Publié il y a 2 h - Mise à jour le 05.02.2025 - François Desmeures - 6 min  - vu 260 fois

ALÈS / LE VIGAN Enfarinade du député Allegret-Pilot : l'accusation use de l'argument démocratique, la défense veut requalifier les faits

Une cinquantaine de personnes sont venues soutenir le prévenu

- François Desmeures

C'est le 4 mars que sera connu le sort de Nathan, qui a enfariné le député Alexandre Allegret-Pilot, le 20 octobre dernier, lors de la fête de la pomme et de l'oignon doux. À l'audience, ce mercredi après-midi, la défense a tenté de faire requalifier l'accusation en outrage, et non en violences. L'avocat du député UDR et le procureur se sont parés des grands habits de la démocratie pour justifier la plainte, l'avocat du prévenu a réclamé la relaxe, en s'appuyant sur la loi et la jurisprudence. 

Une cinquantaine de personnes sont venues soutenir le prévenu • François Desmeures

Après son refus de reconnaissance préalable de culpabilité, Nathan L. attendait son audience depuis le 6 novembre dernier. Car si, dès sa garde à vue, il avait reconnu les faits, il contestait, en compagnie de son avocat, leur qualification, à savoir "violence sur une personne chargée d'une mission de service public sans incapacité lors de manifestation sur la voie publique en récidive". Dès le 6 novembre, Nathan expliquait déjà à Objectif Gard que la qualification d'outrage lui semblait plus appropriée (relire ici). 

La salle d'audience n'a évidemment pas pu accueillir la cinquantaine de personnes venues soutenir le prévenu, mais elle était tout de même bien garnie. Une affluence inhabituelle qui a donné lieu à un avertissement de la présidente du tribunal, Mathile Pages, pour éviter toute manifestation dans la salle. Exposant les faits, elle rappelle la condamnation de Nathan pour "des faits de même nature" au cours d'une manifestation de gilets jaunes à Montpellier. 

Le 20 octobre, lors de la foire de la pomme et de l'oignon doux, "Alexandre Allegret-Pilot a expliqué que la manifestation lui permettait d'aller rencontrer les administrations locales" exposants et électeurs. "Il a perçu dans le regard des manifestants des volontés de violence, expose la présidente. Il s'est senti en danger et angoissé." Ce que montre peu la vidéo publiée par Objectif Gard et dont l'avocat de la défense demandera la diffusion au cours de l'audience, afin de démontrer l'aspect provocateur du député envers les manifestants. 

"Il a diffusé ma photo, mon nom de famille et mon adresse sur les réseaux sociaux"

Nathan L., prévenu pour avoir enfariné Alexandre Allegret-Pilot

"Les gendarmes indiquaient que vous sentiez fort l'alcool", poursuit Mathilde Pages, soit 1,31 mg/l par litre d'air expiré, après vérification en gendarmerie. "Les gendarmes précisent aussi qu'il n'a pas cherché à fuir", oppose son avocat et bâtonnier d'Alès, Me Guillaume Garcia. "En apprenant qu'il était réservé un accueil au député Allegret-Pilot, vous êtes allés acheter un paquet de farine à Super U". "Personne ne m'a incité à commettre cet acte", reprend la présidente en citant l'interrogatoire du prévenu. 

"Les idées qu'Alexandre Allegret-Pilot diffuse en permanence sont nauséabondes, justifie Nathan L. en propos préliminaires (...) Il est sexiste, soutient des théories racistes. On voulait lui faire savoir qu'il n'était pas le bienvenu en Pays viganais. Mais, tempère Nathan L., je regrette de lui avoir fait cette publicité. D'autant que, depuis, il a diffusé ma photo, mon nom de famille et mon adresse sur les réseaux sociaux." Son avocat, Guillaume Garcia, reprochera d'ailleurs au procureur Grini de ne pas s'être saisi de cet affichage public, alors même qu'il remet en cause la présomption d'innocence. 

Dans une vision assez restreinte du débat politique, la présidente suggère "la manière de protester, c'est d'aller voter", soulignant au passage que les personnes de la même tendance que le député de la 5e circonscription du Gard "ont leur place actuellement", et que le député "a raison de dire qu'il peut aller discuter avec les électeurs. J'estime que ce genre de geste n'a pas lieu d'être", tranche déjà la présidente. 

"Les débats politiques français intéressent les Français"

Abdelkrim Grini, procureur de la République

"Moi, je respecte toutes les idées, entame Me Aurélien Vergani, avocat du député. Vous avez dit qu'il était malvenu. Mais savez-vous combien ont voté pour lui dans la 5e circonscription ?". 32 000 personnes, quand le prévenu glisse qu'il n'a eu "que" 33 % de suffrages au Vigan. "N'est-il pas légitime pour venir rencontrer ses électeurs ? Votre jugement de valeur sur M. Alxeandre Allegret-Pilot est inacceptable." "Quelle est votre nationalité ?", enchaîne le procureur de la République, Abdelkrim Grini. "Belge", répond Nathan L. "Vous avez voté ?, interroge le procureur, en connaissant déjà la réponse. Et ça ne vous pose pas de problème de ne pas voter, d'être de nationalité belge et d'agresser un élu ?"

