Publié il y a 1 an - Mise à jour le 02.02.2023 - La rédaction - 7 min  - vu 26872 fois

FAIT DU SOIR Le Pays Grand'Combien pleure Sihem

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Le corps de Sihem a été retrouvé dans la nuit de mercredi à jeudi. 

- Photo DR

Ce jeudi 2 février, la France s'émeut du meurtre de Sihem, jeune grand'combienne de 18 ans qui avait disparu depuis huit jours. Mais l'émoi est d'autant plus fort à L'Habitarelle où, près du domicile familial de la victime, défilent des dizaines de proches bouleversés qui font corps face à la mort.

Dès l'aube ce jeudi 2 février, un voile noir a recouvert la maison verte de la rue d'Alger, dans le quartier de L'Habitarelle (Salles-du-Gardon), au nord d'Alès. Une maison occupée par une famille "bien sous tous rapports", "sans histoire", "intégrée" et "travailleuse". Celle de la famille Belouahmia, implantée depuis plusieurs générations en Pays Grand'Combien après son arrivée d'Algérie. 

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Les proches de Sihem se sont réunis au foyer communal de L'Habitarelle ce jeudi. (photo CM)

Plongée dans l'effroi depuis l'inquiétante disparition de Sihem survenue dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 janvier, la famille de la victime est confrontée à l'émoi depuis quelques heures et l'annonce de la mort tragique de la jeune fille de 18 ans, dont le corps a été retrouvé cette nuit dans l'épaisse forêt qui surplombe la commune des Salles-du-Gardon (relire ici). Un secteur, près de la Croix des vents, quasi-équidistant du domicile de la victime et de celui de son meurtrier présumé, situé à Cendras. 

En milieu de matinée ce jeudi, les abords du foyer communal de l'Habitarelle sont cernés par des dizaines de proches de la famille Belouahmia. Certains dissimulent leur peine derrière des lunettes de soleil, quand d'autres, souvent encapuchés, s'étreignent avec pudeur, lâchant quelques mots de condoléances. À 11h tapantes, plusieurs parents proches de Sihem, les yeux embués de larmes, montent dans un fourgon noir qui vient de se garer devant le foyer. Les médias présents sur place pensent alors qu’ils partent pour l’identification du corps. Ce qui n’a jamais été confirmé.

"Aujourd’hui, c’est sur nous que ça tombe"

À leur retour, les très nombreux amis de la famille de la victime se succèdent pour veiller à tour de rôle les parents proches. Un sentiment de "haine" domine chez les frères de Sihem, le papa, prostré, "ne réalise pas encore" et "rien ne sort de la bouche" de la maman, inconsolable. Le "clan" Belouahmia élargi dégage une incroyable impression d'unité. "On est avec eux pour faire corps ensemble dans la douleur", commente Hamza, cousin germain de la mère de la victime. Mais la présence massive et envahissante des journalistes, couplée à la douleur, n'aide pas les langues à se délier.

D'autant qu'en conférence de presse quelques minutes plus tôt, la procureure de Nîmes Céline Gensac a invité les médias à "ne pas tenter d'approcher" la famille qui a décidé de "ne plus s'exprimer". "Ici, on n’avait jamais vu un cas pareil. Ce n’est pas commun ! On se dit que ça n’arrive que dans les grandes villes ou que ça n’arrive qu’aux autres. Aujourd’hui, c’est sur nous que ça tombe", déplore un voisin.

Dans ce quartier où "tout le monde se connaît", un proche de Mahfoud H., 39 ans, lequel côtoie l’auteur présumé du meurtre "depuis 20 ans", témoigne anonymement : "On a fait beaucoup de social avec lui. Je l’ai hébergé. On a fait des soirées ensemble. C’est maintenant qu’on se rend compte qu’on ne connaît jamais vraiment les gens." Ce dernier, père de famille et âgé d'une quarantaine d'années, n'hésite pas à avouer qu'il ressent presque une pointe de culpabilité : "Je me dis qu’on a manqué une étape avec lui."

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Le corps de Sihem a été retrouvé dans la nuit de mercredi à jeudi.  • Photo DR

Mais le quadragénaire brosse un portrait peu reluisant de celui qui a avoué avoir tué Sihem en invoquant une hypothétique relation amoureuse : "Il a toujours eu une attirance pour des filles beaucoup plus jeunes que lui. L’âge n’a jamais été un problème pour lui". Notre témoin se souvient même d’une anecdote lorsque, un été, sur la plage, Mahfoud H. a délibérément dragué une adolescente sous ses yeux. Il était alors intervenu avec fermeté : "Je lui avais dit 'tu déconnes, on a 40 balais, ça pourrait être ta fille !'" 

