FAIT DU JOUR La grande histoire des tziganes avec Esmeralda Romanez
Esmeralda Romanez a créé et préside l’association de mémoire, de l’internement, et de la déportation tzigane. Elle est également la présidente de la fédération européenne des femmes romanis et voyageuses, qu’elle a aussi fondée.
Une dizaine de personnes sont réunies au milieu de la petite librairie l'Itinéraire, à Nîmes. Face à elles, Esmeralda Romanez, 76 ans, raconte, non sans émotion, l’histoire du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, la commémoration de l’internement des tziganes au camp de Saliers qui a lieu la veille, et plus largement, les difficultés auxquelles les tziganes font face pour faire perdurer leurs traditions. Esmeralda a grandi dans ce souvenir douloureux de la Seconde Guerre mondiale.
« Mon père est né en 1914. Il a été enrôlé d’office en 39-45 et fait prisonnier de guerre. Puis il a été mis dans un camp comme il était tzigane. Quand il a été libéré, il est revenu en France sous convoi sanitaire car il ne pesait plus que 35 kg. Mais on l’a repris et mis dans un camp d’internement jusqu’en 1946 », raconte-t-elle, tout en tirant sur sa cigarette. Le sourire réapparaît sur son visage en même temps que les souvenirs remontent. « Il était violoniste, je reconnaissais son violon au milieu de 100 autres », confie-t-elle.
« Arrêtez d’écrire des utopies complètes sur nous »
Esmeralda est née en 1949, mais la guerre fait partie de son histoire. Elle a été mariée à 13 ans, suite à une promesse faite par son père à son futur beau-père dans les camps de la mort. « Ils s’étaient dit que s’ils se sortaient de cet enfer, le premier qui aurait une fille la marierait à un de leurs fils, car ils avaient chacun des enfants en internement en France. J’étais mariée avant même d’être conçue », sourit-elle. Il est donc important pour celle qui a créé et qui préside l’association de mémoire, de l’internement, et de la déportation tzigane, de transmettre l’histoire des tziganes durant la Seconde Guerre mondiale.
Elle s’est notamment battue durant cinq ans pour qu’un mémorial soit installé en face du lieu où se trouvait le camp d’internement de Saliers. « On nous accordait juste une plaque. Ce n’était pas digne, ni à la hauteur des souffrances endurées par nos anciens. » Elle souligne également que les historiens ne « se sont intéressés au génocide tzigane que très tardivement ». « Et en plus, beaucoup ont écrit n’importe quoi. Nous, on a la parole de nos anciens. Laissez-nous le raconter, et écrivez-le. Arrêtez d’écrire des utopies complètes sur nous. Cela entretient les clichés de voleurs de poules et d’enfants. »
Après son mariage à 13 ans, Esmeralda a ensuite été maman pour la première fois à 14 ans. Lorsque ses aînés ont été scolarisés, elle ne savait ni lire, ni écrire. Mais elle a appris à leurs côtés, et a poursuivi ses études pour devenir infirmière. « J’ai été reçue 50 sur 500 », souligne-t-elle avec fierté. Direction Paris avec toute sa famille pour se former. « On avait garé les caravanes au bois de Vincennes. On y a vécu des choses incroyables », se souvient-elle avec amusement. Puis, ils ont repris la route et elle a poursuivi sa carrière en tant qu'intérimaire au gré des déplacements.
Pour pouvoir scolariser ses enfants, et se soigner suite à des problèmes de santé, elle a finalement décidé de se sédentariser aux Saintes-Marie-de-la-Mer durant cinq ans, de 1995 à 2000. Mais l’appel de la route était trop fort, alors elle est repartie. « C’est un enfermement la sédentarisation. J’avais peur de tout », s’amuse-t-elle avec du recul, racontant par exemple qu’elle marchait au milieu de la route car elle avait appris qu’il y avait du gaz de ville qui passait sous les trottoirs. « Quand on est élevé dans la nature, sans eau, sans électricité, on ne peut pas avoir les mêmes réactions que les gens dit civilisés. C’est pas pour ça qu’ils le sont d’ailleurs. S’ils étaient si civilisés que ça, ils ne feraient pas la guerre aux voisins… »
« Il faut aller vers l’autre, tant mieux s’il est différent »
Celle qui préside la fédération européenne des femmes romanis et voyageuses se bat contre les préjugés qui collent à la peau des tziganes. « On n’a pas de différences, on n’a que des ressemblances. La seule chose, c’est qu’involontairement, on vend du rêve parce qu’on nous parle de notre liberté. Mais elle est où notre liberté ? », questionne-t-elle. « On est peut-être le peuple le plus contrôlé. On a les aires d’accueil, mais c’est bitumé, il n’y a pas d’arbres, c’est terrible en plein été. Elles sont toujours éloignées des écoles, des magasins, mais proches des déchèteries. C’est fermé par des grillages, c’est des camps, ni plus ni moins. Et on paye à la commune notre eau, notre électricité, et notre stationnement », rappelle-t-elle.
Esmeralda n’a de cesse de le répéter, « il faut aller vers l’autre, tant mieux s’il est différent, il apportera quelque chose de plus à ma culture ». « Une culture majoritaire ne va jamais s’enrichir si elle n’est pas en contact avec les autres. En contact franc, sincère, qui apporte quelque chose. » Mais le chemin est encore long. « Il y a encore des stérilisations de fillettes roms en Hongrie. C’est un génocide lent qu’on dénonce », déplore-t-elle, estimant que « ce qui est malheureux c’est l’être humain lui-même, qu’il soit tzigane ou non tzigane. »