FAIT DU JOUR Sébastien Ferra, directeur des territoires et de la mer : "Ce n'est pas la DDTM qui crée le risque de chute de blocs"
Il y en avait un pour les feux de forêt, un autre pour les ruisselements et, depuis septembre, la direction départementale des territoires de la mer (DDTM) a présenté un porter à connaissance "Chute de blocs". De quoi restreindre un peu plus les espaces possibles de développement des communes cévenoles, les plus concernées par cette nouvelle carte, qui englobe aussi des communes importantes comme Nîmes. À la contrainte vécue par les maires, le directeur de la DDTM du Gard, Sébastien Ferra, répond pédagogie et accompagnement. Entretien.
Objectif Gard : Vous avez présenté le 23 septembre, à Anduze, un nouveau porter à connaissance (PAC) "chute de blocs" aux 27 communes gardoises les plus concernées par cette nouvelle carte (*). Quelles informations et quelles contraintes contient-il ?
Sébastien Ferra : C'est une démarche qu'on a initiée en 2019, en même temps que le département de l'Hérault, suite à deux accidents mortels, le dernier étant un décès à Cazilhac, à cause d'un éboulement rocheux. La Drôme en a aussi connu un en 2022. Étant donné qu'on est sur un département avec un attrait touristique et une urbanisation qui se fait parfois en fonction d'autres risques, il fallait ajouter la problématique "chute de blocs". On a demandé au BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) de nous faire une étude, conjointe avec l'Hérault, de manière géologique et morphologique, pour déterminer à la fois les zones de départ des blocs, leur taille potentielle et, finalement, la cinétique de ces blocs. À partir de ces éléments, on a déterminé des aléas et produit une carte, comme on l'a fait pour les feux de forêt et le ruissellement : aléas forts, modérés et faibles. Puis, on a regardé quelle était la proportion de la surface de la commune qui était impactée par un aléa. Et, pour aller encore plus loin, quelles sont les communes pour lesquelles les zones, dans les documents d'urbanisme, sont à urbaniser ou urbanisées et soumises à l'aléa. Parce qu'on peut avoir une commune impactée à 30% par les chutes de bloc, mais sur une zone sans enjeu. Finalement, on est donc allés voir les 27 communes les plus concernées (*), celles pour lesquelles il y avait ce croisement entre possibilités d'urbanisation, urbanisation existante et l'aléa chute de blocs.
Qu'est-ce ce que le porter à connaissance considère comme un bloc ? Un rocher de la taille d'une maison ? D'une voiture ? D'une valise ? Etc.
C'est pris en compte dans l'aléa. En gros, on a regardé les études et les statistiques d'éboulement, pour déduire que telle zone de massif a une capacité à générer des blocs. Ensuite, on travaille sur l'activité de la propagation : des petits blocs, de la taille d'un pack d'eau, ou des plus gros. On détermine déjà en fonction de la taille du bloc, mais aussi de sa capacité et sa vitesse : un bloc de 9 kilos qui tombe de 100 mètres, il tue quelqu'un. Il fallait donc croiser le volume et la vitesse. Ce n'est donc pas la taille du bloc qui compte, mais sa taille et son énergie quand il va arriver au niveau de l'enjeu.
"Nous, on apporte une connaissance"
Est-ce que la nature de la pierre change quelque chose, entre les zones calcaires et celles plus schisteuses ?
Ce n'est pas le type de roche en lui-même, mais sa capacité à se déliter, à se fractionner. Des éboulements rocheux existent sur des marnes, ce qui provoque des torrents de rochers, mais des éboulements ont aussi lieu sur du schiste. Tout dépend de la fracturation, même si des natures de pierres sont plus fragiles que les autres. La nature de la roche va aussi jouer sur la façon de s'effondrer.
La première critique qui remonte, de la part des maires cévenols notamment, est de ne pas avoir été concertés pour l'élaboration de cette carte, comme pour le porter à connaissance feux de forêt. Est-ce le cas ?