"Les débats politiques français intéressent les Français", assène rapidement Abdelkrim Grini, quand Guillaume Garcia lui fait remarquer que son client peut voter, en France, pour les municipales et les régionales. "Je suis européen avant tout", répond Nathan qui est en France depuis de nombreuses années. Tandis que son avocat s'efforce de remettre l'action dans son contexte, et de requalifier les faits en outrage. "Le député vient pour créer l'incident, entame Guillaume Garcia, on le voit invectiver la foule. Vous devez aprécier les circonstances : c'est un député qui vient dans la volonté de créer l'incident." 

"Vous n'avez rien compris à ce qu'était le débat démocratique"

Me Aurélien Vergani, avocat d'Alexandre Allegret-Pilot

Rappelant que, selon une jurisprudence, un député n'est "pas un dépositaire de l'autorité mais une personne chargée de mission de service public", Guillaume Garcia cite l'enfarinage qu'avait subi François De Rugy, politique d'envergure nationale "qui avait eu plus de classe qu'Alexandre Allegret-Pilot et n'avait pas porté plainte", précise Guillaume Garcia, et dont les faits avaient été qualifiés "d'outrage" et non de "violence". 

"Vous n'avez rien compris à ce qu'était le débat démocratique, avance Me Vergani, défenseur du député. Là où les comportements sont sauvages, c'est la démocratie qui recule." Me Vergani revient ensuite sur l'acte, "envoyer de la farine au visage, comme si c'était un moins que rien. Vous banalisez tellement le geste que vous êtes en récidive." Une récidive, si les faits restent qualifiés de violence. "Vous vous en prenez à tous les électeurs, quelque part", ose même l'avocat du député, qui voit dans la préméditation et l'achat du paquet de farine une "circonstance aggravante". Il demande un préjudice moral de 15 000 €, ou encore la dégradation d'un costume de 890 €. 

"Il est nécessaire que la justice vienne rappeler certaines règles fondamentales, entame le procureur Abdelkrim Grini. Et surtout rappeler la loi. Le tribunal n'est pas une tribune (...) C'est le droit qui doit primer. Et il est simple : Nathan L. est responsable de faits de violence." Le procureur s'attache alors à cette qualification des faits, qui permet d'affirmer qu'il y a eu récidive. Pour expliquer qu'il ne s'agit pas d'outrage, Abdelkrim Grini en revient à la définition... et se prend les pieds dans le tapis. Car entre les "paroles, gestes, menaces, écrits ou images" etc., figure "l'envoi d'objets quelconques". Mais le procureur poursuit : "À mon avis, ce sont des violences parce qu'il y a geste volontaire". Il réclame alors 800 € d'amende et 4 à 5 mois d'emprisonnement assortis d'un sursis simple, ainsi qu'une amende de 500 €. 

"Il est regrettable que l'enquête n'ait pas été réalisée à charge et à décharge"

Me Guillaume Garcia, avocat du prévenu Nathan L.

"Je suis inquiet de ce que la farine peut provoquer en cette période de chandeleur, ironise Guillaume Garcia. Que je sache, personne n'est mort ni blessé", l'agression n'ayant même pas provoqué d'interruption temporaire de travail, ce qui limite la réception des circonstances aggravantes. L'avocat de Nathan L. prend alors le procureur au mot, en citant à nouveau la définition juridique de l'outrage, pour y ajouter un point : "Sur le site Servicepublic.fr, à la définition de l'outrage, on trouve même "Envoi d'objets quelconques (exemple : l'envoi de nourriture sur le maire d'une commune)". Une requalification importante pour la défense, qui ferait donc sauter la récidive et interdirait toute peine d'emprisonnement. 

Guillaume Garcia rappelle que l'entarteur des année 80-90 "n'était pas poursuivi. Ce qu'on regardait, c'était surtout la réaction de celui qui était entarté. De plus, dans la partie civile qu'a déposé Alexandre Allegret-Pilot, il parle lui-même d'outrage. Il est donc regrettable que l'enquête n'ait pas été réalisée à charge et à décharge. Car deux jours plus tard, Alexandre Allegret-Pilot est à la barre de l'Assemblée nationale et prend la parole à titre personnel pour se faire mousser et déformer les faits : il parle alors de 40 fascistes rouges, du besoin d'être exfiltré par les gendarmes (ce que contredisent toutes les vidéos, NDLR) et de se réfugier à la gendarmerie. Ceci doit entrer dans les faits, insiste le bâtonnier alésien, même si le motif de provocation ne permet pas à Monsieur L. d'échapper à la sanction." 

Appelant à des sanctions, le ministre de l'Intérieur a alors, selon Me Garcia, "mis la pression sur votre tribunal, sur le ministère public". Il reprend les termes de son client, qui dit avoir été "l'idiot utile" du député ce jour-là, et reproche au procureur de ne pas s'être emparé de la dénonciation qu'a fait Alexandre Allegret-Pilot de son agressseur sur les réseaux sociaux, sans respect de la présomption d'innocence, et allant jusqu'à indiquer son adresse. 

"Si vous suivez notre requalification, cela aboutira à une peine d'amende ou d'intérêt général", principe accepté par Nathan L. alors qu'il est interrogé par la présidente. "Le député, personne ne le connaît et c'est sur son étiquette politique qu'il a été élu, pas sur son nom, insiste Guillaume Garcia. Aujourd'hui, il est le vrai gagnant. Et il n'y a pas de préjudice." Me Garcia insiste sur le caractère festif de la journée, l'insertion parfaite du prévenu, etc. "Le trouble résultant de l'infraction a cessé, il y a donc tout pour relaxer mon client", conclut le bâtonnier alésien. La décision sera rendue le 4 mars. 

François Desmeures

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