Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 28.02.2021 - thierry-allard - 4 min  - vu 6204 fois

NUCLÉAIRE Bernard Laponche : « il faut arrêter la centrale du Tricastin »

L'ingénieur et consultant dans l'énergie Bernard Laponche, en 2014 (PHOTOPQR/L'ALSACE/via MaxPPP)

L’ingénieur et consultant international dans l’énergie Bernard Laponche signe un rapport sur la sûreté de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme), dont les réacteurs font depuis deux ans l’objet de leur quatrième visite décennale, ce qui signifie qu’ils arrivent dans leur quarantième année d’exploitation.

Une exploitation qu’EDF compte bien prolonger de dix ou vingt ans, ce qui pose, d’après Bernard Laponche, de sérieux problèmes. Si bien que cet ancien du CEA, président de l’association Global Chance, préconise carrément l’arrêt de plusieurs centrales, dont Tricastin. Interview.

Objectif Gard : la centrale du Tricastin était initialement prévue pour fonctionner quarante ans. Nous y sommes, et la visite décennale actuellement en cours a pour but, pour EDF, de prolonger l’exploitation de la centrale. Vous critiquez ce prolongement.

Bernard Laponche : Il y a 32 réacteurs de 900 MW en France, qui ont été construits sur une période resserrée, sur le même modèle à partir de Tricastin, pour 40 ans. Le niveau de sûreté était celui de l’époque, et c’est ce type de réacteur qui a connu les accidents de Three Mile Island (en 1979 aux États-Unis, ndlr) et de Fukushima (en 2011 au Japon, ndlr). Ces réacteurs vieillissent, certains éléments peuvent être remplacés, d’autres non.

Comme la cuve du réacteur par exemple ?

Oui, la cuve vieillit, et le bombardement de neutrons qu’elle subit modifie la vie de l’acier, et il y a un risque de rupture des cuves. Ce risque, il faut le regarder cuve par cuve, car certaines ont pu vieillir plus vite que d’autres. Il y a des différences sur l’acier, est particulier sur la cuve de Tricastin 1(*) il y avait un défaut important dès le départ, on nous dit que ça n’a pas bougé, ce que nous contestons. EDF nous dit « ça passe », nous avons un spécialiste qui a fait d’autres calculs, et il estime que c’est très tangent. Et pour Tricastin, il y a aussi des risques liés au lieu où se trouve la centrale.

Dans votre rapport, vous évoquez le risque sismique.

Il y a le risque sismique et le fait que le canal est six mètres au-dessus de la base en béton des réacteurs. S’il y a une rupture de la digue, il y aura une inondation colossale, et si le réseau de refroidissement n’est plus alimenté, il peut y avoir un accident grave. Et je rappelle que l’ASN (l’Autorité de sûreté du nucléaire, ndlr) a arrêté les quatre réacteurs du Tricastin en 2017 car elle en avait marre qu’EDF ne renforce pas la digue. Je ne dis pas que demain matin ça va exploser, mais que nous rentrons dans une zone de risque plus forte, que pour Tricastin, Bugey et Gravelines il y a une discussion particulière. Je pense qu’il faut arrêter un certain nombre de réacteurs, les plus fragiles, donc qu’il faut arrêter Tricastin.

Tous les réacteurs du Tricastin ?

Oui, car les risques de séisme et liés à la digue concernent les 4 réacteurs. Je pense que cette centrale doit être arrêtée, elle a travaillé quarante ans, c’est ce qui était prévu, et si on ne l’arrête pas on augmente le risque d’accident.

De quel type de risque parlez-vous ?

Vous pouvez avoir une fusion du coeur comme à Fukushima si vous perdez le refroidissement, vous pouvez avoir une explosion d’hydrogène ou d’eau dans le coeur. C’est connu et inhérent à tous les réacteurs actuels.

À vous lire, vous n’avez pas l’air d’accorder une grande confiance à EDF, ni dans les capacités de l’ASN à contrôler le respect des engagements d’EDF.

Les deux. Même l’ASN s’interroge sur les capacités d’EDF à réaliser les travaux nécessaires, parce que c’est colossal. La quatrième visite décennale de Tricastin 1, c’est 5 000 personnes qui travaillent, et vous voulez reproduire ça 32 fois ? Sur quelques années ? Contrôler des travaux de cette ampleur et de cette diversité est colossal. L’ASN n’a pas suffisamment de moyens, on l’a vu sur l’EPR (le réacteur de nouvelle génération, dont la mise en service est reportée depuis des années, ndlr).

Pourtant, EDF met plusieurs dizaines de milliards d’euros dans son programme Grand carénage, qui vise justement à prolonger la vie de ses centrales.

Oui, mais EDF a aussi mis des milliards dans l’EPR. Il y a un problème de capacité du côté d’EDF et de ses sous-traitants pour réaliser un grand nombre de chantiers dont certains simultanés. Nous allons accumuler les problèmes. L’ASN donnera un jugement individuel sur le prolongement de chaque réacteur, donc il faut des moyens supplémentaires. On ne peut pas se satisfaire d’EDF qui dit que c’est parfait, que tout va bien.

On parle désormais d’un projet d’EPR 2 à Tricastin. Qu’en pensez-vous ?

C’est nul. Ce sont des réacteurs encore plus puissants, le problème de l’eau va se poser très vite avec le réchauffement climatique, et le problème de la digue sera le même. Les besoins d’eau de refroidissement sont énormes, et le problème de l’implantation sur les fleuves se pose déjà maintenant. Donc j’espère qu'on ne fera pas cette bêtise. On peut l’implanter éventuellement en bord de mer, mais pas le long d’un fleuve.

Fermer les centrales que vous évoquez implique de revoir totalement la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), arrêtée par le Gouvernement il y a un an.

Dans la PPE, on a toujours considéré qu’il n’y avait pas de problème de sûreté. Or c’est grave de dire ça, c’est exercer une pression sur l’ASN. On peut au moins arrêter un certain nombre de ces réacteurs, puisque la PPE prévoit d’en arrêter certains d’ici 2035. Faisons un tri, anticipons en fermant Tricastin, Bugey et Gravelines, et on met le paquet pour que ceux qui restent soient bien faits. On peut très bien réduire le nombre de réacteurs, le seul problème c’est la pointe de consommation d’hiver. Réduisons cette pointe, mettons le fric sur la consommation et pas la production.

Vous comprenez qu’une telle décision aurait des conséquences économiques graves pour les territoires concernés ?

D’accord, mais vous pouvez étaler les choses, faire de la concertation. Il ne faut pas être dans une attitude rétrograde à dire que rien ne peut se passer. Imaginez un accident grave dans la vallée du Rhône, il faudrait évacuer jusqu’à Marseille. Un accident majeur est possible en France, d’ailleurs la zone d’évacuation a été élargie de 10 à 20 kilomètres. Qui prend le risque ? Les gens qui habitent la zone concernée, ni moi, ni le président d’EDF.

Propos recueillis par Thierry Allard

(*) Il s’agit du premier des quatre réacteurs de 900 MW de la centrale du Tricastin.

Thierry Allard

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