L'INTERVIEW D'JAL, humoriste : "Je ressens plus que jamais que le public a besoin de rire"
Le 29 octobre prochain, l'humoriste D'Jal, en pleine tournée avec son spectacle À cœur ouvert, devrait se produire à guichets fermés dans la salle Denis-Aigoin de La Grand'Combe. Le Franco-Marocain de 41 ans, révélé par le Jamel Comedy Club, propulsé en haut de l'affiche par son passage au Marrakech du rire 2013 et son sketch du "Portugais", jouit d'une notoriété acquise naturellement grâce à son humour universel, ses accents multilingues et sa fraîcheur pétillante. À quelques jours de sa venue dans le Gard, celui qui est aussi comédien s'est livré pour Objectif Gard. Interview.
Objectif Gard : En tant que passionné de cinéma, vous avez déclaré que si vous deviez un jour choisir entre la scène et le septième art, vous opteriez pour la scène en raison du rapport avec le public. Y a-t-il en ce sens un rapport privilégié avec les spectateurs lorsque vous vous produisez dans des petites salles de province comme ce sera le cas à La Grand'Combe ?
D'Jal : À La Grand'Combe on est malgré tout sur une grande capacité avec plus de 900 places. C'est quand même beaucoup ! À mes débuts, j'ai joué dans des salles devant trois ou cinq personnes, donc le delta est énorme (rires). Le cinéma c'est super. J'y ai goûté et je vais y regoûter. Mais le rapport avec le public c'est ce que j'aime, c'est ce que je suis. Je fais ce métier-là avant tout pour moi, pour être heureux, me sentir aimé. On reçoit de l'amour sur scène quand on est bon et qu'on arrive à trouver l'alchimie avec le public. Partout où je vais, je redécouvre la France et les Français. Ce sont des moments de partage rares.
Les organisateurs du festival ont indiqué que votre venue suscitait un bel engouement, avec de nombreuses ventes, dont plusieurs achats de billets effectués au-delà des frontières du Gard. Quel sentiment procure le fait de faire se déplacer les foules ?
C'est complètement fou ! Dernièrement, à la fin de mon spectacle j'ai discuté avec des gens qui avaient fait cinq heures de route pour me voir, d'autres avaient pris l'avion. Je suis le premier surpris, touché, c'est incroyable ! C'est pour ça que j'essaie de toujours tout donner, d'être généreux. C'est ce qui a toujours été le moteur de ma carrière. Et puis de m'amuser et d'amuser les gens. J'ai cette force qui me permet de toujours m'adapter à l'endroit où je joue et au public que j'ai en face de moi. Dans une tournée, il y a parfois des côtés difficiles avec des allers-retours où on rentre tard le soir et on se lève très tôt le matin. Ce qui donne de la force, c'est d'arriver à choper le public d'entrée. Pour ça il faut montrer aux gens qu'on s'intéresse à eux, à leur culture, à leur région. Et d'un coup, ils ont l'impression d'avoir un pote en face d'eux et ça débloque tout.
Ce spectacle À coeur ouvert est désormais bien rôdé, vous le jouez depuis plusieurs années. Quelle est donc la part d'improvisation et d'interactions avec les spectateurs que vous vous octroyez ?
Une bonne part ! Dès le départ je les prends à partie de manière rigolote. Les Français sont tellement différents dans leur caractère, leur rapport aux autres. J'essaie de montrer d'entrée que je suis truculent, entier, je n'ai pas peur de les bousculer de manière respectueuse. Ça décoince les gens et j'arrive à créer cette relation. Ça les réveille. Je n'aime pas les publics passifs donc j'essaie avec mon savoir-faire et toutes ces années d'expérience que tout le monde reparte avec la banane. J'ai envie de me marrer aussi. Je bafouille, je fais des fautes de syntaxe, de vocabulaire, mais ce n'est pas grave, c'est ce que je suis, personne n'est parfait. Le fait de montrer mes défauts me rapproche du public.
Dans le contexte géopolitique, économique et social actuel, particulièrement anxiogène, avez-vous en tant qu'humoriste le sentiment d'avoir un rôle encore plus important à jouer ?
