TRICASTIN Avec les isotopes stables, Orano se diversifie hors nucléaire
Site historique du nucléaire, situé tout à côté de la centrale EDF, Orano Tricastin (Drôme) se diversifie hors de l’atome, mais en utilisant les compétences développées depuis six décennies dans son secteur d’activité.
« Nous savons faire de l’uranium enrichi, demain nous pourrons faire du xénon enrichi ou du molybdène enrichi » : la phrase, signée du directeur des activités nouvelles de la "business unit chimie enrichissement" chez Orano, Jean-Luc Vincent, si elle est technique, résume en quelques mots la raison d’être du futur laboratoire isotopes stables, dont la construction vient de démarrer sur le site Orano Tricastin.
Le site investit 15 millions d’euros pour se lancer sur un nouveau marché, celui donc des isotopes stables. Concrètement, les isotopes stables sont des formes non radioactives des atomes, et ils présentent, pour certains, des propriétés particulières. Le but est d’enrichir certains éléments de ces isotopes stables, présents naturellement mais en très petites quantités, pour justement en bénéficier. « On va pouvoir utiliser une caractéristique de la matière ou du gaz », explique Jean-Luc Vincent, et ce grâce, entre autres, à des centrifugeuses.
De quoi ouvrir un nouveau marché : « Il y a énormément d’applications. La demande en pureté de matière augmente, poursuit-il. Les chercheurs sont arrivés à isoler les caractéristiques de tel ou tel atome. Par exemple un isotope du xénon est utilisé de pour faire des diagnostics de la thyroïde, un autre isotope pour la recherche fondamentale. » La santé est le principal débouché donc, citons également des isotopes du molybdène, un oligo-élément, qui sont utilisées pour faire des scintigraphies pulmonaires.
Des applications se retrouvent aussi dans l’informatique quantique, « où il faut un silicium en haute teneur d’un certain isotope, nous pourrons l’enrichir pour eux », note le chercheur. Un marché sur lequel on trouve très peu d’acteurs : « Jusqu’à présent, les seuls capables de faire ça ce sont les Russes et une petite unité aux Pays-Bas. Ce sera la première fois en France, il y a une opportunité de marché », précise Jean-Luc Vincent.
Et sur des quantités qui n’ont l’air de rien, en tout cas de prime abord : lorsque le laboratoire sera opérationnel, au deuxième semestre de 2023, « la production pourrait avoisiner 10 kilos de métal et 100 kilos de gaz par an », avance-t-il. Le tout pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros dans un premier temps. Ça en dit long sur le prix du kilo de matière enrichie.
Des produits rares et chers
Et même si ce n’est pas du nucléaire, Orano Tricastin a les compétences pour se lancer sur ce marché, puisqu’il s’agit tout simplement « d’une valorisation des savoir-faire acquis depuis soixante ans », pose Jean-Luc Vincent. Les procédés sont les mêmes que ceux utilisés pour enrichir l’uranium, « c’est un condensé de toutes les technologies que nous mettons en œuvre dans les laboratoires de chimie du site », résume-t-il.
« La logique d’Orano c’est innover pour accompagner les nouveaux marchés. Notre ambition est modeste mais nous valorisons nos savoir-faire dans la chimie », estime pour sa part le directeur d’Orano Tricastin Jean-Jacques Dreher. Modeste, car en comparaison, la plateforme qui regroupe Orano Tricastin et Malvési, dans l’Aude, revendique un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel.
À terme, vingt personnes travailleront au laboratoire isotopes stables, toutes issues des rangs d’Orano : « Des techniciens d’exploitations de chimie qui savent conduire une cascade de centrifugeuses, des spécialistes du gaz », précise Jean-Luc Vincent. Le tout sur 3 200 m2 construits sur un ancien parking du site.
Thierry ALLARD
thierry.allard@objectifgard.com
Et aussi : L’an passé, Orano Tricastin a recruté 96 personnes, et compte « encore cette année faire une cinquantaine de renouvellements sur le site », précise le directeur, Jean-Jacques Dreher. Le site va également recruter 110 alternants en 2021.