TRIBUNAL Fruits non ramassés : les paysans gardois gagnent le grand mousquetaire
Le tribunal de Nîmes était saisi ce mardi d'un référé civil. Une mesure urgente qui avait pour but de faire traiter par l'usine Solarys basée à Vauvert, une filiale d'Intermaché, les fruits ramassés en ce moment par les paysans locaux.
Les publicités d’Intermarché passent régulièrement sur les petits et grands écrans. Des slogans qui sonnent bien le terroir comme "nous sommes commerçants-producteurs" par exemple. Le rapprochement de la grande distribution et des petits paysans, le lien indéfectible entre les agriculteurs et la grande distribution représentée par les « Mousquetaires », c’est le message officiel adressé. Sauf que ce mardi devant le tribunal de Nîmes était plaidé un différend entre Solarys dont la maison mère est le groupe Intermarché, et des arboriculteurs du cru. Depuis plusieurs jours les fruits pourrissaient sur les arbres.
70 arboricuteurs gardois attaquent en Justice...
70 arboriculteurs précisément qui sont en lien avec la société Solarys, affrontaient le géant chargé de récupérer et transformer en conserve les fruits des paysans du coin. Le pot de terre contre le pot de fer et des coups de boutoir de la part de Maître Patricia Hirsch, avocate de la coopérative agricole Conserve Gard qui regroupe les arboriculteurs. C’est elle et Maître Philippe Rey, qui ont intenté au nom des 70 « petits gaulois » gardois un référé dit « d’heure à heure » pour essayer de sauver « ces agriculteurs qui vont mourir si on ne les aide pas".
"Il y a 17 agriculteurs qui meurent tous les jours en France et je remets aujourd’hui en cause le slogan d’Intermarché « Nous sommes commerçants et producteurs ». Non ils ne sont pas producteurs, sinon ils comprendraient le désarroi des gens de la terre que je représente", tonne maître Hirsch. "Car les producteurs sont maltraités et la preuve est là devant nous », plaide l’avocate montpelliéraine spécialisée dans le droit agricole. « Depuis vendredi les pêches et poires pourrissent d’où la mesure d’urgence et la procédure devant vous car le temps presse », selon l’avocate.
Un conflit en lien avec 300 000 euros supplémentaires demandés par les arboriculteurs ?
Pour comprendre le conflit, il faut se plonger dans le contexte et revenir un petit peu arrière. En 2009, la coopérative agricole Conserve Gard, qui regroupe les arboriculteurs gardois, signe un contrat d’approvisionnement exclusif avec son partenaire « Conserve France », un géant de l'industrie agro-alimentaire. Les arboriculteurs gardois récoltent les fruits, notamment les cerises, les pêches Pavies, et les poires Williams, destinés à l’industrie et à la transformation.
Il y a un an le groupe Agromousquetaire, c’est-à-dire Intermarché selon l’avocate, rachète cette structure autrefois appelé Saint-Mamet. Une sorte de contrat cadre perdure depuis 2009 entre les parties. Les deux parties c’est-à-dire aujourd’hui la coopérative agricole gardoise et Agromousquetaires doivent discuter chaque année avant le 31 mai « du prix et des conditions » d’achat de cette production locale. Cette année, selon l’avocate des arboriculteurs à l’origine de la procédure, la discussion n’a pas eu lieu.
« Mais nous ne sommes pas là pour un problème de prix, cela sera discuté ailleurs ou débattu plus tard devant la Justice. Les arboriculteurs sont là pour dire laissez-nous rentrer la production, laissez-nous sauver les fruits », s’indigne maître Hirsch. Car selon elle les Palox, des grosses caisses qui appartiennent aux agriculteurs, sont confisqués par Solarys et non livrés au bord des champs. Solarys ne récupère donc plus la production, c’est-à-dire les caisses remplies de fruits au bord des champs.
Pour les paysans gardois, l’urgence est extrême si les fruits ne sont pas récupérés sur leurs propriétés pour être traités et transformés « cela va être des pertes énormes ». Pour les producteurs locaux, il s’agit de 5 millions de chiffres d’affaires annuel sur les pêches et poires. Et le conflit initial est lié à une indexation de l’inflation que les agriculteurs estiment à 300 000 euros supplémentaires pour cette année. C’est ce bras de fer financier qui a ensuite bloqué la situation cette saison et le ramassage des fruits pour être « traités ».
On essaie de faire passer les gros pour des méchants
Du côté des Mousquetaires la version est bien différente. « On essaie de faire passer les gros, Solarys, Agromousquetaires pour les méchants. Il y a des échanges depuis mai. Mais ce qui choque c’est la méthode utilisée, celle du couteau sous la gorge pour faire avancer un dossier, c’est inadmissible », insiste le conseil de Solarys. « On ne négocie pas un contrat en faisant venir un huissier de justice, puis en faisant un référé comme effectué dans cette procédure par la coopérative agricole ».
« Cela fait des années que les relations sont tendues et cela n’est pas une relation tendue à cause des Mousquetaires comme on veut bien le dire à cette audience, car ce que vous appelez les Mousquetaires sont là depuis un an et ils ont trouvé une situation économique catastrophique », ajoute le conseil de la société basée à Vauvert. « Il y a un contrat dont je n’ai pas la même lecture que la partie adverse et le prix a été fixé en 2022. La récolte a commencé, il n’est pas possible à ce stade de mettre une clause d’indexation, on verra pour 2024 ».
La présidente du tribunal appelée au secours par le bais du référé devait, elle, dire uniquement si la société Solarys devait à nouveau effectuer le ramassage de la production au bord des champs afin que les fruits ne pourrissent pas ? La juridiction a statué en urgence et a ordonné dès ce mardi après-midi à « la société Solarys la reprise des livraisons de pêches et poires et plus précisément la reprise des livraisons de Palox vides au bord des champs sur demande des producteurs », ainsi que la livraison de ces Palox remplis vers un lieu de stockage de la filiale d’Intermarché.
Une procédure gagnée pour les producteurs locaux, mais le conflit est-il vraiment terminé ?