Ah oui carrément ! Les gens sont stressés, anxieux. On leur parle de cols roulés, de chauffage coupé. Le Gouvernement prépare les gens au pire alors qu'ils sortent de deux ans de covid, d'enfermement, de gestes barrières. C'est dur psychologiquement ! Alors qu'avant c'était une période heureuse avec les fêtes de Noël. Donc quand les gens font l'effort de venir nous voir en spectacle, de payer, il faut vraiment tout donner. Le rire c'est quelque chose qui ouvre tous les chakras, ça te rentre dans le cœur, l'esprit, l'âme. Le rire c'est comme l'amour, ça fait du bien, ça galvanise. Le public a besoin de ça. Dernièrement, j'ai joué dans votre région et c'était fou ! J'ai eu une standing ovation. Je ressens plus que jamais que le public a besoin de rire.
Cette rencontre a changé ma vie"
Dans ce dernier spectacle, un sketch hilarant dédié à la communauté gitane n'est pas sans rappeler le sketch du "Portugais", lequel vous a propulsé en haut de l'affiche. D'où vient cette propension à imiter les accents ?
Honnêtement je connais des gens qui font bien mieux le gitan que moi et qui me font pleurer de rire. J'essaie de lui apporter toujours une touche personnelle. Pour l'accent portugais, j'avais rajouté une intonation, une façon de bouger, d'enchaîner les mots. Le gitan, ça provoque un rire à retardement car les gens mettent du temps à comprendre ce que j'ai vraiment voulu dire. C'est comme si j'allumais une mèche qui explosait à l'intérieur d'eux quelques secondes plus tard. Il m'a fallu du temps et du travail pour maîtriser ces accents. Dans le spectacle, je ne veux pas spoiler mais il y a un sketch qui est au moins aussi fort que celui du gitan.
"À cœur ouvert", vous tentez de faire rire avec des sujets difficiles tels que la myopathie ou le cancer de votre maman. C'est un challenge d'aborder aussi des thématiques plus profondes ?
C'est un spectacle dans lequel je partage mes valeurs, des valeurs humanistes. Oui ce sont des sujets difficiles et il a fallu que je les traite de manière amusante. Au final les gens sont morts de rire et ne se rendent même pas compte qu'ils rient d'une situation délicate. Ça leur fait vraiment du bien. C'est pour ça que je fais ce métier-là. C'est aussi grâce à mes amis qui m'ont poussé à raconter des choses que je leur raconte dans la vie de tous les jours. Avec le covid et tout ce qu'on est en train de vivre, j'ai l'impression que ce spectacle arrive au bon moment. La pandémie nous a rappelé l'essentiel de ce qu'est la sociabilisation. Les gens étaient déprimés alors qu'ils étaient à la maison, que le frigo était plein et qu'il y avait le "quoi qu'il en coûte" (rires). Mais ils se sont rendus compte que la vie ce n'est pas ça ! La vie c'est sortir, s'aérer, voir des gens, parler, débattre, dialoguer, s'aimer, rire, pleurer. C'est comme un type qui se retrouverait sur la plus belle île du monde tel un Robinson Crusoé. S'il est tout seul, il sera malheureux. On a besoin des autres !
Et dire que tout ça n'aurait peut-être jamais eu lieu sans votre premier métier, celui d'encadrant dans un centre d'accueil dédié aux myopathes...
Le destin est vraiment incroyable. Si je n'avais pas rencontré Lassana, un patient dont je m'occupais dans ce centre lorsque j'avais 24 ans, je n'en serai pas là. Il m'a dit que j'avais du talent, il a cru en moi et m'a dit de me dépêcher de partir. Sur son lit de mort, je lui ai promis de me lancer et de réussir. De mémoire, je crois que le lendemain de cet échange je remettais ma démission. Le directeur du centre m'avait dit : "Vous êtes sérieux ? on vient tout juste de vous augmenter..." Il croyait vraiment que je me foutais de sa gueule. Mais j'ai dit : "Non non j'arrête". Cette rencontre a changé ma vie. Malheureusement Lassana est parti avant de pouvoir le voir.
Propos recueillis par Corentin Migoule