LES HISTOIRES DE L'ÉTÉ Loup blanc : le gourou accusé de viols
Chaque jeudi, cet été, Objectif Gard vous propose de vous plonger dans un fait divers récent. Il est appelé Loup blanc, le chamane, Joachim, Kyrios ou maître Yogi… Il organisait des initiations près de Sumène, mais aussi dans les Pyrénées-Orientales. Cet article est issu du numéro 52 dans Objectif le Magazine, paru en novembre 2022.
Mais qui est cet homme de 70 ans, mis en examen et écroué pour viols et agressions sexuelles. À 70 ans, il se présente entre deux agents du service pénitentiaire dans le box de la cour d’appel de Nîmes. Le 5 octobre dernier, il vient réclamer d'être placé sous contrôle judiciaire dans un dossier où il est mis en examen et écroué depuis 10 mois pour des viols et agression sexuelles. Il est reproché à Loup blanc, œuvrant dans "le chamanisme de l’origine", plusieurs abus sexuels auxquels la section de recherches de Nîmes a mis fin après une enquête menée conjointement avec l’OCRVP, l’Office central pour la répression des violences aux personnes.
Un fauteuil vide, mais les adeptes passent devant le siège et saluent quand même, comme s’ils voyaient sur ce trône un objet sacré ou s’ils vénéraient un dieu. Vous êtes dans le quotidien des adeptes de Loup blanc, le chamane, également appelé Joachim ou Kyrios ou maître Yogi en fonction des circonstances et des lieux. « Son enseignement est basé sur lui et lui seul. C’est le centre du monde, de l’univers. D’ailleurs lorsque l’on arrive, on est pris en charge par des animateurs totalement sous l’emprise de Loup blanc », estime une ancienne disciple du gourou. Ce dernier est tombé de son piédestal depuis une descente opérée par la section de recherches de Nîmes en décembre 2021.
Incarcéré pour des viols et agression sexuelles
« Il faut évoquer sa puissance, sa grandeur, son amour infini des autres, sa compassion. On est dans la dévotion, dans le sacré même », a confié durant l’enquête une victime des agissements de Loup blanc. Ce dernier est incarcéré depuis dix mois pour quatre abus sexuels sur des femmes dont il avait en charge les initiations. « C’est le sauveur, c’est lui seul qui peut sauver la planète, poursuit le même témoin qui a fini par déposer une plainte pour viol. On est inondé, irradié par sa lumière et son énergie. C’est en tout cas ce que l’on nous met dans la tête. Lorsque ça marche ou bien qu’il y a un petit mieux dans notre vie c’est lui. Par contre, si cela ne fonctionne pas c’est que l’on n’est pas assez ouvert, que l’on n’a pas suffisamment la foi. »
Car l’enseignement de Loup Blanc n’est pas seulement philosophique, il se concrétise lors de séances qui ressemblent plus à de la pornographie qu’au bien-être par la pensée, avec parfois des enregistrements sexuels et des pratiques personnelles filmées. « On est à fond dans l’univers sectaire, dans la soumission par la pensée, note maître Jean-Baptiste Cesbron, avocat de plusieurs victimes de Loup blanc. La communauté reste attachée aux habitudes et en sortir fait peser un danger... Un danger d’abord pour le maître, qui fait tout pour n’être que le seul interlocuteur. Il faut qu’il soit le seul à avoir toute l’influence sur les autres. »
Interdiction de manger de la viande
« Notre monde est hostile, poursuit l’avocat héraultais. La parole du maître est sacrée et lorsqu’il dit de ne pas manger de viande, par exemple, il ne faut pas que les adeptes aient la moindre relation avec des personnes qui en mangent, cela pourrait contaminer toute la communauté. C’est comme cela que des victimes parviennent même à s’isoler de proches, de leur famille, de leur mari, car elles mangent de la viande et deviennent impures ! On s’aperçoit là des dérives sectaires et de la mise en place d’un système d’exclusion de la société des futures recrues. La secte est refermée sur elle-même avec comme seul visage, comme seul guide, celui du maître absolu. »
D'autant que les personnes entrées en initiation, se persuadent que le maître voit tout, entend tout. « On est dans le dossier typique de l’emprise sectaire. Au départ il s’agit de stage proposé autour du bien-être et de la médiation. Mais c’est la vitrine qui sert à repérer des proies », estime une source proche du dossier. Beaucoup font un stage puis s’en vont. D’autres reviennent et là le piège se referme. On peut empêcher de dormir avec des cérémonies toutes les heures la nuit, ce qui va fragiliser le psychisme des futurs adeptes. « La secte devient la seule et unique famille. Les liens avec les proches sont coupés. Le seul repère reste le gourou qui a le pouvoir de les élever dans le cercle restreint des animateurs ou de ses collaborateurs directs », insiste un autre témoin.
