gard

S'il n'est pas aussi catégorique, le maire de Portes René Doussière a lui aussi de l’amertume : « J'ai commencé à m'écarter de cette vision extrémiste quand Mitterrand a été élu. J'estimais que c'était déjà bien que la gauche soit au pouvoir. J'ai gardé ma carte au parti par respect pour mes ancêtres. Je suis sur la tangente comme beaucoup d'autres ».

Malgré tout, les Cévennes sortent du lot. L'historien Patrick Cabanel l'affirme : la question n'est pas de savoir pourquoi elles déclinent, mais plutôt de comprendre pourquoi et comment elles résistent aussi bien. L’objet de notre dernier article à 16h.

Éloïse Levesque et Élodie Boschet

Elodie Boschet

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