Ce n'est pas totalement exact puisque, dès le début, on a informé les parlementaires de nos travaux, ainsi que l'association des maires de France (AMF) et l'association des maires ruraux (AMR). Nous avons aussi eu une réunion, au mois de juin, avec les représentants de l'AMF et de l'AMR, où on leur a présenté le diaporama, nos travaux, et ils ont pu nous interroger sur comment avait été produite l'étude, les contraintes pour les élus, etc. On a donc fait un travail de concertation. Ensuite, il y a eu cette réunion avec les 27 les plus concernés. Et on avait convenu, avec l'association des maires, qu'une fois cette réunion effectuée avec les plus impactés, on envoyait ce porter à connaissance à tous. On aurait pu faire une réunion avec les 351 communes - sauf la vingtaine qui n'est pas du tout concernée (principalement en Petite Camargue, NDLR) mais on voulait surtout toucher les plus concernées. Et sur les 27, certains nous ont dit qu'ils avaient déjà vécu ce genre d'accident et que ça les intéresse d'avoir ce porter à connaissance. Mais ce n'est pas le PAC, ni la DDTM, qui créent le risque. Nous, on apporte une connaissance.
"Quand l'élu voudra attribuer un permis de construire, en zone urbaine, en aléa fort, on donnera un avis défavorable"
Quelles sont les contraintes pour les communes ?
Quand le conseil municipal va réviser son document d'urbanisme - carte communale ou plan local d'urbanisme - il va falloir qu'il tienne compte des recommandations du porter à connaissance : quand on est en zone d'aléa fort, et que ce n'est pas construit, on dit qu'il est interdit de construire. Ce qui peut poser problème : à Arre, trois communes avaient trouvé un emplacement pour faire une école intercommunale. Pas de chance, il y a la proximité d'une zone d'aléa fort en matière de chute de bloc. Ils ont donc dû reculer leur projet. Au départ, ils n'avaient pas cette contrainte. Pour autant, on leur a donné l'information sur le risque, ils ont pu modifier les choses. Il y a, donc, deux conséquences : pour les projets individuels et pour la planification. Quand on est en zone non urbaine avec des aléas forts, ou en zone de départ - c'est-à-dire au sommet de la falaise - c'est inconstructible. Si on est en zone non urbaine, avec aléa moyen, on considère aussi que c'est inconstructible. Même principe que pour les inondations. En revanche, en zone urbaine avec aléa moyen, on peut construire avec la mise en place de mesures de protection. Le BRGM a travaillé sur la base de données géologiques, statistiques, sur des modèles d'effondrement. Il n'est pas allé arpenter toutes les falaises à pied. Quand l'élu voudra attribuer un permis de construire, en zone urbaine, en aléa fort, on donnera un avis défavorable. Mais, s'il veut délivrer le permis, c'est de sa responsabilité.
Le reproche de l'imprécision du PAC feux de forêts peut donc aussi être fait à l'aléa chute de blocs, en l'absence de visites de terrain...
On ne peut pas aller partout. En revanche, le niveau de précision, en termes de pixel de travail, il est très précis. Pour le PAC feux de forêt, il a pu y avoir quelques contestations. Mais celles qui ont conduit à un correction du PAC, elles sont quand même à la marge. L'autre différence, c'est que la forêt s'enlève. Donc, on peut prendre des mesures de défendabilité, et on en propose : des adaptations, des points incendie, réduire la masse combustible, créer des zones de recul, etc. La falaise, c'est un peu comme une digue pour les inondations : si on met un filet de sécurité, il peut être amené à s'effondrer, à se dégrader. On ne peut donc pas considérer qu'on retire tout le risque.
Ce porter à connaissance est donc plus "opposable" judiciairement que celui pour les feux de forêt, dont on disait qu'il ne l'était pas, mais qui a quand même mené à des refus de permis de construire...