Depuis 30 ans, il navigue dans le bien-être, le yoga, la méditation
Devant la cour d’appel de Nîmes où il a demandé à sortir de prison y a quelques semaines, il est difficile d’imaginer que ce bonhomme, petit, chauve et pas très rassuré de se retrouver devant des magistrats, soit celui qui ait régné pendant des années sur une communauté. « Il n’a jamais travaillé. Il a toujours joué sur ce registre avec des thématiques en fonction du temps comme le yoga il y a vingt ans, par exemple », complète la même source. Impossible de lui trouver un quelconque charisme. Pourtant son arrivée à l’audience de la cour d’appel est accueillie par une nuée de bouches hébétées et de silences révérencieux. Des dizaines d’adeptes ont tenu ce jour-là à venir le soutenir dans son bras de fer judiciaire.
Un mis en cause qui prétendait du temps de sa splendeur « détenir son pouvoir d’un ange ». « On nous fait dire merci à Loup blanc avant toute rencontre. On nous met en condition. On ne peut pas le rencontrer immédiatement. Il sait se faire attendre comme une divinité », explique un témoin. « Il disait par exemple que manger de la viande faisait absorber des larves qui ont des effets néfastes sur notre corps, notre évolution, notre éveil, poursuit Isabelle (*), elle aussi victime d’abus sexuels. Ensuite il se présentait à tout moment pour nous donner le "shakti". Il posait son pouce sur notre front afin, selon lui, d’ouvrir les parties de notre cerveau et permettre à son énergie d’y entrer. »
"J'ai perdu mes repères"
Pour elle, les initiations "d’harmonie" et "ondes de forme" vont prendre une tournure sexuelle en 2014. « Un jour il m’a appelé en me disant que mon âme était venue le voir en rêve pour lui demander qu’il m’apprenne à faire l’amour. Il m’a raconté qu’il s’agissait d’un travail tantrique supplémentaire et que, lorsque je serai prête, nous aurions des relations sexuelles dans le sacré et que je deviendrai belle et rayonnante grâce à cette expérience avec lui », ajoute la jeune femme. Une femme fragilisée par sa vie hyperactive de cadre, débordée entre son travail et ses enfants, et jonglant en permanence entre sa vie personnelle et professionnelle sans avoir un temps pour se poser et respirer.
« À ce moment-là j’étais fragilisée. Mon couple n’allait pas bien. J’étais une cadre dynamique et très sollicitée par des enfants petits. Le stage a été l’occasion de prendre du temps pour moi, mais petit à petit et sans m’en rendre compte j’ai perdu mes repères. Je n’étais plus dans la rationalité », poursuit Isabelle, qui a mis longtemps à se rendre compte de la dérive. Après le repli sur soi et la destruction de son couple, Loup blanc va lui proposer un travail plus personnel, basé sur les rapports sexuels. Un pseudo travail tantrique avec champagne et petites tenues coquines.
Capable d'éradiquer les maladies sexuellement transmissibles
Des relations qui se dérouleront sans préservatif car le charlatan était, selon les explications fournies à ses victimes, capable de neutraliser les maladies sexuellement transmissibles. « Il est détenu depuis près d’un an sans avoir rencontré une seule fois le juge d’instruction. Il n’a jamais été confronté à ses accusatrices malgré ses demandes. Ce serait la moindre des choses pour pouvoir se défendre », estime pour sa part maître Khadija Aoudia, l'avocate du mis en cause.
« Mon client conteste avoir manipulé ou abusé des plaignantes. Il reconnaît les actes sexuels, mais pas d’avoir forcé. Je rappelle aussi que la détention provisoire doit être l’exception, c’est pour cela que nous venons demander son contrôle judiciaire », argumente la pénaliste nîmoise devant les groupies de Loup blanc. Des adeptes qui forment encore une armée de soutiens pour le gourou déchu. La cour d’appel de Nîmes a rejeté la demande de remise en liberté. Loup Blanc va devoir patienter en prison dans l'attente de son procès.
* Le prénom a été modifié