Dès l'adolescence, le principal suspect de l'affaire Sihem embrasse une carrière de délinquant. D'abord des petits délits, puis c'est l'escalade avec des atteintes aux biens, avant une condamnation par la cour d'assises du Gard à 12 ans de réclusion criminelle pour vol avec arme en avril 2015. "À l’époque, on a fait des bêtises de jeunesse avec les gars du coin de ma génération. Mais nous, on a su y mettre fin alors que lui a continué en faisant même pire", rebondit notre interlocuteur anonyme. 

Dernièrement, ce dernier avait observé un changement d'attitude chez Mahfoud M. : "Jusqu’à il y a quelques temps, à sa sortie de prison, il était "wanted" à La Grand’Combe. Plus personne ne voulait lui parler. On avait tous perçu un changement dans son comportement. Après, il sort de dix ans de prison aussi… Sa dernière détention lui a fait très mal. Ce n’était plus le même ! À partir de là, je me suis éloigné de lui. Nos routes se sont un peu séparées."

Un homme "sans foi ni loi"

Ainsi, lorsqu'il a entendu le nom de son vieil ami rattaché à l'enquête sur la disparition de Sihem, le quadragénaire grand'combien a compris : "Je savais qu’il était impliqué, de près ou de loin." Une implication qui ne faisait aucun doute dans l'esprit des habitants du quartier qui décrivent un individu "toxicomane", "sans foi ni loi", "délinquant très éloigné des principes des grands voyous". Tous gardent notamment en mémoire l'affaire pour laquelle Mahfoud H. devait comparaître devant la cour d'assises du Gard ce mercredi 1er février pour des faits qui remontent à 2011. 

L'ancien footballeur du stade Sainte-Barbe de La Grand'Combe, qui était alors licencié au club de Laval-Pradel, n'avait "pas hésité à enlever, séquestrer et torturer" les parents de celui qui était supposé être son ami, en vue de dépouiller ces propriétaires d’un bar-tabac de la commune. Pas très rigoureux sur le plan religieux, bien qu’ayant été aperçu il y a peu à la mosquée, Mahfoud H. priait "surtout pour se donner bonne conscience", assure un président d'association grand’combien l’ayant bien connu.

Mais s'il n'avait rien d'un enfant de choeur, celui qui est malgré ses aveux encore présumé innocent n'était pas pour autant un meurtrier. Depuis l’âge de 14 ans, Sihem était la nounou attitrée des deux enfants qu'il a eus avec son ex-compagne, laquelle n'est autre que la cousine de la victime. Scolarisée en terminale Bac Pro "Accompagnement, soins et services à la personne" (ASSP) au lycée Jean-Baptiste Dumas, Sihem travaillait à temps partiel pour une célèbre chaîne de livraison de pizzas, à Alès.

Le mobile financier évoqué

Un établissement dans lequel elle a connu un certain Alban (*), jeune adolescent dont elle était très proche. C’est d’ailleurs avec lui qu’elle aurait échangé son tout dernier SMS le soir de sa disparition. "C’est de lui que l’enquête est partie", confie un proche du dossier. Sans nouvelle de la jeune femme à qui il avait conseillé de "faire attention" après qu'elle lui a annoncé rejoindre Mahfoud H. après minuit, Alban a donné l’alerte. Rapidement, le jeune homme transmet les derniers messages échangés avec Sihem à la gendarmerie dans lesquels la jeune femme évoque une étrange histoire de tatouage et de somme d’argent qui pourrait être perçue. 

Pour la plupart des proches, cela ne restera qu'un "faux prétexte" utilisé par le meurtrier présumé pour "attirer" Sihem dans ses filets. S'il semble avoir été depuis annihilé par l'enquête, le mobile financier de ce qui n'était alors qu'un possible enlèvement a très vite été privilégié par les habitants du quartier, lesquels s’imaginaient alors que Sihem faisait office de monnaie d'échange aux yeux du ravisseur en vue d'une rançon. Dès lors, les propositions de dons ont afflué spontanément. "Certains étaient prêts à donner 1 000 ou 2 000 euros pour sauver Sihem", raconte une source. Et d’ajouter : "C’est dans la douleur qu’on voit la vraie solidarité." 