Non, il a la même nature. Ce n'est qu'un porter à connissance, ce n'est pas un plan de prévention des risques. Il n'y a pas de servitude.
"Ce qui est dommage, c'est que les élus ne voient ce qu'on leur propose que sous l'angle de la contrainte"
Mais pouvez-vous dire qu'en zone d'aléa moyen, si les mesures de protection sont prises, l'aléa n'entraînera pas refus de permis de construire ?
Globalement, on donne l'avis de l'État sur ces demandes de permis. Après, c'est le maire qui signe l'acte d'urbanisme, c'est sa responsabilité. Ce qui est dommage, c'est que, pour l'instant, les élus ne voient ce qu'on leur propose que sous l'angle de la contrainte. Ils ne le voient pas sous l'angle de l'information, qu'on met à leur disposition. Et ça, c'est dommage. J'en discutais avec le président de l'AMF du Gard (association des maires de France, dont le président est le maire de Saint-Privat-des-Vieux, Philippe Ribot, NDLR) et de l'AMR (association des maires ruraux dont le maire de Cendras, Sylvain André, est président, NDLR). Ils me disent "oui, vous avez raison, grâce à vous on sait qu'il y a un risque, et on sait où il est". Parfois, on le conteste. Mais je ne suis pas certain que la contestation soit scientifique. Ils contestent parce qu'ils n'ont jamais vu un bloc tomber ici, ou aucun incendie depuis 10 ans. De la même façon que certains vous disent "on n'a pas vu d'eau ici depuis 50 ans". Mais si on raisonne en inondation d'occurrence centennale, il est tout à fait possible de ne pas avoir vu d'eau depuis 50 ans. Aujourd'hui, on est très critiqués parce qu'on apporte une connaissance. Et cette connaissance, forcément, on l'assortit de recommandations. Une fois qu'on a eu le rapport entre les mains, on s'est dit "il faut qu'on en informe les élus parce que sinon, c'est une faute". On a pris le temps de concertation : à l'issue de la réunion d'Anduze, on s'est mis à disposition des élus pour regarder la carte dans le détail et écouter les critiques des 27 communes en question. Pour l'instant, on n'a eu qu'une demande de modification.
Le document est définitif ou peut encore être amendé ?
Le document est définitif, puisqu'il a été porté à la connaissance. En revanche, si une commune souhaite affiner la connaissance du risque, elle peut conduire une étude.
Mais de nombreuses communes - notamment les plus petites - vont vous répondre qu'elles n'en ont pas les moyens...
Ce qu'on a proposé notamment, avec la problématique ruissellement, c'est de mener une étude complémentaire sur les hauteurs d'eau notamment. Si c'est pour trois maison, c'est sûr que ça fait cher l'étude. On propose aux communes de se regrouper pour ces études. Le territoire sera plus vaste, ça coûtera plus cher, mais globalement vous ferez des économies d'échelle. On les invite à faire ça.
Le PAC contraint à modifier le plan local d'urbanisme, si la commune en dispose ?
Non, ce n'est pas une servitude, contrairement à un plan de prévention des risques.
"Si vous mettez tous les aléas, en rajoutant une couche de biodiversité à préserver, c'est évidemment compliqué"
Est-ce qu'à travers ces différents porter à connaissance, l'État n'anticipe-t-il pas le fait que les assureurs vont être de plus en plus réticents à assurer un bien qui pourrait être menacé, même de façon dérisoire ?
Non. Globalement, c'est la politique de prévention des risques qui a pour objectif de réduire les aléas sur les zones à enjeux, les zones d'exposition des biens et des personnes. Bien entendu, ça a une conséquence sur les assurances, déjà très mobilisées avec le changement climatique. Par contre, notre PAC chute de blocs prend aussi tout son intérêt à la lumière du changement climatique : les phénomènes de gel, de dégel, de pluviométrie plus intenses qu'on nous prédit, tout ceci peut engendrer des dommages et des désordres qu'on ne connaissait pas auparavant.
Entre les différentes porter à connaissance, et la loi zéro artificialisation nette (même si l'initiative ne provient pas de vous), comprenez-vous que les maires de communes rurales aient le sentiment d'avoir les mains liées, d'être bloqués dans le développement de leur commune ?
Si on regarde le verre du côté de la contrainte, oui, je le comprends. Si on regard du côté de "je gère une commune dans un département où les risques naturels sont importants", non. Allez dans d'autres départements du nord de la France, quand vous passez un pont au-dessus d'un cours d'eau, vous voyez de l'eau... Ici, il n'y en pas. Mais quand il y en a, il y en a beaucoup. On a un régime méditerranéen et des risques naturels. Tout ceci apporte des contraintes, peut freiner les maires. Un élu raisonne son développement en fonction des opportunités de libération du foncier. Mais si vous mettez tous les aléas, en rajoutant une couche de biodiversité à préserver, c'est évidemment compliqué.
"On est en relation cordiale avec les élus, même si c'est parfois un peu tendu quand ça contrarie leurs projets"
Si on prend une commune comme Peyrolles, par exemple, on l'imagine concernée à 100% par le PAC chute de blocs, sans parler des ruissellements. Et ce n'est pas la seule. Cela veut dire qu'on arrête tout dévelopement du village ?
L'avantage, tout de même, c'est qu'une fois que le maire a cette connaissance là et qu'il est couvert par un plan de protection des risques inondation (même pas un plan pour la chute de blocs), le maire peut se faire financer des mesures de protection : des filets de protection, des merlons pour éviter que les blocs aillent sur la route ou sur des maisons... C'est comme le risque avalanches. Le PAC, encore une fois, ce n'est pas lui qui crée le risque. Mais si un permis est accordé et qu'un bloc tombe sur la maison et une famille deux ans après, ce sera de sa responsabilité. Ici, au moins, il a la connaissance et ça matérialise un risque qui existe déjà.
Plus globalement, la DDTM du Gard est souvent critiquée par les élus sur sa façon d'interpréter les textes, notamment par rapport à ses voisines de l'Hérault et de la Lozère. Cette critique vous est-elle déjà revenue aux oreilles, qu'en pensez-vous et parvenez-vous a fluidifier les relations avec les municipalités ?
On essaie, on est en relation cordiale avec les élus, même si c'est parfois un peu tendu quand ça contrarie leurs projets. Mais ça reste toujours poli et courtois. On est de plus en plus dans l'accompagnement, dans le cadrage en amont des projets. On dit aux élus : n'attendez pas la dernière minute pour venir nous voir ! L'erreur est de se dire "la DDTM est contre nous". Non, on cherche à accompagner les proijets, c'ets une valeur foirte piur nous. On sait que le rôle des élus eist difficile, qu'ils ont beazucoup de missions da,ns mleur mandat, et on a besoin des les aider. On peut paraître, parfois, un peu rigides sur l'appliocation de certaines règles. Mais l'Hérault fonctionne de la même manière que nous, d'autant que les problématiques sont un peu similaires. Sur le loup, par exemple, la Lozpère était confrontée depuis plmius longtemps que nous. Et les éleveurs en Lozère avaient davantage pris les réflexes de la protection que che nous. Mais on a tenu compte de cette critique, on leur a demandé comment ils faisaient.
(*) Anduze, Alès, Arre, Avèze, Bonnevaux, Bréau-Mars, L'Estréchure, La Grand-Combe, Les Plantiers, Le Vigan, Mialet, Molières-Cavaillac, Peyrolles, Roquedur, Saint-André-de-Valborgne, Saint-Hippolyte-du-Fort, Saint-Jean-du-Gard, Saint-Jean-du-Pin, Saint-Julien-de-la-Nef, Saint-Laurent-le-Minier, Saint-Martin-de-Valgalgues, Saint-Paul-la-Coste, Saint-Roman-de-Codières, Saumane, Sumène, Trèves, Val d'Aigoual.
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