"La Grand’Combe, c’est comme une grande famille !", complète Yavuz Akan, élu grand'combien, présent ce jeudi matin auprès des Belouahmia. Le président du stade Sainte-Barbe, qui a côtoyé Mahfoud H. dans le cadre du ballon rond, lui avait même tendu la main en lui offrant du travail dans sa société de maçonnerie. Mais le Cendrasien n’avait tenu que quelques mois avant de jeter l’éponge. Dans la semaine, les "grands" du quartier auraient eu plusieurs conversations téléphoniques avec Mahfoud, le soir, entre ses deux gardes à vue, pour tenter de "lui faire cracher la vérité". En vain. 

Un acte de "barbarie"

Ce n'est qu'à l'issue de plusieurs dizaines d'heures de garde à vue, sur les conseils de son avocat, que le mis en cause a choisi "d'affronter sa lourde responsabilité" (relire ici). "Je suis choqué. Normalement, il n’avoue jamais. Même pour sa précédente affaire de braquage dans laquelle ses complices ont avoué, il n’a jamais rien lâché. S’il a avoué, c’est que c’est lui, je ne le vois pas endosser ce crime pour protéger quelqu’un d’autre", lâche notre témoin anonyme. 

Plongée dans la douleur depuis l'aube, la famille émet la volonté "que ça n'arrive plus jamais". Un oncle réclame "la peine maximale" pour cet acte de "barbarie". "Avec un tel palmarès, il n’aurait jamais dû être dehors. C’était un malade ! Une ordure ! Des mecs comme ça, il ne faut jamais les relâcher dans la nature", peste-t-il. Certains vont même plus loin, réclamant le retour de "la peine de mort" dans de pareils cas où la justice a "toutes les preuves entre les mains".

De manière générale, la famille, par le biais de proches, dont Hamza, fait savoir qu’elle a particulièrement apprécié "l’engagement total" de la brigade de gendarmerie de La Grand’Combe et de la section de recherches car, même si "le résultat n’est pas celui espéré, il nous aidera à faire le deuil"

La réaction de Laurence Baldit, maire par intérim de La Grand’Combe

« J’adresse à la famille de Sihem un message de soutien, de solidarité, de compassion, personne ne peut imaginer la peine dans laquelle ils sont. Tout ce qu’on peut leur souhaiter, c’est d’essayer de se reconstruire avec leurs proches. Nous avons mis notre drapeau en berne depuis ce matin. La commune est sous le choc. Je connais le papa, il va souvent au café de la rue Saint-Vincent à côté de chez moi, c’est un papa jovial, je revois son visage souriant et je pense à la peine dans laquelle il est aujourd’hui. Sihem était une jeune fille connue est appréciée à la Grand’Combe, une jeune fille saine et équilibrée. Alors il y a évidemment beaucoup d’émotion dans la commune, beaucoup de jeunes connaissaient Sihem, c’est tellement injuste une enfant qui disparaît comme ça. Désormais, j’espère simplement que justice sera faite pour que les parents puissent être apaisés, au moins là-dessus. »

Et celle de Patrick Malavieille, maire démissionnaire de la Grand’Combe

« Ce qui domine aujourd’hui, c’est la consternation, une douleur incommensurable, l’incompréhension et la colère. Dans le pays Grand’Combien, tout le monde se connaît, c’est terrible, ce n’est pas un âge pour mourir, et surtout pas comme ça. La famille a beaucoup de dignité, alors qu’elle se retrouve dans une immense douleur. Jusqu’au bout, tout le monde espérait une autre issue possible, on l’espérait, on se disait qu’on allait la retrouver, mais la situation a basculé. C’est un choc terrible pour nos communes. Il y a ce sentiment d’injustice, ce colère, mais la meilleure manière est de rester digne, dans le recueillement, dans le partage de cette douleur immense. Alors je lance un message à la population : recueillons-nous, dans le respect, la dignité, en mémoire de Sihem et par respect pour sa famille. C’est un appel à la responsabilité de tous, soyons dignes dans ce moment terrible. La famille de Sihem est très honorablement connue, ils habitent dans le quartier populaire de l’Habitarelle, on les connaît depuis très longtemps, ce sont des gens très bien, et c’était une gamine très bien aussi. La commune est sous le choc, il y a beaucoup d’émotion, à la boulangerie, au bistrot, à la mairie, tout le monde ne parle que de ça. »

(*) prénom d'emprunt choisi pour préserver l'anonymat du témoin

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